Introduction
Par Sanja Boskovic et Galina Subbotina
Publication en ligne le 13 mars 2024
Editorial au format PDF
Introduction (version PDF) (application/pdf – 93k)
1Le huitième numéro de la Revue du CEES regroupe les travaux présentés aux deux journées d’étude pluridisciplinaires dont la première portant sur « Liminalité et médiation » a été organisée le 17 novembre 2022 par le laboratoire MIMMOC UR 15072 à la MSHS de l’Université de Poitiers ; tandis que la seconde intitulée « Femme, corps, santé » ayant lieu les 27-28 mai 2021 à la MSHS de Poitiers fut mis en place par le laboratoire MIMMOC UR 15072 en collaboration avec le laboratoire CREE EA 4513 de l’INALCO.
2La thématique de la première journée d’étude proposait de réfléchir sur la notion de liminalité, notion déjà développée dans l’œuvre de l’ethnographe Arnold van Gennep qui dans les « rites de passage » voit les pratiques sociales qui structurent et accompagnent les changements de lieu, d’état, de position, d’âge, etc. dans le contexte de la vie sociale et collective. Arnold van Gennep distingue trois moments bien précis dans l’évolution de ce genre de comportement rituel : la première étape sous-entend le processus de détachement d’un environnement ou d’un contexte stable, la deuxième représente la transition ou la traversée tandis que la troisième étape annonce la finalisation du processus du passage et l’acquisition d’une nouvelle situation de certitude et de stabilité. Dans cette optique, la « période liminale » correspond à la deuxième étape des rituels de passage évoquée par van Gennep.
3Appliquée dans le domaine de l’enseignement des langues et des cultures slaves, la théorie des « rites de passage » permet d’analyser le processus d’apprentissage chez un apprenant, compris comme une phase de constitution d’un nouveau regard sur l’individu et sur la société. Les questions qui se posent dans ce contexte sont multiples : tout d’abord, qu’elles sont les situations de départ des apprenants des langues slaves ? Quels sont les difficultés et des moments d’instabilité dans la phase de transition lors du processus d’apprentissage ? A quel point les origines différentes et les contextes culturels et linguistiques hétérogènes des apprenants influencent la phase de traversée ? En tant que médiateurs interculturels, comment les enseignants des langues et des cultures slaves, peuvent conforter les apprenants et rendre la période d’instabilité, d’ambiguïté et d’incertitude dans le processus d’apprentissage plus confortable et plus productive pour les apprenants ?
4Dans leurs articles respectifs intitulés : « L'étude du lexique familier au stade avancé de l'enseignement du russe langue étrangère » et « A qui, comment et pourquoi enseigner ? Les études slaves d'aujourd'hui : liminalité et médiation (étude de cas : Département d'études slaves, Faculté de philosophie, Université de Sarajevo) », Amela Ljevo-Ovčina et d’Adijata Ibrišimović-Šabić abordent la question d'organisation de l'enseignement du russe en Bosnie-Herzégovine. L'évolution de la place de la Russie dans le contexte international, ainsi que le nouvel environnement géopolitique, imposent en effet de nouvelles approches de l'enseignement, pouvant aller jusqu'à une refonte complète des programmes universitaires. La nécessité de faire une sorte de transition est liée au besoin d'attirer des nouveaux apprenants de russe et de donner un nouvel élan à l'étude de la langue et de la culture russes.
5Restant dans le questionnement sur la liminalité dans le contexte linguistique, dans l’article intitulé « Production de l’accent lexical russe par les apprenants francophones : origines des difficultés et pistes de remédiation », Kirill Ganzha s’interroge sur la problématique de l'enseignement de la prononciation russe aux apprenants francophones tandis que le travail de Višnja Višnjevac portant sur les « Difficultés liées à l'enseignement de l'orthographe russe à des publics serbes. Essai de classification » propose une réflexion sur la spécificité de l'apprentissage du russe dans l'environnement linguistique serbe.
