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Les proverbes français avec les lexèmes âne et cheval et leurs équivalents serbes
Par Ivan JOVANOVIĆ
Publication en ligne le 02 février 2015
Résumé
У раду се, контрастивним приступом, анализирају пословице с лексемама магарац и коњ у француском и српском језику с циљем да се покаже у којој мери нам искуства и знања о појединим основним појмовима помажу да разумемо апстрактне појмове уз помоћ метафоре. Пословице су анализиране у оквиру теоријских постулата когнитивне лингвистике да би се утврдило које се појмовне метафоре у њима најчешће јављају и колики је степен сличности у концептуализацији апстрактних и конкретних домена помоћу изворног домена магарац и коњ у француском и српском језику. Пословице су класификоване у две групе: пословице исте или сличне лексичко-семантичке структуре и пословице различите лексичке, а исте семантичке структуре. У оквиру наведених група, пословице су подељене у следеће обрасце: људи су животиње, проблеми/потешкоће су животиње, ствари су животиње и ситуација је животиња, активност/посао људи је активност везана за животињу.
Dans cet article, en nous appuyant sur l’approche contrastive, nous nous proposons d’analyser les proverbes français avec les lexèmes âne et cheval et leurs équivalents serbes afin de montrer à quel point notre expérience et notre connaissance de certains concepts de base nous aident à comprendre des concepts abstraits à l’aide de la métaphore. Les proverbes sont analysés dans le cadre de la linguistique cognitive afin de déterminer les métaphores conceptuelles y figurant habituellement ainsi que le degré de similitude dans la conceptualisation des domaines abstraits et concrets à l’aide du domaine source âne, cheval en français et en serbe. Les proverbes contenant les lexèmes âne et cheval sont classés en deux catégories : ceux qui sont de même structure lexico-sémantique ou de structure lexico-sémantique similaire et ceux qui ont une structure lexicale différente mais une même structure sémantique. Dans le cadre des catégories citées précédemment, nous avons également divisé les proverbes selon les modèles suivants : les humainssont des animaux, les problèmes/les difficultés sont des animaux, les choses et les situations sont des animaux, l’activité/le travail des gens est lié (e) aux animaux.
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Table des matières
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Les proverbes français avec les lexèmes âne et cheval et leurs équivalents serbes (version PDF) (application/pdf – 440k)
Texte intégral
Introduction
1Le proverbe, en tant qu’unité syntaxique et cognitive, se définit comme une phrase structurée par des lois formelles et rhétoriques et comme un énoncé „à armature symétrique“ caractérisé par un système d’oppositions1. Il exprime une logique du jugement, une logique de l’action et souvent une morale.
2Jean-Claude Anscombre considère le proverbe comme un produit collectif, une pratique sociale qui est régi par des normes, des lois, qui doit être facile à mémoriser et qui doit aborder les problèmes touchant de près des utilisateurs. En échange verbal, le proverbe n’est pas neutre. Il comporte des aspects expressifs et il est choisi en fonction de la visée discursive du locuteur dans le but d’obtenir un certain effet pragmatique sur des destinataires, sur la situation de communication2.
3Malgré d’évidentes différences culturelles, tous les proverbes ont en commun un type de contenu. Leurs assertions sont générales ou généralisables, ce que marque en français l’emploi d’articles définis, l’absence d’article, l’usage d’autres déterminants.
4Même si le français et le serbe appartiennent à la même famille de langues, la famille indo-européenne, l’appartenance à des groupes linguistiques différents ainsi que d’autres paramètres de nature diverse ont participé à la formation de contextes distincts sur le plan culturel. De là, on peut supposer que cette diversité aura un écho dans le domaine proverbial.
5L’objectif du présent article est d’analyser les proverbes français avec les lexèmes âne et cheval et leurs équivalents serbes afin de montrer à quel point notre expérience et notre connaissance de certains concepts de base nous aident à comprendre des concepts abstraits à l’aide de la métaphore. Les proverbes sont analysés dans le cadre de la linguistique cognitive afin de déterminer les métaphores conceptuelles y figurant habituellement ainsi que le degré de similitude dans la conceptualisation des domaines abstraits et concrets à l’aide du domaine source âne, cheval en français et en serbe. Les proverbes contenant les lexèmes âne et cheval sont classés en deux catégories : ceux qui sont de même structure lexico-sémantique ou de structure lexico-sémantique similaire et ceux qui ont une structure lexicale différente mais une même structure sémantique. Le but recherché, lorsque l’on compare deux langues, étant de trouver des formes équivalentes, nous devons respecter deux critères afin de pouvoir établir des équivalences : ce sont les critères de forme et de sens. Si les équivalents serbes sont de même forme ou de forme similaire et de même sens, on dit qu’il s’agit d’une équivalence totale ou partielle. Si les équivalents serbes n’ont pas la même structure lexicale, mais qu’ils ont la même structure sémantique, on considère qu’il s’agit d’une équivalence partielle3.
