Les empreintes franco-polonaises: les traces impressionnistes dans la poésie polonaise de la fin du XIXᵉ siècle

Par Justyna Bajda
Publication en ligne le 15 octobre 2023

Résumé

Artykuł podejmuje problematykę wpływów impresjonizmu francuskiego na malarstwo i poezję polską końca XIX wieku. Artykuł został podzielony na dwie części. W pierwszej z nich przypomniano główne założenia teoretyczne ruchu impresjonistycznego, doskonale czytelne także w malarstwie polskim, oraz przywołano kilka przykładów dzieł polskich impresjonistów realizujących te założenia. Druga część artykułu została poświęcona interpretacji wiersza Kazimierza Przerwy-Tetmajera pod kątem istniejących w jego poezji elementów poetyki impresjonistycznej. Przyjęta perspektywa pozwala z jednej strony na wyraźne określenie wpływów impresjonizmu francuskiego na twórczość polskich malarzy i poetów końca stulecia, z drugiej pokazuje zasadnicze różnice istniejące między teoretycznymi założeniami impresjonizmu francuskiego i polskimi realizacjami.

La thématique de cet article, répartie en deux parties, a pour objectif d’analyser l’influence de l’impressionnisme français sur la peinture et la poésie polonaises de la fin du XIXᵉ siècle. Partant des principes théoriques du mouvement impressionniste, bien visibles dans la peinture polonaise, et quelques tableaux polonais montrant une influence évidente de l’impressionnisme français, nous examinons dans la seconde partie un poème de Kazimierz Przerwa-Tetmajer afin de démontrer les éléments impressionnistes dans sa poétique. Ce genre de démarche – à la fois théorique et pratique – nous a permis de mieux comprendre les ressemblances et les différences entre l’impressionnisme français et son application dans la culture polonaise.

Mots-Clés

Texte intégral

Introduction

1L’impressionnisme poétique, en tant que partie intégrante de l’impressionnisme littéraire de la fin du XIXe siècle, est l’un des axes de recherche les plus discutés dans le domaine des études littéraires. La question de la possibilité de transmettre les principes théoriques et techniques de la peinture dans le domaine de la littérature a été étudiée par plusieurs chercheurs français1 et polonais2. Les points fondamentaux de cette discussion concernent les indicateurs de l’impressionnisme, tels que l’instantanéité de l’impression optique, l’image définie par une lumière vibrante, la couleur subordonnée aux conditions atmosphériques. Tous ces facteurs picturaux sont bien visibles sur les toiles impressionnistes ; cependant, leur adaptation au langage poétique et, ensuite, le mécanisme de leur visualisation dans l’imagination sont toujours mis en doute.

2L’article proposé est divisé en deux parties. Dans la première, nous montrons des exemples d’influence directe de l’impressionnisme français sur la peinture polonaise de la fin du XIXᵉ siècle. Ensuite, nous exposons les principales différences entre les effets impressionnistes originaux et ceux provenant du style polonais. La deuxième partie de l’article est consacrée à la présentation d’un poème de Kazimierz Przerwa-Tetmajer, dit le plus grand poète impressionniste polonais de l’époque de la Jeune Pologne (1890–1918).

1. La première rencontre des peintres et du public polonais avec l’impressionnisme français

3Le public polonais a été exposé pour la première fois dans les années quatre-vingt du XIXᵉ siècle à un nouveau mouvement artistique d’origine française. En effet, en 1883, la presse varsovienne note la mort d’Edouard Manet considéré comme le plus grand peintre français d’avant-garde. Dans l’article paru dans Tygodnik Ilustrowany [Hebdomadaire illustré], on mentionne aussi les noms des « élèves de Edouard Manet » : Edgar Degas, Claude Monet et certain Guillemet (surement, il s’agit de Jean-Baptiste Antoine Guillemet, peintre et un ami proche de Edouard Manet), ensuite les principes du nouveau courant artistique et – ce qui semble important dans la perspective de l’impressionnisme littéraire – le nom d’Emil Zola, cité dans l’article déjà comme un « écrivain de l’école impressionniste3 ». Cependant, une vraie rencontre des admirateurs polonais de la peinture avec les principes du nouveau courant artistique a eu lieu au début des années 1890 après le retour de Paris de deux jeunes peintres : Władysław Podkowiński (1866–1895) et Józef Pankiewicz (1866–1940)4, considérés aujourd’hui comme les plus importants impressionnistes polonais, qui venaient de réaliser leurs premières toiles sous l’influence des expositions parisiennes.