6Restant dans le contexte de liminalité dans le domaine linguistique, l’article de Elma Durmišević et Mehmed Kardaš, intitulé « La standardisation de la langue bosnienne des années 1990 à aujourd’hui » analyse l’évolution des normes dans la langue bosnienne. Les travaux de Vera Ćevriz Nišić, d’Ognjen Kurteš, d’un côté, et de Borjan Mitrović, de l’autre, explorent la notion de liminalité dans l’aire des cultures slaves. Le premier topo intitulé « Quelques observations concernant l’accroissement du vocabulaire dans les rapports de la Commission européenne pour la Bosnie-Herzégovine » se penche sur la question des transformations linguistiques observées dans la langue serbe contemporaine dans un contexte bien spécifique lié à la communication politique et officielle. Tandis que Borjan Mitrović dans son article portant sur les « Rites de passage, imaginaire et euphémisation de la mort dans un corpus sélectif de lamentations populaires serbes » tente d’examiner la compréhension de la mort et des rituels commémoratifs multiséculaires dans la culture serbe. Ce genre de coutumes et de pratique culturelle accompagne le moment de transition – le passage entre la vie et la mort – et évoquent les limites bien distinctes entre les deux mondes – le monde des vivants et le monde des morts – ainsi que le processus de la transition métaphasique.
7Le dernier chapitre du huitième numéro de la Revue du CEES est consacrée à la journée d’étude « Femme, corps, santé ». Vu que le corps est également exposé au phénomène de liminalité aussi bien dans le sens physique – le corps et le monde – que dans le sens métaphasique – la transformation du corps rimant avec la métamorphose spirituelle –, les travaux figurant dans cette partie du numéro tentent d’analyser toute la complexité de la notion du corps. Michel Foucault considère que le corps représente l’objet central de toute politique, et que les différents systèmes sociaux forment des constructions idéologiques particulières autour de la notion du corps et de la santé. Il suffit de se rappeler des théories de « santé nationale » ou bien de l’époque de la glorification des « corps sains » dans les régimes fascistes ou stalinien. La santé et le corps, la santé du corps et des corps devient un sujet à la fois délicat et important. Il impose une réflexion sur plusieurs strates et occupe les esprits sur plusieurs plans : politique, religieux, éthique ou esthétique. Malgré des différences, parfois radicales entre les approches du concept de santé, existant dans les contextes nationaux divers, l’idée du corps sain reste un moyen puissant de régulation voire de normalisation à toutes les étapes du développement des sociétés et des cultures.
8La question complexe touchant la santé et le corps concerne également le monde féminin : les femmes sont à la fois les objets et les agents privilégiés des « pratiques sanitaires ». Ainsi le corps de femme peut être analysé en tant qu’objet de contrôle normalisateur. Sous cet angle, les parties du corps féminin sont censées d’être « améliorées » par des procédures hygiéniques, des régimes alimentaires, des exercices sportifs, des produits cosmétiques, la chirurgie esthétique, etc. Comment ces pratiques se sont-elles imposées aux femmes ? Quelle place occupe le souci sanitaire ou bien la santé dans ce genre d’exercices? Comment cette thématique touchant le corps et le monde féminin est-elle représentée dans des œuvres artistiques ?
9Dans l’article intitulé « Le corps en gestation : “splendeurs et misères” des babas russes » Anna Scherbakova tente d’analyser ce genre de phénomène qui touche aussi bien le corps féminin dans une société qui évolue mais aussi l’imaginaire culturel russe qui transgresse. Ce sont notamment ces questions qui sont abordées par Yulia Sioli dans son travail intitulé « Prose de femmes en Russie post-soviétique et contemporaine : voir la folie autrement » et par Kataryna Tarasiuk dans son article portant sur « Enfermé, dépossédé, purgé : le corps féminin à l’hôpital dans la prose féminine russe des années 80-90 ». Une réflexion sur la liminalité dans un contexte bien précis apporte ainsi un nouvel regard sur l’évolution des présentations du corps féminin et de ses maladies dans la littérature russe du XXe et du XXIe siècles.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Sanja Boskovic
Quelques mots à propos de : Galina Subbotina
Droits d'auteur

This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC BY-NC 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/3.0/fr/) / Article distribué selon les termes de la licence Creative Commons CC BY-NC.3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/3.0/fr/)