Avant-propos

Par Dragana Lukajic et Radana Lukajic
Publication en ligne le 27 septembre 2015

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Texte intégral

1Le cinquième numéro de la Revue du Centre Européen d’Études Slaves réunit les communications présentées lors de la Journée d’études Langue, Lettres, Mémoire, qui a eu lieu à la Faculté de philologie de l’Université de Banja Luka (Bosnie-Herzégovine), le 16 mai 2014. Cette Journée d’études, la première organisée par la Chaire de langue et de littérature françaises de Banja Luka, se présente comme fruit d’une collaboration établie entre l’Université de Banja Luka et l’Université de Poitiers. A l’initiative du  laboratoire MIMMOC EA 3812 et du CEES de l’Université de Poitiers, cette manifestation scientifique a rassemblé les chercheurs français, serbes et bosniens. À cette occasion, les auteurs ont abordé différents sujets : en puisant, d’une manière ou d’une autre, dans le dépôt de l’histoire, ils ont tenté d’éclairer certains faits linguistiques et littéraires.

2Les communications que comporte ce numéro sont regroupées en deux parties : dans la première partie, Langue et Mémoire, on explore des couches sémantiques soit d’un parler, soit d’un mot, dans le but de jeter la lumière sur la présence de certains phénomènes langagiers. En même temps, on réfléchit sur des ressources créatives susceptibles de motiver l’apprentissage d’une langue étrangère, notamment du français. Ainsi, Selena Stankovic remonte aux VIe et VIIe siècles de notre ère, afin de dégager le substrat romain dans les parlers serbes de la région de Prizren et du Timok. En partant de l’époque de grandes vagues migratoires, sur la péninsule des Balkans, elle suit l’évolution desdits parlers et met en évidence l’influence qu’ils ont subie, dans ce processus, de dialectes romans. Cette influence a laissé une trace profonde à tous les niveaux de la langue, creusant ainsi un écart important entre les parlers de Prizren et du Timok et les autres dialectes serbes. Ivan Jovanovic, quant à lui, nous situe aux espaces de la parémiologie : en confrontant les proverbes français contentant le lexème ‘chien’ avec leurs équivalents, lexicaux et/ou sémantique, en serbe, il cherche à extraire les attributs que le concept de chien possède dans l’imaginaire collectif des locuteurs français et serbes. Dragana Lukajic, pour sa part, nous propose un pan de la sémantique verbale, en analysant les verbes serbes dérivés avec le préfixe po-.  En prenant en ligne de compte des faits diachroniques, elle cherche à établir la contribution sémantique du préfixe, d’une part, et du verbe de base, dans la formation de la sous-signification de couverture partielle, reposant sur la notion de contact. Dans son travail, rédigé en serbe, Vesna Simovic porte l’attention sur la position marginale de la production écrite dans l’apprentissage de français et propose les méthodes qui suscitent créativité et mémorisation chez des apprenants serbophones. Sa réflexion aboutit au constat que l’écriture créative peut jouer un rôle très important dans la motivation des élèves et renforcer leurs compétences langagières.

3La seconde partie, Littérature et Mémoire, réunit quatre contributions interrogeant, chacune à sa manière, certaines problématiques liées au fait littéraire compris dans un sens large. Ainsi, après une introduction sur l’impact du mythe dans la littérature et de ses moyens de survivre dans les textes littéraires contemporains, Sanja Boskovic analyse-t-elle le roman Le Dictionnaire Khazar de Milorad Pavic où la fonction poétique du mythe, compris comme une méta-histoire ou une méta-réalité, constitue le dynamisme foncier de l’architecture du roman. Comme le conclut Sanja Boskovic, c’est à partir du vécu culturel collectif et le riche héritage folklorique que Pavic crée sa vision du monde et son réalisme onirique où le mythe, comme une source inépuisable de significations et d’interprétations multiples, se donne comme le seul capable de nous dire la vérité sur notre condition humaine. En revanche, la contribution d’Anja Bundalo nous situe au sein du XVIIIe  siècle et tâche de nous sensibiliser à l’idée de l’hétérogénéité idéologique de la pensée des Lumières qu’on a souvent tendance – à tort, paraît-il – à réduire à un certain nombre de concepts plus ou moins analogues. Le bref panorama des idées politiques des Lumières et du rapport des mêmes à l’égard du gouvernement monarchique jette un jour plus cru sur toutes les divergences des concepts idéologiques et philosophiques des Lumières, les divergences qui n’hypothèquent pas pour autant leur foi commune accordée à la « monarchie éclairée » représentant une forme idéale de l’État. Milica Mijatovic, pour sa part, se propose de nous répertorier les topoï autobiographiques dans Enfance de Nathalie Sarraute : en effet, en se penchant sur les dispositifs principaux de cette œuvre autobiographique sui generis, elle essaie de montrer les écarts délibérés de l’écrivaine par rapport à l’écriture autobiographique conventionnelle qui se présentent à la fois comme une critique et une tentative du renouvellement du genre. La fusion des fameux « tropismes » et de l’aveu intime débouche, comme l’affirme Milica Mijatovic, sur une forme autobiographique nouvelle qui excède largement le cadre de l’autobiographie traditionnelle. Avec la contribution de Radana Lukajic nous restons dans le champ des problématiques liées à l’écriture autobiographique. En traitant de la trilogie mémorialiste Le Labyrinthe du monde de Marguerite Yourcenar, Radana Lukajic appuie sur le fait que les définitions usuelles du genre autobiographique ne sauraient être de mise dans l’écriture yourcenarienne vu que l’auteure s’inscrit en faux contre toute tentative plus ou moins égotique dans son écriture mémorialiste hors pair. En partant de la prémisse d’une substantielle inconsistance de l’identité humaine  et en assumant, dans son procédé scriptural, une nette distanciation entre le « je » narrant et le « je » narré, le texte du triptyque mémorialiste de Yourcenar est une illustration parfaite d’un genre hybride, qualifié d’hétérobiographique.

4La variété thématique des deux volets de ce cinquième numéro de la Revue du Centre Européen d’Études Slaves nous permet d’appréhender les ressources richissimes des interférences culturelles, linguistiques et littéraires entre la France et les pays des Balkans de l’Ouest. Les articles ici présentés, issus de la première rencontre des chercheurs français, serbes et bosniens à l’Université de Banja Luka, proposent de nouvelles hypothèses scientifiques à partir des matériaux divers et dûment documentés tout en témoignant d’une grille de lecture plurielle de différentes problématiques relatives à la langue, la littérature et aux phénomènes culturels.

Pour citer ce document

Par Dragana Lukajic et Radana Lukajic, «Avant-propos», Revue du Centre Européen d'Etudes Slaves [En ligne], Numéro 5, La revue, mis à jour le : 19/11/2021, URL : https://etudesslaves.edel.univ-poitiers.fr:443/etudesslaves/index.php?id=1089.