Des erreurs socioculturelles à la valorisation de l’apprentissage interculturel : le cas des apprenants hellénophones

Par Catherine Kiyitsioglou-Vlachou
Publication en ligne le 15 octobre 2023

Résumé

In this paper we study the socio-cultural errors Greek-speaking learners make when writing texts in French. To this end, we try to analyze these errors according to the textual genre, in order to understand the cause of this dysfunction and we suggest ways in order to improve the teaching of French as a foreign language / culture and optimize learning. Our research is based on a corpus of written texts produced by Greek-speaking candidates who participated in the examinations of the National Foreign Language Exam System (KPG) for the French language, levels B and C according to the descriptors of the Common European Framework of Reference for Languages.

Dans cet article nous étudions certaines erreurs socioculturelles auxquelles l’apprenant hellénophone est le plus confronté en ce qui concerne la rédaction des textes en français. À cette fin, nous analysons ces erreurs en fonction du genre textuel, nous essayons de comprendre la cause de ces difficultés et nous suggérons des pistes pour améliorer l’enseignement du français langue/culture étrangère (FLCE) et pour optimiser l’apprentissage. Pour ce faire, notre enquête prend sa source dans un corpus de productions écrites des candidats hellénophones présentés aux examens du Système National d’Examens en Langues Étrangères (KPG) pour la langue française, niveaux B et C selon les descripteurs du CECRL.

Mots-Clés

Texte intégral

Introduction

1Admettre que tout apprentissage se veut une étape non linéaire, suit une approche méthodologique, mais, en même temps, s’appuie sur une démarche personnelle, c’est accepter aussi que l’erreur commise par l’apprenant est inévitable, utile et constitutive du processus d’apprentissage. L’erreur peut même être considérée comme « une bénédiction » (Kiyitsioglou-Vlachou, 2001 : 301) dans la mesure où elle est partie prenante de l’acte didactico-pédagogique, un élément révélateur d’un état de compréhension et de conceptualisation, un indicateur transformé « en tremplin d’apprentissage » (Astolfi, 2015)2, un « tremplin vers l’expression juste » (Lamy, 19813) pour l’explication adaptée par l’enseignant et un processus mental, profitable à l’apprenant qui « doit se colleter avec l’erreur » (Gauthier, 1987 : 224).

2Or, nous constatons, en tant que formatrice des enseignants du FLCE, une tendance de la part des praticiens à se focaliser sur la correction des erreurs linguistiques (morphosyntaxiques et lexicales en particulier), comme étant des erreurs qui entravent la communication, au détriment des erreurs socioculturelles. Sans doute, l’erreur socioculturelle n’entrave pas le sens de l’énoncé linguistique, mais elle perturbe l’interaction avec le(s) récepteur(s) et provoque des malentendus. Cela dit, nous considérons que l’erreur socioculturelle mérite d’être traitée comme un précieux outil didactico-pédagogique, comme un moyen d’enseignement qui facilite et qui met en valeur les vertus de l’apprentissage interculturel au sein de la classe de FLCE.

3Partant du constat que tout texte écrit, malgré la singularité qui le caractérise, impose son propre modèle selon la culture de la langue cible, obéit à des normes sociolinguistiques, à une structure particulière à chaque genre textuel, se compose de productions verbales « véhiculant un message linguistiquement organisé et tendant à produire sur son destinataire un effet de cohérence » (Bronckart, 1997 dans Dolz-Mestre & Schneuwly, 2009 :745), nous considérons que l’erreur socioculturelle, repérée dans les productions écrites des apprenants, peut -en travaillant de manière méthodique sur son statut- nous servir d’élément d’appui aussi bien pour fertiliser l’enseignement que pour revaloriser l’apprentissage interculturel en faisant développer chez l’apprenant une compétence interculturelle.