6Dans le cadre des catégories citées précédemment, nous avons également divisé les proverbes selon les modèles suivants :les humains sont des animaux, les problèmes/les difficultés sont des animaux, les choses et les situations sont des animaux, l’activité/le travail des gens est lié aux animaux.
1. Matériel, méthodes et modèles théoriques
7Notre matériel est basé sur des proverbes tirés de plusieurs sources – des dictionnaires parémiologiques et des recueils de proverbes. Quant au corpus français, nous nous sommes appuyés principalement sur le dictionnaire de proverbes et dictons de F. Motreynaud, A. Pierron et F. Suzzoni étant donné qu'il s’agit de l’ouvrage qui présente le plus grand nombre de proverbes avec les lexèmes âne et cheval. Nous avons également exploité le recueil de proverbes de R. De Lincy, de M. Maloux ainsi que les dictionnaires des proverbes et des dictons de J.- Y. Dournon et J. Bardin. Pour quelques proverbes, nous avons consulté le TLF et le dictionnaire des expressions et locutions françaises de S. Chantreau et A. Rey.
8En ce qui concerne le corpus serbe où nous avons trouvé des équivalents, il est principalement composé de recueil de proverbes de V. Karadžić, étant donné qu’il s’agit de l’œuvre la plus représentative dans le domaine parémiologique serbe. Un certain nombre de proverbes serbes provient du dictionnaire des constructions idiomatiques de B. Milosavljević et du dictionnaire de la langue serbe de Matica srpska et de SANU.
9À partir des références citées, nous avons analysé un corpus de quarante et un proverbes contenant le lexème âne et cheval. Quinze proverbes présentent une même structure lexico-sémantique ou une structure lexico-sémantique similaire (36,58%) tandis que vingt six ont une structure lexicale différente mais la même structure sémantique (63,42%). En ce qui concerne les équivalents serbes, ils sont au nombre de cinquante et un. Il est à noter que, pour quelques proverbes français, nous avons trouvé plus d’un équivalent serbe.
10En vue d’analyser les proverbes français comprenant les lexèmes âne et cheval et leurs équivalents serbes, nous sommes partis du français pour aller vers le serbe en utilisant, dans notre recherche, la méthode comparative et contrastive avec l’objectif de révéler les ressemblances et les différences qui existent dans la structure des proverbes français présentant les lexèmes âne et cheval et leurs équivalents serbes.
11Quand au modèle théorique, notre recherche est basée sur la théorie des prototypes et sur la portée et les connaissances de la linguistique cognitive, notamment sur la métaphore conceptuelle. Jusqu’à présent, selon les enseignements d’Aristote la métaphore est considérée comme une expression pittoresque caractéristique des textes d’arts et de littérature, pouvant être décrite comme une figure de style, c’est-à-dire comme une décoration utilisée pour rendre un texte inhabituel et susciter chez l’auditeur ou le lecteur un effet particulier. Contrairement aux enseignements d’Aristote, la linguistique cognitive situe la métaphore dans le processus même de la pensée, dans lequel elle apparaît comme l’un des principes organisationnels du système conceptuel humain. Selon cette approche, la métaphore est définie comme « la compréhension d’un concept ou domaine conceptuel à l’aide d’un autre concept ou domaine conceptuel ». Lakoff et Johnson soulignent qu’une telle définition de la métaphore est principalement une question de la pensée et puis de la langue car, afin de pouvoir exister dans la langue, la métaphore doit d’abord apparaître dans la pensée. Pour souligner l’appartenance de la métaphore à la pensée, on introduit la notion de métaphore conceptuelle. Le mécanisme de la métaphore conceptuelle consiste à cartographier la structure d’un concept (ou domaine conceptuel), qui est généralement une perception connaissable et bien connu, dans un autre domaine. Le domaine qui « prête » sa structure est appelé domaine source, et celui qui est fondé sur sa compréhension est nommé domaine cible. Le domaine source de la métaphore conceptuelle est, dans la plupart des cas, sensuellement connaissable, concret (il concerne le corps humain, la santé, la maladie, les animaux, les plantes, les bâtiments, la construction, les machines et les outils, les jeux, les sports, l’argent, etc.) tandis que le domaine cible est sensuellement inconnaissable, abstrait (il réfère aux émotions telles que la colère, la peur, l’amour, le bonheur, la tristesse, la honte, la fierté, ou encore au désir, à la morale, à l’opinion, à la société, à la politique, à l’économie, aux relations humaines, à la communication, au temps, à la vie, à la foi, aux événements et aux actions. Autrement dit, nous comprenons les domaines abstraits en fonction des expériences que nous avons avec le monde physique. Pour cette raison, les métaphores conceptuelles constituent les principaux moyens à notre disposition pour comprendre des expériences abstrait.
