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Le rôle du préfixe po- en serbe dans l’assignation des relations spatiales : la sous-signification de la couverture partielle
Par Dragana Lukajic
Publication en ligne le 14 septembre 2015
Résumé
U ovom radu razmatraju se semantičke osobine glagola izvedenih sa prefiksom po- u srpskom jeziku, sa značenjem djelimične pokrivenosti. U literaturi srpskog jezika, posvećenoj semantici glagolskih prefiksa, za gotovo svaki prefiks nudi se čitav snop značenja. Pa ipak, pri tome nije jasno da li je ova očigledna polisemija prouzrokovana semantičkim uplivisanjem osnovnih glagola ili, pak, proizilazi iz značenjskog prostora samog prefiksa, kao rezultat njegovog istorijskog razvoja.Cilj naše analize je da ustanovimo semantički uticaj prefiksa, s jedne strane, i osnovnog glagola, sa druge, u obrazovanju podznačenja djelimične pokrivenosti, utemeljenog na pojmu kontakta. Da bismo ovo postigli, za ishodište naše analize uzećemo dijahronijske fakte vezane za semantički identitet prefiksa. Potom ćemo da definišemo, na osnovu korpusa potvrđenih primjera iz savremenog srpskog jezika, osnovno značenje prefiksa po-, te da utvrdimo semantičko-sintaksičke osobine osnovnih glagola vezanih za naše istraživanje. Na osnovu ovog postupka, moći ćemo da utvrdimo da li je, i u kojoj mjeri, pojam kontakta sadržan u samom prefiksu po-, kao talog njegovog semantičkog nasljeđa, ili proishodi iz semantike osnovnog glagola.
Cet article propose une réflexion sur les propriétés sémantiques du préfixe po- en serbe et les verbes dérivés à partir de lui, réunis autour de la sous-signification de la couverture partielle. En ce qui concerne les descriptions sémantiques des préfixes verbaux en serbe, on trouve, pour presque chaque préfixe, tout un faisceau de significations, dont on traite en termes de significations préfixales. Or, on ne précise pas si cette polysémie évidente est conditionnée par l'influence sémantique des verbes de base ou, par contre, elle provient de l'espace sémantique du préfixe verbal per se, en tant que résultat de son évolution historique. L'objectif que nous nous posons ici est d'établir la portée sémantique du préfixe po-, d'une part, et du verbe de base, de l'autre, dans la formation de la sous-signification de la couverture partielle, intégrant la notion de contact. Pour ce faire, nous prendrons comme point de départ les faits diachroniques relatifs à l'identité sémantique des préfixes verbaux. Ensuite, nous nous proposons de dégager, à base d'un corpus d'exemples attestés, le sémantisme de base du préfixe po- en serbe, aussi bien que les propriétés sémantiques et syntaxiques des verbes de base donnés. Cette démarche nous permettra d'établir si cette notion spatiale provient de l'espace sémantique du préfixe, en tant que strate conservée de son sémantisme originel, ou, par contre, elle déteint le verbe dérivé grâce au sémantisme du verbe de base.
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Table des matières
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Le rôle du préfixe po- en serbe dans l’assignation des relations spatiales : la sous-signification de la couverture partielle (version PDF) (application/pdf – 342k)
Texte intégral
Introduction
1Qu’est-ce qu’est donc un préfixe verbal, quelle est son identité sémantique et syntaxique, étroitement liée à la notion de perfectivité? Pour répondre à cette question, nous nous rapportons aux résultats des recherches menées sur les préfixes dans l’espace indo-européen, qui mettent en évidence le fait suivant : leur fonction s’est dégagée lors de l’évolution à partir d’éléments mobiles qui sont à l’origine également des prépositions. La plupart des préfixes sont donc d’anciennes particules de l’indo-européen restant parfois autonomes à l’état de particules ou portant soit sur des groupes nominaux soit sur des formes verbales. Dans le premier cas, il s’agit de prépositions ou de postpositions, dans le second, on a affaire aux préfixes, nommés encore préverbes1.
2Cette brève incursion diachronique, non seulement elle met en évidence la filiation commune des préfixes verbaux et des prépositions, mais, en même temps, montre que leur dissociation progressive, fonctionnelle et sémantique à la fois, finit par les placer dans deux domaines différents2 : les préfixes verbaux, opérant sur les procès, se situent dans le domaine du temps, les prépositions, informant sur les choses, appartiennent au domaine de l’espace. Cependant, cette séparation, est-elle tracée une fois pour toutes entre ces deux espèces des mots, chacune opérant dès lors dans le domaine qui serait strictement« le sien » ? Ou, par contre, y aurait-il des zones de rapprochements, où elles se croisent toujours, en témoignant par là de leur ascendance commune ?