1. De la faute à l’erreur : bref historique de son évolution

4En Didactique des langues étrangères, la conception de l’« erreur » varie en fonction des principes méthodologiques de l’enseignement, à savoir du statut accordé à l’erreur et de l’impact que celle-ci a sur l’attitude de l’enseignant et de l’apprenant. Afin de résumer l’évolution du statut de l’erreur à travers les courants méthodologiques, nous présentons une synthèse sous forme de tableau, inspirée de l’ouvrage de Tardieu (2008 : 192-1936) et adaptée par nos soins :

Méthode/Conception de la langue

Statut de l’erreur

Attitude de l’enseignant

Attitude de l’apprenant

Méthode Traditionnelle

Langue normative centrée sur l’écrit

Faute  

Écart par rapport à la norme

Correction magistrale

Sanction

Culpabilité

Méthode Directe

Apprentissage mécanique

Faute

Écart par rapport à la norme

Sanction

Culpabilité

MAO et SGAV

Ensemble des structures permettant un apprentissage conditionné, sans fautes

Inexistante

Automatismes

Correction par le magnétophone

Neutralité

Approche Communicative

Moyen de communication

Écart par rapport à l’usage (correction grammaticale et acceptabilité des énoncés) et à l’emploi (adéquation au contexte)

Réduction

Intercorrection

Autocorrection

Dédramatisation de la faute

Volonté d’amélioration

Perspective Constructiviste Valorisation de la capacité cognitive de l’apprenant

Étape nécessaire

L’erreur témoigne l’état ponctuel de l’« interlangue » de l’apprenant

Utilisation

Valorisation

Réflexion sur la langue

Perspective Actionnelle

Instrument de communication ou d’interaction sociale

Déviation ou représentation déformée de la compétence cible

Incapacité de procéduraliser les compétences

Toutes les attitudes possibles

Toutes les attitudes possibles

Tableau 1 : Évolution du statut de l’erreur

5Tout compte fait, on peut constater que l’erreur a changé de statut et que même si elle demeure encore, de nos jours, souvent « mal aimée » son utilité tend à être reconnue, notamment depuis des années 90, comme étant un levier « à des fins d’apprentissage, pour doter l’élève de stratégies métalinguistiques (réflexion sur la langue) et métacognitives (réflexion sur l’apprentissage) » (Tardieu, 2008 : 193).

2. Types et origine de l’erreur

6Un examen dans la littérature de l’analyse des erreurs (Porquier 1977, Perdue & Porquier 1980, Corder 1980, Gauthier 1987, Puren 1988), montre que l’origine de l’erreur commise par l’apprenant

peut être erreur de performance, dont l’exemple type est le lapsus (on a proposé de réserver le terme de « faute » à ce genre d’erreur), ou erreur de compétence, celle-ci pouvant provenir d’une interférence avec la langue maternelle, de l’insuffisance du matériel linguistique dont dispose l’élève par rapport à ses besoins d’expression. (Puren, 1988 : 3827).

7Autrement dit, les erreurs de performance sont causées d’une inapplication des règles déjà acquises, et dues à des phénomènes occasionnés comme par exemple la fatigue, le stress et/ou l’émotion. Dans ces conditions, l’apprenant est capable de se corriger. En revanche, les erreurs de compétence – souvent systématiques et toujours inévitables – sont issues soit des interférences avec la L1 ou avec d’autres langues apprises, soit de l’insuffisance des savoirs linguistiques. L’apprenant se sent incapable de les corriger, mais il est en mesure de justifier la règle appliquée.

8Dans le même ordre d’idées, Cuq suit la distinction « des erreurs de compétence (récurrentes et non susceptibles d’autocorrection) et des erreurs de performance (occasionnelles, non répétitives et présentes à la conscience de locuteur) » (Cuq, 2003 : 1018). Pour cet auteur, l’erreur, en didactique des langues, est liée « aux interférences de la langue maternelle et de la langue étrangère » (ibid. : 86), causée par « une défaillance des opérations cognitives » (ibid. : 86), et focalisée sur les fonctionnements linguistiques.