2. Âne et cheval dans la parémiologie française et serbe
12En français, l’âne est une figure privilégiée de l’imagerie proverbiale où s’exprime le besoin d’identification de caractéristiques humaines stables, psychologiques ou sociales selon que l’on considère : a) le couple (âne, ânier) exprimant un rapport primaire de possession, mais aussi une image peu flatteuse pour l’homme ; b) l’image exemplaire de l’humilité sociale : l’âne, c’est le paysan, le vilain, avec une intention d’autodérision, ou le reniement des origines, dans une société déjà urbanisée ; c) le naturel supposé de l’âne, comiquement transféré à l’homme par le biais de la vulgarité, de l’ignorance, de l’entêtement, de la balourdise.
13En serbe comme en français, l’âne est aussi important dans la sphère parémiologique et il symbolise différentes caractéristiques négatives et mentales transférées à l’homme telles que la stupidité, l’ignorance, l’entêtement... Il représente aussi, au sens figuré, les individus marginalisés et victimes de la société qui sont exposés à des travaux pénibles et aux humiliations.
14Le cheval est, comme l’âne, une figure très utilisée mais sa valeur métaphorique est plus „mobile“. Le naturel de l’âne réserve peu de surprise car il est toujours dévalorisé tandis que le cheval peut être une image exemplaire du travailleur à la peine, mais aussi un animal plus précieux pour le paysan comme pour le seigneur et le soldat. On peut également évoquer les incertitudes quant à la valeur et les risques d’une mauvaise affaire (le bon et le mauvais cheval). Au Moyen Âge le cheval prend progressivement la place du bœuf dans l’attelage. Mais, Alain Rey souligne que si son efficacité est plus grande, sa docilité est moins assurée. Les proverbes témoignent des inquiétudes du paysan à son sujet.
15En comparaison avec la symbolique du cheval dans la parémiologie française, cet animal dans les proverbes serbes représente souvent un homme ignorant et stupide, mais on peut aussi lui attribuer une valeur considérable et précieuse. Il symbolise notamment un objet utile et de valeur pour le paysan, ou témoigne d’une position supérieure de l’individu dans la société.
3. Les proverbes de même structure lexico-sémantique ou ayant une structure lexico-sémantique similaire
3.1. Les êtres humains sont des animaux
16- Domaine du genre :
17Dans les deux langues comparées il existe de nombreux proverbes contenant des noms d’animaux domestiques (cheval, vache, chien, chat, chèvre, poule etc.) qui représentent les domaines sources et qui, sur le plan métaphorique, mettent en valeur l’importance du maintien du genre et de l’existence ou de la création d’une descendance de qualité. Dans notre corpus, nous n’avons trouvé qu’un seul proverbe en lien avec ledomaine du genre :
18(1)Méchant poulain peut devenir bon cheval : od plašljiva ždrebeta mnogo puta dobar konj iziđe.
19Ce proverbe explique que même si les choses ne se déroulent pas toujours comme il faudrait à première vue, certains écarts par rapport aux normes sont acceptables. Cet exemple évoque donc le décalage existant entre les attentes et la réalité.