4Pour Podkowiński, la « manière bleue » était juste un épisode dans sa vie artistique, mais ses toiles – comme, par exemple, les tableaux : Łubin w słońcu [Lupin au soleil] ; W ogrodzie [Dans le Jardin] ; Sad w Chrzęsnem [Le jardin à Chrzesne] – font aujourd’hui partie des ouvrages canoniques de la peinture impressionniste en Pologne.

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Ill.1 : Władysław Podkowiński, W ogrodzie [Dans le jardin], 1892

Source :https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Podkowinski_W_ogrodzie_1892.jpg  C-PD-Mark / PD-Art (PD-old-100) / Files with no machine-readable author

5En revanche, Józef Pankiewicz est resté attaché à l’impressionnisme beaucoup plus longtemps. Parmi ses tableaux les plus célèbres, nous pourrions énumérer : Wóz z sianem [La Charrette de foin] ou Lato [L’Été].

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Ill. 2. Józef Pankiewicz, Wóz sianem [La Charrette de foin]

Source:https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pankiewicz_Woz_z_sianem_1890.jpg Artworks without Wikidata item / CC-PD-Mark / PD Old / Files with no machine-readable author

6Podkowiński et Pankiewicz n’ont pas été les seuls à travailler avec la lumière et à essayer de mettre en œuvre les principes du « style bleu ». Il ne faut pas oublier non plus Aleksander Gierymski (1850–1901)5, Stanisław Masłowski (1853–1926)6, Julian Fałat (1853–1929)7, Jan Ciągliński (1858–1913)8, Leon Wyczółkowski (1852–1936)9, Jan Stanisławski (1860–1907)10, Ludwik de Laveaux (1868–1894)11 et au moins une femme, Anna Bilińska (1857–1893)12.

7Les traces de l’impressionnisme français sont visibles dans les œuvres des artistes mentionnés, mais leur peinture n’est pas limitée aux analyses des rapports entre la couleur et la lumière naturelle. L’art polonais de la deuxième moitié du XIXᵉ siècle restait sous une grande influence des idées romantiques. Les visions réalistes de la nature, typiques pour les œuvres des artistes polonais des années 1880–1900, n’étaient pas dépourvues d’esprit national et patriotique mais en même temps – symbolique et mystique. La lumière naturelle, étudiée par les peintres et transposée dans leurs tableaux, avait un caractère réel qui permettait de reproduire parfaitement toutes les nuances de la nature. En même temps, on pressent aussi un voile de nostalgie caractéristique pour tout l’art polonais du XIXᵉ siècle. Une partie de la peinture polonaise de cette époque reste attachée aux postulats romantiques. Il est incontestable que les artistes polonais ont bien compris la théorie des courants artistiques d’avant-garde française des dernières décennies du siècle. Cependant, c’est plutôt la phrase écrite dans les années 50 du XIXᵉ siècle par un romantique Henri Amiel : « Un paysage quelconque est un état de l’âme13 », peut être utilisée comme le slogan décrivant toute l’époque de la fin de siècle en Pologne. L’impressionnisme à la polonaise n’était pas un courant artistique qui renvoyait le public uniquement aux expériences et aux sensations du l’œil du peintre. Mélancolique et sentimental, il se situe beaucoup plus près du Stimmung de la peinture allemande.

8Wiesław Juszczak, historien de l’art et philosophe polonais contemporain, théoricien et critique, dans son célèbre essai consacré au modernisme polonais place la notion « impressionnisme » dans le contexte du terme « luminisme ». Juszczak définit le « luminisme » d’un côté comme un effet pictural – reproduction de la lumière réelle sur des toiles des impressionnistes polonais mais de l’autre côté, il souligne des valeurs sémantiques et symboliques de la « luminance » surnaturelle qu’il retrouve sur ces tableaux. En analysant la peinture de la fin du XIXᵉ siècle, Juszczak distingue particulièrement l’influence des idées romantiques (surtout mystiques) sur l’art du modernisme polonais. Le critique constate que la genèse de toute la « lumière », dite « luminance » ou « brillance » des réalisations picturales polonaises de cette époque-là n’est pas univoque. Nous y lisons, entre autres, un passage important concernant la problématique en question :

Le luminisme avait chez nous [dans la peinture polonaise – JB] l’affiliation autant impressionniste que romantique. Il pouvait s’inspirer aussi bien de la peinture étrangère que de la tradition poétique polonaise. […] Cette origine explique le caractère du luminisme polonais, ses particularités, son rattachement organique à « l’ambiance » symbolique et au symbolisme lui-même14.