9Les concepteurs du dire Cadre européen commun de référence (CECRL) (Conseil de l’Europe,20019), tout en conservant la distinction entre « erreur » et « faute », utilisent le terme d’erreur pour ce qui est causé « par une déviation ou une représentation déformée de la compétence cible. Il s’agit alors d’une adéquation de la compétence et de la performance de l’apprenant qui a développé des règles différentes des normes de la L2 » (ibid. : 118), alors qu’ils réservent le terme de faute pour caractériser les lapsus ou les erreurs non liées aux erreurs de compétence : « les fautes, pour leur part, ont lieu quand l’utilisateur/apprenant est incapable de mettre ses compétences en œuvre, comme ce pourrait être le cas pour un locuteur natif » (ibid.). Bien que le terme d’erreur semble être privilégié par les auteurs, il reste quand même une certaine ambiguïté de leur intention, puisque ceux-ci ne renoncent pas à l’utilisation alternative de deux termes en particulier dans le paragraphe consacré aux Fautes et erreurs (ibid.). Or, on ne peut pas ignorer la référence aux fautes et erreurs

10- phonétiques

11- orthographiques

12- lexicales

13- morphologiques

14- syntaxiques

15- sociolinguistiques et socioculturelles

16- pragmatiques (ibid. : 119).

17Tagliante, à son tour, reconnaît cinq types d’erreurs qui peuvent être analysées et traitées dans la classe de langue au profit des apprenants :

18- Erreurs de type linguistique (grammaticales, lexicales, syntaxiques) ;

19- Erreurs de type phonétique (erreurs dans les sons utilisés liées au crible phonologique) ;

20- Erreurs de type communicatif (registre de langue inapproprié) ;

21- Erreurs de type discursif (absence ou mélange d’articulateurs, mauvaise structuration du discours) ;

22- Erreurs de type stratégique (manque d’à-propos, manque d’outils linguistiques, permettant de dire que l’on n’a pas compris…) (2006 : 157).

23Il n’est plus question aujourd’hui de se contenter de la transmission uniquement des savoirs et des connaissances, mais bien de doter l’apprenant d’une compétence (inter)culturelle, de lui faire développer une métacompétence cognitive qui l’aidera à mettre en jeu ses ressources internes pour qu’il puisse agir culturellement et linguistiquement dans une langue-culture étrangère (LCE) en fonction de situations spécifiques, de conventions socioculturelles dictées par et partagées dans la langue-culture (LC) cible.

24À notre sens, l’erreur socioculturelle commise par l’apprenant est le résultat de divers paramètres qui proviennent aussi bien du linguistique que du culturel et qui méritent qu’on les prenne en considération pour aider l’apprenant à développer sa compétence socioculturelle. Comme paramètres, nous entendons (a) le manque de savoirs et de savoir-faire socioculturels qui caractérisent chaque langue-culture et qui imposent leurs normes ; (b) les représentations des apprenants face à la langue cible, dues aux prismes socioculturels véhiculant diverses idées dominantes au moyen, notamment, de mass-média ; et (c) les influences que ce soit de la LC1 ou des autres LC apprises auparavant. Tous ces paramètres peuvent provoquer des erreurs socioculturelles.

25Nous proposons un schéma permettant de visualiser notre propos :

img-1.png

3. Erreur socioculturelle vs évaluation sommative/certificative

26Les tendances didactiques, dès la genèse de l’approche communicative, se fixent comme but ultime de l’apprentissage de la LCE de rendre l’apprenant capable de comprendre et de produire un discours oral et écrit en congruence avec la situation de communication donnée, et non seulement de reproduire des phrases grammaticalement et syntaxiquement correctes. Parallèlement, elles préconisent (Corder 1980, Lamy 1981, Conseil de l’Europe 2001, Cuq 2003, Astolfi 2015, Chnane-Davin & Cuq 2017) de ne plus exclure l’erreur du processus didactique, mais, au contraire, de prendre appui sur elle, de la traiter, d’en comprendre la cause, d’y attribuer une signification supplémentaire afin d’aider l’apprenant à élaborer des stratégies efficaces pour gérer, réguler et optimiser son apprentissage. Suivant ce procédé de traitement de l’erreur, celle-ci peut devenir un indicateur positif, un précieux outil pédagogique, un outil profitable aussi bien pour l’enseignement que pour l’apprentissage.