20- Domaine de l’aspect physique :
21Dans ce groupe nous avons classé les proverbes qui sont de premier abord contradictoires soit parce qu’ils mettent l’accent sur l’importance de l’aspect physique et de la beauté soit parce qu’ils mettent en évidence une propriété de caractère ou un comportement:
22(1) Âne avec cheval n’attèle:konj se s magarcem ne poredi.
23(2) Tous les ânes ne portent pas sac:ne nose svi magarci tovar.
24(3) Une selle doréе ne fait pas d’un âne un cheval:srebrno sedlo ne čini dobra konja.
25Ce qui transparaît dans le premier et le second proverbe c’est que les apparences peuvent être trompeuses. Le cheval et l’âne, qui peuvent être similaires à première vue, présentent en réalité une symbolique complètement différente : le cheval renvoie toujours à la dignité et à la noblesse tandis que l’âne symbolise la simplicité, l’ordinaire et l’absence de valeur.
26Ainsi, tout ce qui peut sembler séduisant, ne l’est pas en réalité. L’aspect extérieur peut être trompeur, comme en témoigne le troisième proverbe.
27- Domaine du rôle de l’individu dans la société :
28Un certain nombre de proverbes français et serbes appartiennent à ce domaine parce que le rapport de l’individu à la société et sa place sur l’échelle sociale représente quelque chose d’important qui attire l’attention de la plupart des individus. L’homme est généralement représenté par l’âne et le cheval et il est toujours associé au travail pénible qu’il doit effectuer :
29(1) Âne aux noces conviés, eau et bois doit y porter : magarca su zvali na svadbu da vodu nosi.
30(2) Le surcharge abat l’âne : od tog udarca magarci crkavaju.
31(3) Nul ne sait mieux que l’âne où le bât le blesse : magarac najbolje zna gde ga samar žulja.
32La naïveté et la paresse de l’individu à prendre certaines mesures en temps et enheure, risquent de l’entraîner vers des difficultés et de graves problèmes :
33(4) L’âne ne sait pas nager avant que l’eau ne lui monte aux oreilles : magarac ne umije plivati, dok mu se voda u uši ne zalije.
34Ainsi l’homme, en fonction de son comportement, peut se constituer une bonne ou une mauvaise réputation dans la société. À cet égard, on peut voir comment vivent et se sentent ceux qui se situent en bas de l’échelle sociale :
35(5) L’œil du maître engraisse le cheval : gospodareve oči konja goje. Le proverbe cité démontre que le succès d’une affaire dépend de la surveillance et du degré d’observation.
36Par ailleurs, si nous examinons l’individu par rapport à l’ordre cosmique à l’aide du modèle culturel et de la métaphore conceptuelle LA GRANDE CHAÎNE DES ÊTRES, nous mettons l’homme dans une position subordonnée face au Créateur :
37(6) Le braiment d’un âne n’atteint pas le ciel: magareći glas na nebo ne ide. Ce proverbe signifie qu’il est vain de demander de l’aide lorsque ne peut pas être entendu.
3.2. Les problèmes/les difficultés sont des animaux
38Dans ce groupe on ne trouve qu’un proverbe faisant référence aux risques et aux dangers auxquels l’homme pourrait faire face du fait de son attitude ou de ses réactions irréfléchies. Ainsi l’âne représente un obstacle dangereux :
39(1) Qui joue avec l’âne ne doit pas s’offenser s’il pète : ko magarca jaše, valja i prdež da mu trpi.
3.3. Les choses et les situations sont des animaux
40Dans les deux langues il existe un fort mécanisme métaphorique par lequel les animaux sont traités comme des choses. Sur la base du modèle culturel LA GRANDE CHAÎNE DES ÊTRES4on affirme que les animaux sont des êtres d’un ordre inférieur face aux humains, car tout d’abord ils ne présentent pas de formes complexes du comportement, ne sont pas doués de raison mais possèdent uniquement un instinct. En outre, les choses sont le dernier maillon de la chaîne et n’ont que des propriétés. Diana Prodanović Stankić souligne que les humains se considèrent comme supérieurs et se donnent le droit de garder les animaux comme des choses. En d’autres termes, les êtres humains ont pu apprivoiser de nombreux animaux, les utiliser pour leur alimentation et aussi pour divers travaux domestiques. Pour cette raison, les animaux ont une valeur monétaire pour l’homme :
41(1) Á cheval donné, on ne regarde pas à la bouche : darovanome konju zubi se ne gledaju. Ce proverbe enseigne que l’on ne juge pas un cadeau quelle que soit sa valeur.