3En nous référant aux descriptions sémantiques des préfixes verbaux en serbe, la langue dans laquelle nous effectuons notre analyse, la réponse à cette dernière question s’annonce affirmative : parmi toutes les significations qu’un préfixe verbal peut endosser3, une au moins est spatiale, quasi identique à celle de son homologue prépositionnel, s’il en a un. Par un procédé identique, mais inverse, le signifié de la préposition est susceptible d’effectuer un glissement au domaine temporel, servant à localiser un événement dans le temps.
4En ce qui concerne les préfixes verbaux, ces mots sont considérés, dans la littérature serbe, comme hautement polysémiques, donnant lieu à tout un éventail de significations. Cependant, on s’interroge peu, dans ces descriptions, sur le rôle du verbe de base dans les variations sémantiques du préfixe. A titre d’exception, nous mentionnons Grickat (1966), qui, en proposant sa conception de la perfectivité grammaticale4, l’explique par les recoupements de différentes « tranches sémantiques » respectives du préfixe et du verbe de base. Autrement dit, en fonction de la signification que l’on veut déclencher, dans le potentiel sémantique du verbe de base, on choisit le préfixe qui possèderait la signification correspondante.
5Cet article propose une réflexion sur les propriétés sémantiques des verbes dérivés avec le préfixe po-, réunis autour de la sous-signification de la couverture partielle. En effet, en analysant les verbes serbes dérivés avec ce préfixe, souvent considéré comme „le moins chargé sémantiquement“5, nous avons constaté qu’ils se répartissent en plusieurs significations, dont l’une est celle du contact. Cette signification elle-même se divise en deux sous-significations, qui sont mélange et couverture, totale et partielle, laquelle nous examinons ici.
6En laissant de côté la notion de perfectivité pure dont l'existence est, soit dit au passage, mise en question par les slavisants, l'objectif que nous nous posons ici est d'établir la portée sémantique du préfixe po-, d'une part, et du verbe de base, de l'autre, dans la formation de la signification de la couverture, basée sur la notion de contact. Cela nous permettra de voir si cette notion spatiale se loge dans l'espace sémantique du préfixe, en tant que legs sémantique des particules, ou, par contre, elle marque le verbe dérivé grâce au sémantisme du verbe de base.
7Cet article s'ordonne comme suit. Tout d'abord, nous présentons les courants théoriques qui étayent notre analyse et proposons la description de notre corpus. Ensuite, nous présentons le sémantisme du préfixe po-. Avant de cerner les propriétés sémantiques des verbes appartenant à la sous-signification de couverture et, notamment, de couverture partielle, nous nous proposons de circonscrire la notion de contact dans les relations spatiales. Cela nous permettra d'introduire certaines réflexions de Vandeloise (1986), s'insérant également dans le courant cognitiviste. À l'issu de cette analyse, nous en résumons les résultats et proposons une conclusion.
1. Cadres théoriques
8Pour effectuer notre analyse, nous nous sommes appuyée sur les hypothèses de Talmy (2000), qui s’inscrivent dans les cadres de la linguistique cognitive. Ce courant de la linguistique, né aux Etats-Unis au milieu des années soixante-dix, représente plutôt un paradigme qu’une seule théorie. Dans un sens plus général, les théories et les courants de la linguistique cognitive peuvent être divisés en deux domaines de recherche : la sémantique cognitive, où s’insère notre analyse, et les approches cognitives de la grammaire. Ce qu’elles ont en commun, c’est l’idée que les principes cognitifs contrôlent tous les aspects de la langue.
9En ce qui concerne les hypothèses de Talmy sur lesquelles s’appuie notre étude, nous nous intéressons surtout à ses propositions concernant les correspondances, rehaussées par une terminologie unique, entre les catégories conceptuelles de l’espace et du temps. Chez Talmy, les structures conceptuelles sont groupées en quatre grands systèmes : la schématisation structurelle (Configurational System), le déploiement de la perspective (Perspectival System), la distribution de l’attention (Attentional System) et la dynamique des forces (Force-Dynamics System). Les patrons notionnels qui apparaissent dans les catégories et systèmes schématiques exhibent certains principes d’organisation. Un de ces principes est l’homologie dans la représentation de l’espace et du temps. Le second principe d’organisation des structures conceptuelles est le principe de conversion. Il s’agit de l’opération cognitive qui convertit l’indication d’une notion dans une autre à l’intérieur de la même catégorie.