27Or, « les modes de traitement des erreurs sont avant tout révélateurs du type de rapport que les enseignants entretiennent eux-mêmes avec les savoirs qu’ils professent »10. À rappeler que l’apprenant ne fait plus de fautes mais commet des erreurs étant inévitables dans le processus d’apprentissage. Néanmoins, cette dédramatisation de l’erreur, cette substitution du terme n’impliquent ni l’ignorance de la « norme », ni la disparition de la « note », notamment dans le cadre de l’évaluation sommative et/ou certificative et, en particulier, en production écrite où le respect des « normes » d’emploi et de fonctionnement de la langue doit être pris en considération, comme point de référence.

28Il est bien connu que lors de la production écrite, l’apprenant dispose d’un temps limité pour chercher ses idées et les organiser, pour vérifier la grammaticalité et l’acceptabilité de ses énoncés, pour choisir le vocabulaire adéquat, précis et riche tout en respectant la ponctuation, pour soigner l’orthographe et pour établir la cohérence et la cohésion de son discours. Il s’agit d’une activité cognitive comportant plusieurs tâches à effectuer, une activité qui convoque l’apprenant à mobiliser ses ressources internes et qui requiert de celui-ci ses compétences transversales et métacognitives à les évoquer et à les transférer efficacement (Kiyitsioglou-Vlachou 2012). En d’autres termes, on attend de l’apprenant une production langagière, un discours écrit qui « obéit à une norme, appartient à des contextes formels et établit une relation de distance sociale11 ».

4. Évaluation de la pertinence du discours écrit

29Le discours écrit présuppose l’usage opérationnel et fonctionnel de la langue et la maîtrise du système de la langue. Plus précisément, il requiert un certain formalisme, des phrases subordonnées, voire une formulation soignée, un vocabulaire précis et riche ; il nécessite des qualités rigoureuses, alors qu’il entraîne un certain degré de normalisation surtout dans le cadre d’une certification où la norme constitue pour l’évaluateur une référence essentielle, une règle à respecter et un critère à suivre lors des décisions à prendre.

30Parallèlement, le discours écrit est toujours inséré dans un genre textuel qui impose son propre style d’écriture par des structures morphosyntaxiques pertinentes et, en particulier, par des pratiques socioculturelles ayant trait au respect du registre de langue, à savoir un choix adéquat des éléments lexico-grammaticaux.

31Par conséquent, le discours productif devrait être conforme aux normes dictées par le « genre textuel en tenant compte des contraintes d’une langue » (Rastier, loc.cit.).

32Dans le cadre du Système National d’Examens en Langues Etrangères (dorénavant siglé KPG), les performances du candidat en production écrite sont évaluées : (i) en fonction du niveau de connaissances en langue-cible, (ii) d’après la consigne de l’activité et (iii) à l’aide d’une grille d’évaluation.

33i) Le niveau de connaissances en langue-cible, en l’occurrence en FLCE, s’aligne sur les descripteurs du CECRL. Or, les concepteurs du KPG, dans leurs soucis de faciliter la tâche des rédacteurs des sujets d’examens, ont établi une liste qui permet d’associer chaque niveau de connaissances aux genres textuels retenus (voir Tableau 2). Il s’agit donc de choisir le genre textuel, qui sert de support de rédaction et en fonction duquel est formulée la consigne de la production écrite, en relation avec le niveau de connaissances, comme le tableau suivant le démontre. Une prise de compte par les rédacteurs des contraintes propres à chaque genre textuel s’avère indispensable.

34ii) Le candidat hellénophone, par rapport à son niveau de connaissances, est appelé à rédiger, en français, un texte en fonction de la consigne de l’activité à réaliser et à accomplir. Chaque consigne, accompagnée d’un texte déclencheur multimodal, servant du support, comporte des indications précises et concrètes qui aident le candidat à s’organiser lors de l’exécution de la tâche, à structurer sa pensée, à élaborer un texte conforme aux principes imposés par la langue française et en particulier par le discours écrit. Ainsi, à partir d’une consigne donnée, on repère des indications qui se réfèrent aux compétences pragmatiques (pour quoi faire ?) et aux compétences sociolinguistiques (qui écrit à qui, quel genre textuel est à produire et dans quelle situation de communication) sans pour autant négliger l’apport incontestable des compétences linguistiques qui sont omniprésentes dans la production écrite. À ce sujet, on cite un exemple d’une activité de niveau B1 :

Sébastian, votre correspondant français, a lu l’affiche ci-dessus et vous propose d’aller ensemble à cet Atelier Clown Théâtre. Vous lui envoyez un e-mail dans lequel vous refusez sa proposition et vous lui expliquez pourquoi vous ne pouvez pas y participer. (Signez votre texte Kostas ou Martha.) (Session : mai 2016)

35Les actes de parole à développer sont clairement déterminés (refuser et expliquer) ; le registre de langue ainsi que le genre textuel sont également sollicités (e-mail amical).