42Ce qui est caractéristique des humains, c’est qu’ils aiment posséder et les proverbes leur apprennent à apprécier à la fois ce qui est à eux et qui vient d'autrui.
43(2) Compte plutôt sur ton âne que sur le cheval de ton voisin : brže je njegovo magare nego drugoga at.
44Certains proverbes présentent un schéma pictural composé de diverses unités réunies et qui, ensemble, produisent une image. Ce schéma est important car il implique que les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît à première vue, mais qu’une règle peut toujours être appliquée. En ce sens, certaines choses, événements ou situations sont inséparables, et devraient être considérés et acceptés comme tels :
45(3) À qui est l’âne, le tienne par la queue : čija je kobila, onaj najviše za rep vuče.
46(4) Il n’y a pas de cheval auquel on ne puisse mettre la bride : ular s konjem ide.
4. Les proverbes qui ont une structure lexicale différente mais qui ont une même structure sémantique
4.1. Les humains sont les animaux
47- Domaine du genre :
48Dans notre corpus nous avons trouvé deux proverbes correspondant à ce groupe qui sont de structure lexicale différente mais de même structure sémantique et qui expriment de forts liens familiaux :
49(1) Jamais un coup de pied d’ânesse n’a tué un âne : a) pas psu brat, б) vuk na vuka ni u gori neće, c) vrana vrani očiju ne vadi.
50(2) Jamais un coup de pied de jument ne fit mal à un cheval : a) pas psu brat, б) vuk na vuka ni u gori neće, c) vrana vrani očiju ne vadi.
51En serbe, en tant que domaines sources, prédominent les animaux sauvages : вук (loup), врана (corbeau) tandis que parmi les animaux domestiques n’apparaît que le lexème пас (chien).
52- Domaine du sexe :
53Quant au sexe, ce qui est intéressant pour ce groupe, c’est qu’en français les animaux mâles jouent un rôle prédominant dans les proverbes, référant métaphoriquement aux hommes, tandis qu’en serbe ce sont plutôt les animaux femelles, se rapportant figurativement aux femmes, qui ont par ailleurs toujours un statut subordonné par rapport à l’homme, qui occupent une position supérieure dans la famille et dans la société. La femme serbe est présentée comme une personne bête et méchante, affligée et humiliée. L’âne est un domaine source en français tandis qu’en serbe c’est l’oie (гуска) qui est une image prototypique de la stupidité et de l’ignorance dans l'imaginaire serbe :
54(1) Deux Jean et un Pierre font un âne entier : tri žene i jedna guska čine vašar.
55 Parfois plusieurs personnes peuvent porter le même nom ce qui peut entraîner des confusions :
56(2) Il y a plus d’un âne à la foire qui s’appelle Martin : ima pasa i osim šarova. Ce proverbe signifie aussi que l’on ne devrait pas considérer quelque chose comme vrai sur la base d’un seul élément d’information ou de preuve.
57- Domaine de l’âge :
58Dans ce groupe se trouvent les proverbes portant sur l’expérience des personnes :
59(1) Un âne ne trébuche pas sur la même pierre : zna vrana đe je bara.
60(2) Á jeune homme vieux cheval, à jeune cheval vieil homme : staru čoveku malada žena godimenat, a maladu čoveku stara žena pogibija.
61Dans le premier exemple, métaphoriquement sont décrits ceux qui savent éviter les pièges et les obstacles de la vie grâce à leur âge mûr tandis que dans le second cas s’impose l’expérience des plus âgés qui peut être très utile aux jeunes qui n’en n'ont pas suffisamment et qui risquent d’être confrontés à des difficultés.
62- Domaine du caractère :
63La majorité des proverbes font partie de ce groupe car il exprime de nombreuses propriétés du caractère. Ce qui est caractéristique pour les deux langues comparées, c’est que l’on critique ou décrit toujours des propriétés négatives alors qu’aucune propriété positive n’est identifiée. La propriété qui prédomine est la sottise qui est en français métaphoriquement représentée par l’image de l’âne et en serbe par des animaux tels que магарац (âne), во (veau), мајмун (singe), врана (corbeau) et коза (chèvre):
64(1) L’âne frotte l’âne : mutav mutavog najbolje razumje.