10En ce qui concerne les notions d’espace et de temps, qui sont centrales dans notre étude, elles sont constituantes de la catégorie schématique de domaine. Le type de la quantité propre à l’espace est matière, se présentant comme continue ou discrète. D’autre part, la quantité qui existe dans le temps est action, se présentant sous forme d’activité, lorsqu’elle est continue, ou d’acte, lorsqu’elle est discrète. L’opération cognitive de conversion propre au domaine est celle de réification. Cette dernière consiste en conversion d’une racine verbale, exprimant un acte ou une activité, en une autre forme grammaticale, y compris les substantifs. L’opération cognitive opposée à la réification est nommée actionnalisation. Comme le mot même le dit, il s’agit de l’intégration conceptuelle d’un référent physique dans l’action même qui l’implique. Ces deux principes, homologie et conversion, sont à la base du sémantisme des verbes dérivés qui font l’objet de notre analyse.
11Dans la section suivante, nous présentons brièvement notre corpus et la méthodologie de recherche appliquée dans cette étude.
2. Corpus et méthodologie de recherche
12Pour constituer les données à partir desquelles il va élaborer et vérifier les hypothèses de son travail, le linguiste dispose de deux méthodes: l’introspection et l’élaboration d’un corpus. Dans le premier cas, l’analyste observe et manipule les énoncés forgés par lui-même. Dans le second, son travail s’effectue sur les exemples attestés, issus de différentes ressources (littérature, presse, articles scientifiques etc.), produits spontanément, en dehors des besoins de l’analyse linguistique. Dans le but de proposer une description sémantique du préfixe po- et des verbes dérivés à partir de lui, nous avons successivement observé deux types de données : corpus attesté et corpus « forgé ». Cette combinatoire nous permet de pallier, tant bien que mal, aux faiblesses de chaque méthode utilisée séparément. En même temps, la méthode d’introspection s’explique par la nécessité de manipuler les occurrences relevées dans le corpus afin de vérifier leur comportement par rapport à la notion de télicité, incontournable lorsqu’il s’agit de déterminer le type sémantique du verbe.
13Pour constituer notre corpus brut de données, notre ressource principale était le Dictionnaire de la langue serbo-croate littéraire (Rečnik srpskohrvatskoga književnoga jezika) qui rassemble des énoncés tirés de la littérature, produits dans la période entre 1867 et 1966. Notre corpus se définit donc comme un corpus d’échantillons, avec la taille minimale d’une phrase, de langue générale (écrite et littéraire), monolingue et synchronique. A partir de ce corpus brut, nous avons constitué le premier sous-corpus de données, en prenant comme critère les propriétés morpho-sémantiques des verbes de base.
14Cela nous a permis d’en discerner plusieurs types, que nous avons classés selon les critères présentés ci-dessous6 :
15I Le type morphologique du verbe de base: du point de vue formel, les verbes de base se divisent en deux groupes majeurs : verbes simples et verbes composés.
161. Les verbes de base simples sont divisés eux-mêmes en deux catégories :
17a)les verbes de base autosémantiques7, appartenant au patron dérivationnel ‘V’, qui sont dérivés de la racine (base) verbale et la désinence -ti ou -ći, qui peut aussi être précédée par un suffixe. Les bases verbales sont de deux types :
18-les racines liées : il s’agit des bases au « sémantisme tronqué », complété par celui du préfixe donné. Par exemple, les verbes dérivés correspondant à ce patron sont po-četi ‘commencer’, po-bijediti ‘vaincre’, po-žeći ‘brûler, consommer’, po-begnuti, ‘s’enfuir’, etc. Les racines liées respectives -četi, - bijediti, - žeći, - begnuti apparaissent également dans la combinaison avec d’autres préfixes (na-četi, ‘amorcer’, u-bijediti ‘convaincre’, sa-žeći ‘brûler’, iz-begnuti‘ éviter’ etc.).
19-les bases verbales attestées : ce sont des verbes qui existent, en tant que tels, dans le lexique de la langue serbe. Il s’agit des verbes comme le sont bra-ti ‘cueillir’, bac-i-ti ‘jeter’ etc.