9C’est pourquoi Juszczak conclut que l’on ne peut pas dire que l’impressionnisme « pur » avait existé dans l’art polonais de la fin du XIXᵉ siècle15. Il a fonctionné au niveau des expériences « techniques », donnant lieu à ce jeu spécifique qui se réalise dans la rétine de l’œil du peintre où toutes les couleurs se mélangent sous l’emprise de la lumière naturelle. Cependant, ce procédé artistique ne s’est jamais confirmé comme un style « pur » dans la peinture polonaise. Sur les toiles des impressionnistes polonais, au lieu de la réalité tout à fait contemporaine, existant hic et nunc, attrapée spontanément et préservée dans des images créées de petites taches de couleurs, nous retrouvons la nature expressive, évoquant des visions mélancoliques et romantiques. Juszczak constate que l’image impressionniste de la nature que l’on découvre sur les toiles polonaises de cette époque-là était « déformée » par une sorte de lyrisme ou nostalgie plutôt pressentis que visibles. En analysant les raisons de cette particularité stylistique, il considère que les artistes polonais ne voyaient pas dans la nature son évidence physique voire optique mais, avant tout, « un langage de l’esprit », « un instrument de la mémoire », « une source d’expression » ou bien « un moyen pour extérioriser tous les mouvements des choses du monde humain et extrahumain16 ». Juszczak conclut ses réflexions à ce propos :

Même si les influences françaises [sur la culture polonaise – JB] à la fin des années 80 et dans les années 90 [du XIXᵉ siècle – JB] avaient été cent fois plus fortes, elles n’auraient pu effectivement changer les conditions générales réglant ces attitudes [idéologiques des Polonais – JB] [...]17.

2. Les traces impressionnistes dans la poésie polonaise de la fin du XIXᵉ siècle

10Les recherches sur l’impressionnisme dans la poésie polonaise se focalisent autour de deux questions fondamentales. La première concerne la problématique de la traduction intersémiotique18 qui se résume en cinq principaux points :

11- l’impressionnisme poétique fait partie d’un contexte plus large et qui concerne la correspondance des arts ; l’interaction entre les expressions artistiques permet de comparer les procédés appliqués dans les domaines artistiques différents

12- l’impressionnisme poétique est une conséquence de l’impressionnisme pictural, il se constitue par l’analogie du courant artistique

13- l’impressionnisme poétique se contente d’enregistrer les impressions visuelles tout en gardant le sujet lyrique dans la passivité par rapport au monde décrit

14- dans l’impressionnisme poétique les descriptions de l’espace ainsi que des formes sont subjectives, spontanées et immédiates

15- dans l’impressionnisme poétique, la langue est suggestive, vigoureuse et « picturale » au sens qu’elle provoque des visualisations des situations décrites ; les poètes particulièrement appréciaient d’introduire dans leurs poèmes les effets du mouvement comme la vibration de la lumière, les couleurs floues et instables, les effets atmosphériques passagers (brouillard, vapeur, fumée)19.

16La deuxième question concernant l’impressionnisme littéraire est liée aux moyens d’adaptation des effets impressionnistes dans la poésie polonaise. Nous voudrions présenter la réalisation de ces effets artistiques dans l’un des poèmes de Kazimierz Przerwa-Tetmajer20.

17Tetmajer a publié son premier recueil de poésieen 1891 mais ce ne sont que le deuxième (1894) et le troisième (1898) qui lui ont apporté la réputation du plus grand poète de la dernière décennie du XIXᵉ siècle et la réputation de la voix de la nouvelle génération. Le troisième livret poétique de Tetmajer apparait à son retour au pays après un grand voyage entamé en Europe et particulièrement en Italie. Le recueil est composé des poèmes colorés, lumineux et considérés comme les plus brillants de la poésie polonaise de cette époque-là. Parmi les thèmes préférés par le poète, il faut citer la nature – la Mer Thyrénienne en Italie et les montagnes polonaises Tatras. Cependant, la Baie de Naples, admirée au XVIIIᵉ et au XIXᵉ siècle par les peintres et poètes célèbres tels que Joseph Wright21, Ivan Aivasovsky22 ou Johann Wolfgang Goethe23, est devenue pour Tetmajer un endroit presque magique, marqué par la couleur caractérisant le sud de l’Italie : le bleu azur de la mer et du ciel. Le poème intitulé Dans la Baie de Naples24 est entièrement fondé sur la couleur bleue et ses multiples nuances. Nous y trouvons des expressions telles que « la surface de l’eau bleu argenté25 », « la sphère infinie azurée26 », « le monde entier se transforme en azur27 ».