65(2) Mangeant du foin, vous sentez l’âne : ko stoji kod volova, i ne zna više od volova.
66(3) Un âne chargé ne laisse pas de braire : majmun je majmun, ako ćeš ga u kakve haljine oblačiti.
67(4) D’un âne on ne peut pas demander de la viande de bœuf : iz vrane što ispane teško soko postane.
68(5) Quand un âne va bien, il va sur la glace et se casse une patte : kad je kozi dobro, onda ide na led, te igra da se raščepi.
69(6) Un âne n’entend rien en musique : разуме се у чему као магарац у кантару.
70(7) L’âne peut aller à la Mecque, il n’en reviendra pas pèlerin : magaraca odvedi u Jerusalim, on će opet biti magarac.
71Dans un certain nombre d’exemples les propriétés négatives qui sont aussi fréquentes sont l’entêtement et la méchanceté qualifiant l’Homme. En français, il s’agit de l’âne et du cheval qui sont les domaines sources tandis qu’en serbe il n’y a pas d’équivalents sémantiques contenant des noms d’animaux domestiques sauf dans le dernier exemple où la propriété de méchanceté humaine est métaphoriquement exprimée par le chien ce qui est un paradoxe à première vue parce que le chien est traité dans la culture serbe comme un animal positif et fidèle, le meilleur ami de l’homme. Ce désaccord s’explique par le fait que les différents aspects d’un concept donné sont accentués dans le transfert métaphorique en fonction du besoin. Dans le premier équivalent serbe apparaissent les lexèmes : пијаница (ivrogne), механџија (aubergiste) et dans le second le pronom personnel pour le genre masculin га à l’accusatifqui fait référence à un être humain :
72(8) Ce que pense l’âne ne pense l’ânier / ce que ne veut Martin veut son âne : jedno misli pijanica, a drugo mehandžija.
73(9) Chantez à l’âne, il vous fera des pets : ja ga krstim, a on prdi.
74(10) Á rude âne rude ânier / à méchant cheval bon éperon: zlu psu kratak lanac.
75Au-delà de ces proverbes, il y a un exemple en serbe, un équivalent sémantique, qui suggère que les défauts sont contagieux ce qui nous amène donc à éviter la mauvaise compagnie :
76(11) Qui à âne tient à âne vient : ko sa psima liježe, pun buha ustane.
77Les gens malhonnêtes et cupides qui ne reculent devant rien sont présentés en français somme des ânes et des chevaux et en serbe comme des chiens :
78(12) Quand il n’y a plus de foin, les ânes / les chevaux se battent : svadili se psi oko gole kosti tandis que ceux qui sont rusés et hypocrites sont représentés comme des ânes en français et des chats en serbe :
79(13) Le meilleur âne garde toujours un coup de pied pour le maître : komu se mačka umiljava onoga i ogrebe.
80- Domaine du comportement :
81Ce groupe englobe les proverbes relatifs au comportement de l’individu dans la société. Ils jugent le monde grossier et vulgaire, c’est-à-dire, les personnes qui ne savent pas apprécier les vraies valeurs. En français ils sont métaphoriquement présentés comme des ânes alors qu’en serbe ce sont également des ânes mais aussi des cochons et des chèvres considérés comme les animaux sales et sots et auxquels on ne peut rien apprendre :
82(1) Le miel n’est pas fait pour les ânes : a) ne zna magarac šta je majdanos (tovar), b) što zna magare što je petrusin, c) ne zna svinja šta je dinja, d) nije za svinju od kadife sedlo, e) nije za kozu sijeno.
83Le manque de repas réguliers peut provoquer chez l’individu, quelles que soient les conséquences pour lui, un comportement sans vergogne qui risque d’être aussi néfaste pour la société dans laquelle il réside. Le domaine source en français est l’âne et en serbe c’est le lexème курјак (вук) (loup) :
84(2) Un âne affamé ne se soucie pas des coups : а) gladan kurjak usred sela ide, b) glad kurjaka iz šume išćera.