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Tableau 2 : Genres textuels

36iii) La grille d’évaluation, utilisée par les évaluateurs ayant suivi une formation ad hoc, comporte des critères qualitatifs qui renvoient, à l’instar de la consigne, aux compétences pragmatiques, sociolinguistiques et linguistiques. Plus précisément, lors de l’évaluation des productions écrites sont pris en compte cinq critères précis, à savoir : l’orthographe et la ponctuation ; l’étendue du vocabulaire (adéquation et richesse) ; la grammaticalité et l’acceptabilité du discours ; la pertinence du discours concernant le registre de langue ; la cohésion et la cohérence du discours. Pour aboutir à des jugements aussi objectifs que possible à l’égard d’une tâche d’évaluation certificative compliquée, délicate, sensible mais indispensable, l’échelle de Likert est retenue.

img-3.jpgGrille d’évaluation de la performance des candidats en production écrite12 :

37Dans la sphère de l’enseignement-apprentissage nous concernant, l’évaluation de la production écrite constitue un domaine qui mérite d’être étudié. Dans cet article, nous ne traitons que de l’erreur socioculturelle dans les productions écrites afin de découvrir son origine et de remédier à ces difficultés.

5. Hypothèses de travail

38Nous sommes partie du constat qu’une production écrite bien structurée, organisée et soignée du point de vue linguistique, qui renvoie aux descripteurs du niveau C ou à la rigueur à ceux du niveau B13, ne saurait contenir des erreurs qui provoquent des malentendus au niveau de la communication ou qui risquent de créer un malaise chez les récepteurs.

39Or, les erreurs, qui relèvent du socioculturel de l’utilisation de la langue, dépendent des contraintes du genre textuel –proposé et imposé par la consigne précise de l’activité– qui conditionne la pertinence du discours, le registre de langue approprié, voire l’exactitude lexicale et grammaticale.

40Cela dit, il nous semble intéressant d’aborder les erreurs socioculturelles, commises par l’apprenant hellénophone, de manière positive et de formuler des propositions à ce sujet.

6. Méthodologie de la recherche

41Faisant suite à ces propos, et dans le but de confirmer ou d’infirmer notre hypothèse de départ, à savoir si une production écrite, structurée et organisée de façon rigoureuse et systématique, répond également à toutes les exigences dictées par le genre textuel, nous avons réalisé une étude afin de repérer et d’identifier les erreurs socioculturelles.

42L’échantillon de notre recherche (dont les exemples sont donnés ici à titre indicatif, puisque l’enquête est encore en cours) est constitué des copies des candidats hellénophones présentés aux examens du KPG niveaux14 B et C. Notre corpus, issu de la session de mai 2012, 2013, 2016 et de genres textuels variés (e-mail formel, lettre formelle, article électronique-de vulgarisation scientifique), comprend 150 copies du niveau B2 et 86 copies du niveau C.

43Afin de détecter les erreurs socioculturelles, nous avons annoté sur les textes produits par les candidats les éléments lexico-grammaticaux qui nous semblaient inappropriés ou inadaptés pour assurer la pertinence du discours, en particulier le registre de langue adapté au genre textuel sollicité. Comme éléments lexico-grammaticaux inappropriés, nous avons annoté : (a) les expressions (utilisation des formules inadéquates d’appel et de politesse dans la correspondance formelle, manque d’un titre dans l’article et conclusion de l’article) et (b) l’usage du tutoiement.

44Pour juger de la pertinence du discours, sont élaborés par les concepteurs du KPG les descripteurs suivants.