18Les teintes sont enrichies par des effets lumineux : la surface de l’eau brille « comme un métal28 » ou « le soleil a appuyé son éclat sur la surface de l’eau29 ». Les effets impressionnistes présents dans la poésie de Tetmajer rappellent l’image de la nature réalisée dans les nombreuses toiles des peintres impressionnistes. En effet, ses poèmes tout en voyant le monde comme un grand spectacle de la nature, évoquent la lumière et la couleur comme les principaux acteurs de toute la créativité.

19Pour les artistes impressionnistes, la hiérarchie académique des sujets peints30 a cessé d’exister. Les peintres réclamaient la vérité contre toutes les conventions du jury aux Salons, ils traitaient tout l’environnement également et n’apercevaient plus de différence entre leurs modèles : des fragments du paysage, des personnes, des objets étaient tous définis par le pinceau des artistes de la même manière – juste comme l’un des éléments de la nature. Nous retrouvons également ce genre d’influence dans la poésie de Tetmajer. Dans le poème consacré à la Baie de Naples, il est marqué :

Quel silence, quel silence étrange

Quelle paix merveilleuse dans cette nature

Tout se noie, l’eau, la terre, le ciel

Dans un azur translucide, lumineux31.

20Cependant, dans le silence absolu évoqué dans le poème de Tetmajer, nous trouvons aussi les deux perspectives différentes, les deux perceptions distinctes de la nature et de l’univers. D’un côté, le poète enregistre la perception sensorielle, dépendant de sa propre sensibilité aux stimulations extérieures ; de l’autre – on ressent la perception extrasensorielle qui conduit aux visions symboliques et mystiques. En effet, le poète, tout en utilisant les effets impressionnistes, crée une image de l’univers où tous les éléments cosmiques pourraient retrouver leurs analogies, nous rappelant ainsi du verset de Charles Baudelaire – leurs correspondances32. Le tableau poétique de Tetmajer rappelle aussi bien l’idée des correspondances romantiques que l’expérience mystique d’Emanuel Swedenborg qui proclamait l’existence des analogies entre le monde matériel et le monde spirituel33. La théorie du théologien suédois du XVIIIᵉ siècle intéressait beaucoup d’abord les romantiques, y compris les romantiques polonais34, et ensuite les symbolistes de la fin du XIXᵉ siècle. L’extrait du poème qui s’en suit illustre parfaitement l’influence de ce mouvement intellectuel mystique :

Le monde entier se transforme en azur,

Le silence de la terre avec la somnolence du ciel solitaire

Le monde transformé en azur semble

Être sa propre âme rêveuse35.

21Encore une fois, on constate l’emprise de la lumière et des couleurs sublimes du sud italien sur le regard du poète qui déclenche la présence des deux perspectives esthétiques distinctes. Le poète les a utilisées simultanément dans ses plusieurs ouvrages lyriques, décrivant aussi bien la surface de la mer italienne que les sommets des montagnes polonaises. D’un côté, c’est sûrement une perspective impressionniste, une description du paysage dépendant entièrement de la lumière naturelle. Tetmajer était un bon observateur de na nature. Comme un vrai peintre impressionniste, il commençait ses poèmes en spécifiant le moment de la journée qui devient, à son tour, un moyen que le poète utilise pour exprimer   ses sentiments lyriques. Dans la première strophe de son poème Tetmajer décrit : « le soleil a appuyé son éclat sur la surface de l’eau / Et il s’est endormi dans la sphère infinie azurée36 ». Cependant, cette situation tout à fait naturelle, qui nous montre le moment où la mer est vue sous le soleil au zénith, se transforme dans la troisième strophe en une vision beaucoup plus irréelle. Le monde perd sa matérialité et semble devenir sa propre « âme rêveuse », toujours en bleu azur – la couleur associée depuis l’Antiquité aux cieux et aux expériences mystiques37.