85- Domaine du rôle de l’individu dans la société :
86Comme nous l’avons déjà évoqué, dans le groupe des proverbes qui sont de même structure lexico-sémantique ou qui présentent une structure lexico-sémantique similaire, le rôle de l’individu dans la société est considérable et il s’y positionne en fonction du rapport qu’il établit avec les autres. Au sens figuré l’individu est présenté comme un âne ou un cheval en français et en serbe comme un chien qui doit durement travailler et qui est privé d'une quelconque récompense puisqu'on le considère comme un être sans valeur que l'on doit exploiter au maximum :
87(1) L’âne de la montagne porte le vin et boit de l’eau : pas cijeli dan prekasa, pa opet sa dna dobije.
88(2) On touche toujours sur le cheval qui tire : za hranu pseto služi.
89Dans de nombreux cas les gens n’aiment pas travailler et contribuer à l’amélioration de leur environnement et de leur société. Au contraire, ils préfèrent plutôt commander que d’obéir :
90(3) Il vaut mieux être cheval que charrette : bolje je biti gospodar od palja, nego sluga u Novi.
4.2. Les problèmes/les difficultés sont des animaux
91Les problèmes et les difficultés se présentent métaphoriquement à travers le lexème cheval en français et chevreau en serbe :
92(1) Aux chevaux maigres vont les mouches : kud će guba nego na jare.
93Cela signifie que les animaux qui ne sont pas bien nourris ou qui sont petits et faibles attirent différentes maladies.
4.3. L’activité / le travail des humains est liée à l’animal
94Il y a deux proverbes dans lesquels les animaux domestiques sont liés à une activité. Par exemple, on parle souvent d’un travail qui ne sera jamais productif et utile. L’animal représente fréquemment un objet, et l’homme exerce le travail dont on parle :
95(1) Á laver la tête d’un âne l’on y perd que la lessive : besposlen pop i jariće krsti.
96Ainsi le travail peut être parfois plein de tentations et d’aventures, mais si on le fait avec patience, détermination et persévérance il devient noble :
97(2) Tout âne qui tombe et qui se relève n’est pas une rosse : ko radi Bog ne brani.
5. Conclusion
98L’analyse des proverbes comportant des noms d’animaux domestiques en langues française et serbe dans le cadre de la linguistique cognitive permet de mieux comprendre non seulement le sens donné des proverbes, mais aussi les principes sur lesquels les proverbes se construisent. L’étude de notre corpus tant du point de vue de la sémantique que de la pragmatique ne résout pas la question de la similitude entre les proverbes dans différentes langues et ne parvient pas à expliquer la motivation pour le choix de certains animaux et la création d’un scénario donné. Ce qui est très important, c’est qu’à l’aide de la théorie de la métaphore conceptuelle on peut expliquer les similitudes dans les façons de catégoriser et de former des concepts abstraits chez les locuteurs de langues génétiquement non apparentées. En termes de métaphores conceptuelles les proverbes français et serbes présentent de nombreuses similitudes. Les locuteurs des deux langues utilisent couramment dans les proverbes des métaphores conceptuelles dans lesquels le domaine source est un animal, dans notre cas âne et cheval, mais également cochon, chèvre, chien, chat, loup, corbeau. Des équivalents serbes existent dans le groupe deproverbes que nous avons défini au début de notre étude, lesquels sont de structure lexicale différente mais de même structure sémantique tandis que le domaine cible est composé des choses, des problèmes, des difficultés et des activités. La différence entre les deux langues, qui peut être vue par l’analyse des proverbes se reflète davantage dans le choix de certains animaux afin de décrire plus précisément certains aspects de l'être humain. Bien sûr, la différence est conditionnée par la culture, la tradition et les symboles prototypiques. Ces métaphores conceptuelles montrent que le monde est conceptualisé par le modèle culturel « grande chaîne » et que chacun de nous y a trouvé sa place.
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Notes
1 A. Rey, S. Chantreau, Dictionnaire des expressions et locutions, Paris, Le Robert, 2006, pp. 11
2 J-C Anscombre, Proverbes et formes proverbiales: valeur évidentielle et argumentative,Paris, Langue française, 105, Larousse 1994, pp. 34-37.
3 M. Sulkowska « Expressionsfigées dans une perspective multilingue: problème d’équivalence et de traduction », in:W. Baniś (réd.), Neophilologica, vol. 20, Études sémantico-syntaxiques des langues romaines, Katowice, Wydawnictwo Uniwersytetu Śląskiego, 200-202.
4 G. Lakoff, M. Turner, More than Cool Reason, The University of Chicago Press,1989, pp. 167.