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Tableau 3 : Descripteurs 15

45Les activités sur lesquelles porte notre recherche sont présentées ci-dessous.

46Pour le niveau B2, nous avons choisi deux activités issues de deux sessions (mai 2012 et mai 2013) et concernant la rédaction de genres textuels différents (e-mail formel et lettre formelle)16.

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Activité 1

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Activité 2

47Enfin, l’activité du niveau C concerne la rédaction d’un article de vulgarisation scientifique, envoyé par voie électronique.

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Activité 3a

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Activité 3a

7. Résultats de notre recherche

48Les descripteurs détaillés concernant la pertinence du discours, à savoir le choix adéquat des éléments lexico-grammaticaux (voir supra), nous ont permis de repérer les erreurs et de les lister en sous-critères. À titre indicatif, nous citons quelques exemples détectés dans les productions écrites des candidats hellénophones du niveau B2 et C.

49(a) Pour les expressions qui ne semblent pas correspondre à des règles socioculturelles du discours écrit formel, vu le genre textuel demandé, nous avons décidé d’annoter les formules inappropriées d’appel et de politesse, l’absence du titre dans l’article ainsi que la façon de clore l’article. La correspondance formelle et la rédaction d’un article imposent leurs propres normes qui devraient être respectées et prises en compte pour assurer une communication efficace et des interactions pertinentes. D’après notre analyse des productions écrites des candidats, il s’est avéré que l’utilisation des expressions appropriées en rapport avec la situation de communication, voire le genre textuel entre autres, n’a pas été prise en considération. Ces quelques exemples illustrent notre propos : « Coucou », « Salut chers lecteurs Wapiti », « Bonjour service client amazon.fr », « Salut service » pour débuter un message formel, ou « Amicalement », « À+ », « Amitiés » pour clore une correspondance officielle. De même, à la place d’un titre absent, nous avons dégagé des expressions, comme « Mes chers lecteurs du magazine », « Chère rédactrice/directrice du site www.lexpress.fr », « Bonjour mes ami/à tous ». À la fin de l’article, nous avons annoté « Merci beaucoup », « Bien à vous », « Cordialement/Bien cordialement », « À bientôt », « Sentiments distingués ». Il est bien clair que ces expressions sont linguistiquement correctes, mais sont jugées bizarres du point de vue socioculturel.

50(b) L’usage du tutoiement est repéré dans plusieurs productions écrites. Or, bien que l’usage du tutoiement soit de plus en plus répandu chez les jeunes, il est hors de question de l’utiliser dans un contexte formel. Pourtant, on a détecté de phrases erronées comportant le « tutoiement » qui pourrait créer une certaine confusion au niveau de la communication. Par exemple : « Tu n’as pas d’excuse de… », « Je t’écris pour… », « Comment tu veux que j’achetes… », « Ça te parais bizarre que… », « D’ailleurs, tout ça sont tes excuses… », « Tu ne trouves pas que le livre… ». Ces quelques exemples sont révélateurs et nous permettent de souligner chez les candidats une carence de la compétence socioculturelle requise pour établir une communication efficace.

51Ces quelques exemples, présentés à titre indicatif, prouvent un manque d’« aptitudes et savoir-faire interculturels17 », notamment une incapacité du candidat « de jouer le rôle d’intermédiaire culturel entre sa propre culture et la culture étrangère et de gérer efficacement des situations de malentendus » (ibid.). À signaler que l’usage inadéquat des « règles de politesse fournissent une des raisons les plus importantes pour s’éloigner du ‘‘principe de coopération’’ » (ibid. p. 93).

8. Discussion

52Partant du constat que « la compétence sociolinguistique porte sur la connaissance et les habiletés exigées pour faire fonctionner la langue dans sa dimension sociale » (ibid. p. 93), nous considérons le choix approprié des éléments lexico-grammaticaux assure la pertinence du discours comme un critère essentiel et déterminant qui permet de consolider la communication socioculturelle.