3. Conclusion

22On peut dire que dans le poème de Tetmajer intitulé Dans la Baie de Naples, les éléments impressionnistes sont davantage enrichis par les éléments symbolistes de la fin du XIXᵉ siècle. Le poète y évoque sa propre image du monde : en effet, il s’agit d’un monde idéal, imprégné par le mysticisme et la profonde corrélation entre le monde matériel et le monde spirituel. Pour concevoir cette vision d’une nature idéalisée, Tetmajer a utilisé de simples effets impressionnistes : en évoquant la surface de la mer et du ciel qui s’unissent dans la lumière il interpelle les couleurs dans l’air vibrant de la chaleur du sud italien. Cependant, quand le paysage extérieur du poème se transforme en paysage intérieur de l’âme, une vision impressionniste évolue en une image symbolique. La présence de ce double regard, à la fois impressionniste et symbolique, se trouvant chez Tetmajer caractérise également la poésie des autres auteurs de la Jeune Pologne38.

23Pour conclure, on peut constater que presque toute la poésie polonaise de la fin du XIXᵉ siècle ne reflète pas un impressionnisme « pur », fondée principalement sur la stimulation visuelle. On y remarque la présence de différents types de perception et de vécu émotionnel. Dans la plupart des poèmes impressionnistes polonais, le rôle des descriptions multi-sensorielles de la nature est d’exprimer les sentiments et la sensibilité lyrique du poète. C’est notamment cet aspect affectif et sentimental qui aère l’élan « impressionniste pur ». Un tel regard sur le monde se situe déjà entre l’impressionnisme et le symbolisme, entre la contemplation de la beauté de la nature et la recherche des émanations des sentiments et des affections humains. Les propos d’Henri Amiel notés dans son journal intime vont dans ce sens : « L’âme du monde est plus ouverte et intelligible que l’âme individuelle ; elle a plus d’espace, de temps et de force pour sa manifestation39 ». C’est peut-être pour cette raison que l’âme polonaise du XIXᵉ siècle cherchait à se manifester dans la nature vue comme un espace toujours libre et indépendant. Et c’est aussi pour cette raison que l’impressionnisme pictural et poétique à la polonaise se situait entre la perception sensorielle du monde et la perception des Idées cachées sous les symboles dans la nature (ou même : de la nature). C’est la raison pour laquelle les artistes et les poètes polonais avaient une double démarche : d’un côté, impressionnés, ils observaient le monde et le capturaient sur leurs toiles et dans leurs poèmes, et de l’autre côté, ils étaient constamment sous l’emprise des idées romantiques. Cette oscillation entre l’impressionisme et le mysticisme devient une des principales caractéristiques du style poétique de la première décennie de la Jeune Pologne.

Bibliographie

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Yae-Jin Yoo, « Marcel Proust et Gustave Moreau : du symbolisme à l’impressionnisme », Romance Notes, 2014, nº 2, p. 211-219.

Notes

1  Voir, entre autres : Yae-Jin Yoo, « Marcel Proust et Gustave Moreau : du symbolisme à l’impressionnisme », Romance Notes 2014, Vol. 54, Nº 2, pp. 211–219 ; Impressionnisme et littérature, sous la dir. G. Gengembre, Y. Leclerc, F. Naugrette,Presses universitaires de Rouen et du Havre, Rouen 2013, 236 p. ; A. Vossoughi, F. Khan Mohamadi, M. Zibaï, « Verlaine et les aspects impressionnistes de sa poésie (Regard sur les Romances sans paroles et comparaison de deux poèmes du recueil des Poèmes saturniens avec deux tableaux de Monet) », Revue des Études de la Langue Française 2010–2011, Nº 3, pp. 79–91; B. Vouilloux, « L’impressionnisme littéraire : une révision », Poétique 2000, nº 121, pp. 61–92 ;A. W. G. Kingma-Eijgendaal, « Quelques effets impressionnistes », Neophilologus 1983, 67 (3), p. 353–367 ; Ph. Hamon, « A propos de l’impressionnisme de Zola », Cahiers Naturalistes 1967, nº 34, p. 139–147 ; M. Décaudin, « Poésie impressionniste et poésie symboliste. 1870–1910 », Cahiers d’Association internationale des études françaises 1960, Vol. 12, nº 1, pp. 133–142 ; R. Moser, L’impressionnisme français : Peinture, Littérature, Musique, Droz, Genève 1952, 281 p.

2  Voir, entre autres : A. Rossa, Impresjonistyczny świat wyobraźni. Poetycka i malarska kreacja pejzażu, Universitas, Kraków 2003,362 p. ; W. Bolecki, « Impresjonizm w prozie modernizmu », Teksty Drugie 2003, nº 4 (82), p. 17–33 ; M. Głowiński, « Impresjonizm », in: Słownik literatury polskiej XX wieku, réd. J. Sławiński, Ossolineum, Wrocław 1992, pp. 418–421 ; M. des Loges, « Impresjonizm w literaturze », in : Sprawozdania z posiedzeń Wydziału I Językoznawstwa i Historii Literatury 1948 (XVI), Warszawa 1949, pp. 34–45.

3  La note a paru dans le magazin Tygodnik Ilustrowany 1883, nº 20 (le 19 mai), p. 316, voir aussi :Z. Kępiński, Impresjonizm, Wydawnictwa Artystyczne i Filmowe, Warszawa 1982, p. 337. Quelques années plus tard, d’autres articles ont paru concernant aussi bien l’impressionnisme que le symbolisme français, entre autres : F. Rawita-Gawroński, « Wybitniejsze prądy w najnowszej literaturze francuskiej », Prawda 1886, nº 39–40 ; E. Przewóski, « Literatura francuska », Prawda 1886, nº 46 ; idem, « Juliusz Lemaitre. Krytyk impresjonista », Ateneum 1889, T. 1, pp. 12–38 ; L. Winiarski, « Impresjoniści Warszawie », Przegląd Tygodniowy 1890, nº 37 ;W. Gerson, « Impresjonizm », Biblioteka Warszawska 1891, T. 1, pp. 95–106.

4  A. Osęka, « Epizod impresjonizmu warszawskiego (1890–1894) », Sztuka i Krytyka 1957 (VIII), nº 1 (29), pp. 83–129 ; plus informations (et la bibliographie) sur la vie et l’œuvre de Władysław Podkowiński et Józef Pankiewicz : J. Bajda, « Les influences culturelles françaises sur la culture polonaise de la fin du XIXe siècle », Revue du CEES. Centre Europeen d’études slaves 2014, nº 3, à consulter online : http://etudesslaves.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=619

5  Parmi les toiles les plus connues, on peut citer : Żydówka w pomarańczami [La Juive aux oranges], 1881 ; W altanie [Sous la tonnelle], 1882 ; Święto trąbek [La Fête des Trompettes], 1884 ; Piaskarze [Les ouvriers des sablières], 1887 ; Plac Wittelsbachów w Monachium w nocy [La Place de Wittelsbach à Munich de nuit], 1890 ; Luwr nocą [Louvre de nuit], 1892 ; Chłopiec niosący snop [Le Garçon portant une gerbe], 1895.

6  Les tableaux exemples : Poręba [La Clairière], 1880 ; Targ za Żelazną Bramą [Le Marché près de La Żelazna Brama], 1884 ; Moczary [Le Marais], 1880-1890 ; Lasek [Le Bois], 1880-1890 ; Fontanna w ogrodach Palazzo Colonna [La Fontaine dans les jardins de Palazzo Colonna], 1904.

7  Les tableaux exemples : Widok Krakowa [Le Panorama de Cracovie], 1896 ; Pejzaż zimowy – Kraków [Le paysage d’hiver – Cracovie], 1897 ; Krajobraz zimowy z rzeką [Le paysage d’hiver avec la rivière], 1907 ; Śnieg [La neige], 1907 ; Ogród [Le jardin], 1908.

8  Les tableaux exemples : Taras nad morzem. Z podróży do Konstantynopola [Le terrasse près de la mer. Lors de voyage à Constantinople], 1893 ; Plac św. Marka w Wenecji, rankiem. Z podróży do Włoch [Place de Saint Marc à Venice du matin. Lors de voyage en Italie], 1894.

9  Les tableaux exemples : Orka na Ukrainie [Le labeur en Ukraine], 1892 ; Giewont o zachodzie słońca [Le sommet Giewont lors du coucher de soleil], 1898 ; Mnich nad Morskim Okiem [Le sommet Moine près du Lac L’Œil de Mer], 1904 ; Las w Zakopanem w słońcu [La forêt à Zakopane], 1905.