53Notre recherche, qui est encore en cours, se fixe comme objectif d’estimer et de tâcher d’expliquer les discordances entre la pertinence du discours et le genre textuel demandé, afin de mieux comprendre les raisons qui ont conduit les candidats hellénophones à choisir des éléments lexico-grammaticaux, linguistiquement correctes, mais, culturellement parlant, inappropriés. Cela dit, le choix erroné ne fait pas preuve d’un manque de savoirs linguistiques des candidats. Ceux-ci, étant influencés soit par la LC1 soit par d’autres LC apprises auparavant -surtout par l’anglais comme première langue étrangère, ne parviennent pas à développer les savoir-faire socioculturels « qui les aideraient à s’exprimer de manière convenable tout en respectant les contraintes dictées par le genre textuel18 ». À noter que l’enseignement de l’anglais est assuré dès la première classe de l’école primaire dans tous les établissements scolaires grecs, fait qui nous permet d’inférer que l’influence de l’anglais sur le choix inapproprié des éléments lexico-grammaticaux est évidente. L’influence de la langue anglaise, étant la première langue étrangère pour les hellénophones, serait une première conclusion qui pourrait être tirée à ce stade de notre recherche.

54De plus, les manuels scolaires récents focalisent sur le développement de la compétence communicative par le biais de la mise en valeur de l’expression orale. Par conséquent, les enseignants accordent plus d’importance au développement de l’expression orale au détriment de la production écrite, notamment, de l’analyse des caractéristiques et des contraintes des genres textuels. Même si les enseignants exprimaient toute leur volonté et tout leur désir de consacrer plus de temps au développement de la production écrite et à la familiarisation des apprenants avec les différents genres textuels, le cours du FLCE, étant réduit à raison de 2 heures par semaine, ne le leur permettraient pas.

55Une autre composante concerne les textes publiés sur les sites Internet. La plupart de ces textes « imprimés », qui se veulent être de beaux textes conformes à la norme, qui semblent prendre en compte les contraintes imposées par le discours écrit, ne respectent toujours pas le registre de langue. Cela est valable aussi pour les réseaux sociaux où on constate une transgression des registres de langue. Nous nous référons aux réseaux sociaux car les élèves ont souvent tendance à les consulter et à imiter leur écriture.

9. En guise de conclusion

56Dans le cadre de cet article, nous n’avons pas souhaité d’étudier tous les critères d’évaluation. Nous nous sommes concentrés uniquement sur la pertinence du discours, voire le registre de langue. Ce critère, jugé à notre sens essentiel et fondamental, permet d’établir une communication efficace sans engendrer des malentendus et des confusions lors de l’interaction.  

57Suite à l’étude des productions écrites, nous avons constaté que les éléments lexico-grammaticaux qui fonctionnent comme des « constituants » pour établir le registre de langue approprié à la situation de communication donnée et précisée par la consigne de l’activité, n’ont pas été bien choisis comme on aurait pu s’attendre des candidats présentés aux examens du KPG aux niveaux B2 et C. Les causes de cette faiblesse peuvent être dues à des raisons diverses : manque de savoir-faire socioculturels, représentations des apprenants face à la langue française ou influences d’autres langues apprises auparavant.

58Notre recherche s’est avérée d’une aide précieuse pour revoir l’enseignement du FLCE au sein de la classe de langue. À savoir, sensibiliser les apprenants au bon usage du français ; les familiariser aux caractéristiques des genres textuels ; leur mentionner l’utilisation adéquate des registres de langue, comme par exemple les formules de politesse dans la correspondance formelle, la rédaction d’un article, l’usage du tutoiement ; les encourager et les soutenir à s’exprimer par écrit tout en mettant l’accent sur les normes et les spécificités de la langue-cible.

59De plus, les remarques issues de notre recherche peuvent constituer un apport considérable pour les chercheurs en la matière qui sont appelés à se pencher sur cette problématique à la lumière d’une nouvelle ère de la didactique du français langue-culture étrangère.

60Pour ce faire, la collaboration étroite entre enseignant et chercheur est jugée essentielle et indispensable.

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Rastier, François, 2004, « Poétique et textualité », Langages 153, 120-126.

Tagliante, Christine, 2006, La classe de langue. Paris : CLE International.

Tardieu, Claire, 2008, La didactique des langues en 4 mots-clés. Communication, culture, méthodologie, évaluation. Paris : Ellipses.

Notes

1  Kiyitsioglou-Vlachou, Catherine, 2001, « Les bienfaits de l’erreur », Le français dans le monde 315, 30-31.

2  Astolfi, Jean-Pierre, 2015, (12e éd.) L’erreur, un outil pour enseigner. Issy-les-Moulineaux, ESF, coll. Pratiques et enjeux pédagogiques.

3  Lamy, André, 1981, La pédagogie de la faute. CIEP/BELC.

4  Gauthier, André, 1987, « De l’intérêt qu’il y a pour l’élève à se colleter avec les difficultés de la langue qu’il s’efforce de s’approprier », Les langues modernes 5, 18-22.

5  Dolz-Mestre, Joaquim, & Schneuwly, Bernard, 2009, (4e éd.) Pour un enseignement de l’oral. Initiation aux genres formes à l’école. Issy-les-Moulineaux : Éds ESF.

6  Tardieu, Claire, 2008, La didactique des langues en 4 mots-clés. Communication, culture, méthodologie, évaluation. Paris : Ellipses.

7  Puren, Christian, 1988, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues. Paris : Nathan, CLE International.

8  Cuq, Jean-Pierre, 2003, Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde. Paris : CLE International.

9  Conseil de l’Europe, 2001, Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Paris : Didier.

10  Astolfi, J. P., L’erreur, un outil pour enseigner, Issy-les-Moulineaux, ESF, coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, 2015, p. 102.

11  Ludwig, R., (Sous la direction de), « L’oralité des langues créoles – “agrégation” et “intégration” », Les créoles français entre l’écrit et l’oral. Tübingen : Gunter Narr Verlag, coll. « Script oralia »,  1989, p. 17.

12  Critères d’évaluation des ressources linguistiques : l’orthographe et la ponctuation ; l’étendu du lexique (adéquation et richesse) ; la grammaticalité/l’acceptabilité du discours ; la pertinence du discours ; la cohésion et la cohérence du discours.

13  « À partir du niveau B2, les apprenants sont capables de s’exprimer de manière adéquate dans une langue appropriée aux situations et aux acteurs sociaux et ils commencent à acquérir la capacité de faire face aux variations du discours et de mieux maîtriser le registre et l’expression. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 95).

14  Pour le niveau B, sont prévues deux activités à réaliser : une pour le B1 et une autre pour le B2. Par contre, le niveau C comprend une seule activité comportant deux tâches à accomplir.

15  Les chiffres, qui figurent sur la première ligne du tableau (5, 3, 1), correspondent comme suit : le 5 aux niveaux B2 ou C2, le 3 aux niveaux B1 ou C1 et le 1 se situe au-dessous du niveau demandé.

16  Ces deux activités ont été analysées par Kiyitsioglou-Vlachou & Tsaknaki (2017).

17  Conseil de l’Europe, Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Paris : Didier, 2001, p. 84.

18  Kiyitsioglou-Vlachou & Tsaknaki, « Adéquation du genre textuel : un critère qualitatif pour consolider la communication ». Actes du colloque « Le triple visage du langage : forme, sens, expression », Université de Banja Luka, Faculté de Philologie, République Serbe, Bosnie-Herzégovine, 2019.

Pour citer ce document

Par Catherine Kiyitsioglou-Vlachou, «Des erreurs socioculturelles à la valorisation de l’apprentissage interculturel : le cas des apprenants hellénophones», Revue du Centre Européen d'Etudes Slaves [En ligne], Numéro 7, La revue, Langues et Didactique, mis à jour le : 31/01/2022, URL : https://etudesslaves.edel.univ-poitiers.fr:443/etudesslaves/index.php?id=1425.

Quelques mots à propos de :  Catherine Kiyitsioglou-Vlachou

Docteur en Didactique du français langue étrangère de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris III, ancienne conseillère pédagogique au secondaire, elle est Professeure au Département de Langue et de Littérature françaises de l’Université Aristote de Thessalonique, où elle enseigne la Didactique des langues étrangères en Licence et en Master. Elle est responsable du stage pratique des étudiants du même Département. Directrice du Laboratoire de Didactique des Langues Vivantes (DLD), depuis l’année ...

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