10  Les tableaux exemples : Bodiaki [Les Chardons], 1885 ; Kwitnące maki [Les coquelicots fleurissant], 1887 ; Ule na Ukrainie [Les ruches en Ukraine], 1895 ; Topole nad wodą [Peupliers près de l’eau], 1900 ; Obłoki nad Dnieprem [Les nuages au-dessus de Dniepr], 1903.

11  Ludwik de Laveaux était peintre d’une famille d’origine française installée en Pologne en XVIIIᵉ siècle. Parmi ses œuvres, on peut mentionner : W drodze do Morskiego Oka [En route vers le Lac L’Œil de Mer], 1889 ; Fragment panoramy Paryża z widokiem na wieżę Eiffla [Un fragment du panorama de Paris avec une vue sur la Tour Eiffel], 1890 ; Bulwar Montparnasse [Boulvard du Montparnasse], 1890–1893 ; Plac Opery w Paryżu [Place de l’Opera à Paris], 1893.

12  Les tableaux exemples : Bretonka na progu domu [La Bretonne sur le seuil de sa maison], 1889; Ulica Unter den Linden w Berlinie [Rue Unter den Linden à Berlin], 1890.

13  H. Amiel, Fragments du Journal intime. Nouvelle édition conformée au texte original, introduction B. Bouvier, Librairie Stock, Paris 1927, Tome 1, p. 51 [écrit le 31 octobre 1852].

14  W. Juszczak, Modernizm, in : idem, Malarstwo polskiego modernizmu, éd. słowo / obraz terytoria, Gdańsk 2004, p. 76–77. Le texte original : « Luminizm miał więc u nas tyle impresjonistyczny, co romantyczny rodowód. Mógł czerpać wzory zarówno z obcego malarstwa, jak i z rodzimej tradycji poetyckiej. […] Takie pochodzenie tłumaczy charakter polskiego luminizmu, jego osobliwości, jego od początku organiczny związek z « nastrojem » symbolicznie rozumianym i z samym symbolizmem ».

15 Ibidem, p. 77.

16 Ibidem, p. 77. Les notions originales : « mowa ducha », « instrument pamięci », « źródło ekspresji », « środek uzewnętrzniający wewnętrzne poruszenia rzeczy ludzkiego i pozaludzkiego świata ».

17 Ibidem, p. 78. Le texte original : « Gdyby francuskie wpływy w końcu lat osiemdziesiątych i w latach dziewięćdziesiątych były nawet stokroć silniejsze, i tak nie mogłyby istotnie zmienić ogólnych warunków rządzących owymi postawami […] ».

18 Voir : A. Rossa, op. cit.; W. Bolecki, op. cit.; W. Głowiński, op. cit.; M. des Loges, op. cit.

19  D’après : J. Bajda, « Impresjonizm », in: Epoki literackie. Wielki leksykon literatury polskiej, Wydawnictwo Dolnośląskie, Wrocław 2004, pp. 658–659.

20  Kazimierz Przerwa-Tetmajer n’était pas seul poète considéré comme impressionniste. Parmi les autres, on énumère aussi Jan Kasprowicz, Bronisława Ostrowska, Maryla Wolska ou Jan Pietrzycki.

21  Par exemples : Caverne près de Naples, 1774 ; Coucher de soleil sur la côte près de Naples, 1778.

22  Par exemples : La Baie de Naples et le Vésuve de nuit, 1840 ; Baie de Naples de nuit, 1842 ; Baie de Naples, 1845 ; Baie de Naples dans la brume matinale, 1874.

23  J. W. Goethe a noté l’admiration pour la ville de Naples dans son journal intime surtout le 3 mars 1787, in : idem, Œuvres de Goethe, trad. J. Porchat, IX: Voyage en Suisse et Italie, Librairie de L. Hachette et ©, 1862, pp. 238–239.

24  K. Przerwa-Tetmajer, W Zatoce Neapolitańskiej [Dans la Baie de Naples], in : idem, Poezje. Seria trzecia, Gebethner et Wolff, Warszawa–Kraków 1898, p. 36.

25  Ibidem, expression originale : « srebro-modra powierzchnia wód ».

26  Ibidem, expression originale : « błękitna bezbrzeż ».

27  Ibidem, expression originale : « w jeden lazur świat się zmienia cały ».

28  Ibidem, expression originale : « jak metal błyszcząca ».

29  Ibidem, expression originale : « słońce wsparło się o wodę blaskiem ».

30  Le jury des Salons considérait les thèmes tirés de la mythologie et de la Bible comme les sujets de peinture les plus importants. Les thèmes historiques et allégoriques étaient également appréciés. Par contre, le paysage et la nature morte ont été notés beaucoup plus bas.

31  K. Przerwa-Tetmajer, op. cit.; texte original : « Jaka dziwna, jaka dziwna cisza / Jaki dziwny spokój w tej naturze / Wszystko tonie, woda, ziemia, niebo / W przeźroczystym, świetlistym lazurze».

32  Voir : Ch. Baudelaire, Correspondances : « Comme de longs échos qui de loin se confondent / Dans une ténébreuse et profonde unité, / Vaste comme la nuit et comme la clarté, / Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».

33  E. Swedenborg, Traité des représentations et des correspondances [Clavis Hieroglyphica arcanorum naturalium et spiritualitium per viam Repraesentationum et Correspondentiarum, 1741, publié à Londres en 1784], trad. en français par J.F.E. Le Boys des Guays, Saint-Amand, Librairie de la Nouvelle Jérusalem, 1857.

34  Voir : Jean Paul Richter, Friedrich Schleiermacher, Phillipe Otto Runge, David Friedrich, Karl Trahndorff et Richard Wagner (conception du Gesamtkunstwerk), Charles Baudelaire (poème Correspondances), et parmi les auteurs polonais : Juliusz Słowacki, Cyprian Kamil Norwid. Voir, entre autres : M. Sokolska, Opera a dramat romantyczny : Mickiewicz – Krasiński – Słowacki, Wydawnictwo Uniwersytetu Jagiellońskiego, Kraków 2009, 406 p. ; I. Woronow, Romantyczna idea korespondencji sztuk: Stendhal, Baudelaire, Hoffmann, Norwid, Wydawnictwo Uniwersytetu Jagiellońskiego, Kraków 2008, 246 p.; D. Kudelska, Juliusz Słowacki i sztuki plastyczne, Lublin 1997 ; J. Starzyński, O romantycznej syntezie sztuk: Delacroix, Chopin, Baudelaire, PIW, Warszawa 1965, 258 p.

35  K. Przerwa-Tetmajer, op. cit., le texte original : « W jeden lazur świat się zmienia cały, / Cisza ziemi z senną nieba głuszą; / W jeden lazur świat zmieniony zda się / Być swą własną zadumaną duszą ».

36  Ibidem, le texte original : „Słońce wsparło się o wodę blaskiem / I zasnęło w błękitnej bezbrzeży”.

37  W. Kopaliński, Słownik symboli, Wiedza Powszechna, Warszawa 1990, pp. 27–28.

38  Par exemple : Stanisław Korab-Brzozowski, Wincenty Korab-Brzozowski, Bogusław Butrymowicz, Jan Kasprowicz, Edward Leszczyński, Wacław Rolicz-Lieder; voir : J. Bajda, Poezja drugiej połowy XIX wieku (pozytywizm – Młoda Polska [Poésie de la deuxième moitié du XIXᵉ siècle (réalisme – La Jeune Pologne)], éd. Alinea, Wrocław 2007, 591 p.

39  H. Amiel, op. cit., p. 51.

Pour citer ce document

Par Justyna Bajda, «Les empreintes franco-polonaises: les traces impressionnistes dans la poésie polonaise de la fin du XIXᵉ siècle», Revue du Centre Européen d'Etudes Slaves [En ligne], Numéro 7, Langues, Littératures, Interculturalité, La revue, mis à jour le : 07/12/2021, URL : https://etudesslaves.edel.univ-poitiers.fr:443/etudesslaves/index.php?id=1367.

Quelques mots à propos de :  Justyna Bajda

Justyna Bajda est professeur à l’Institut d’Études polonaises (Faculté des Lettres) à l’Université de Wrocław (Pologne). Elle est spécialiste du XIXᵉ siècle dans les domaines de l’art, de la culture et de la littérature en Pologne et en Europe. Livres publiés : Na przełomie wieków... [À la charnière de deux siècles...], Wydawnictwo Dolnośląskie, Wrocław 2002, 48 p.; Młoda Polska [La Jeune Pologne], Wydawnictwo Dolnośląskie, Wrocław 2003, 222 p.; Poezja a sztuki piękne. O świadomości estetycznej ...

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