20b)les verbes de base dérivés des autres catégories des mots :
21- noms, dits des dénominaux (cvjet-a-ti ‘fleur : fleurir’, snjež-i-ti ‘neige : neiger’), présentant le patron dérivationnel ‘V [N-ti/ći]’,
22- adjectifs, dits désadjectivaux (blijed-i-ti ‘pâle : pâlir’, svijetl-i-ti ‘clair : éclaircir’), appartenant au patron dérivationnel ‘V [Adj-ti/ći]’,
23- pronoms personnels (vi-ka-ti ‘vous : vouvoyer’, ti-ka-ti ‘tu : tutoyer’, svoj-a-ta-ti ‘sien : faire devenir sien ; s’approprier’), présentant le patron dérivationnel ‘V [Pro-ti/ći]’,
24- nombres (dvoj-i-ti ‘deux : diviser ; douter’, devet-a-ti ‘ neuf : fig. battre’), selon le patron dérivationnel ‘V [Nbr-ti/ći]’,
25- adverbes (napred-o-va-ti ‘avant : avancer’, protiv-i-ti se ‘contre : contrarier’), appartenant au patron dérivationnel ‘V [Adv-ti/ći]’,
26- interjections / onomatopées ( mu-ka-ti ‘meugler’, ble-ja-ti ‘beugler’, škrip-a-ti ‘grincer’, kuk-a-ti ‘faire des cri (oiseau) ; se lamenter’), selon le patron dérivationnel ‘V [Intj-ti/ći]’.
272. Les verbes composés sont les verbes dérivés, présentant le patron dérivationnels ‘V[(PREFIXE)V-SUFFIXE (IMP)-ti/ći], l’élément préfixal étant optionnel. En effet, nous avons rencontrés deux types des verbes de base dérivés :
28-les verbes imperfectifs dits indéterminés, dérivés soit des verbes imperfectifs simples déterminés, soit des verbes perfectifs simples. Il s’agit des verbes comme le sont let-a-ti (IMP) › let-i-ti (IMP) ‘voler’, bac-a-ti (IMP) › bac-i-ti (PF) ‘jeter’, puštati (IMP) › pustiti (PF) ‘lâcher’ etc. ;
29-les verbes préfixés: dans certains cas, le préfixe po- apparaît dans la combinaison avec un ou deux, à la rigueur trois préfixes. Le verbe de base préfixé est, dans la plupart des cas, un imperfectif second (IMP), plus rarement un verbe perfectif (PF), comme l’illustrent les verbes dérivés suivants : za-badati (IMP) planter l’un après l’autre’, na-pijati (IMP) ‘souler l’un après l’autre’, iz-do-laziti (IMP) ‘arriver l’un après l’autre’, iz-biti (PF) ‘arracher, faire sortir l’un après l’autre ; battre l’un après l’autre’, iz-niknuti (PF) ‘pousser, éclore l’un après l’autre’, etc.
30II Valeur aspectuelle des verbes de base: à part les verbes de base imperfectifs, simples ou composés, présents dans une grande majorité des cas, certains verbes sont dérivés avec les verbes perfectifs, la plupart d’entre eux contenant le suffixe de semelfactif –nu–. Il s’agit des verbes comme le sont dići ‘lever’, kleknuti ‘fléchir ; céder, abandonner’, krenuti ‘commencer ; partir’, staviti ‘mettre sur / à’, viknuti ‘pousser un cri’ etc.
31Compte tenu de ces critères, sont entrés dans notre corpus uniquement les verbes de base simples, de valeur aspectuelle imperfective. Dans le cas des verbes autosémantiques (‘V’), nous n’avons examiné que les bases verbales attestées.
32Une fois le corpus bâti, nous avons pu procéder à l’examen d’un grand nombre de citations employant le préfixe étudié. En effet, à ce stade de notre analyse, nous avons constaté que les verbes dérivés déclinent en nombre limité d’emplois. En fonction de la proéminence sémantique des concepts constituants, nous avons répartis les verbes dérivés selon les groupes suivants :
33-causatif,
34-contact,
35-couverture
36-délimitatif,
37-inchoatif,
38-ingressif,
39-itératif,
40-mélange,
41-résultatif.
42Une analyse détaillée de tous ces types de verbes nous a permis de constater que, parmi ces catégories sémantiques, le délimitatif, le contact et le résultatifs sont les plus proéminents, en tant que les plus structurés, les autres émanant d’eux. Au vu de ce fait, on traite en termes de trois significations et six sous-significations des verbes dérivés avec le préfixe po-. Cette liste nous a permis de dégager l’identité sémantique de ce dernier, présentée dans la section suivante.
3. Sémantisme du préfixe po- en serbe
43Avant de décrire les propriétés sémantiques du préfixe po- , il y lieu d’évoquer le parallélisme, relevé dans les recherches diachroniques, entre la catégorie des déterminants, d’une part, et les préfixes verbaux, de l’autre (Paliga, 2007). A ce propos, nous référons à Riegel et al.8, selon lesquels les déterminants „quantifient et déterminent le sémantisme du nom pour former une expression référentielle dénotant une contrepartie dans la réalité“. Si l'on sait que cette réalité est déterminée en premier lieu par l'espace, constituant un cadre physique à notre hic et nunc, on en conclut que l'actualisation serait le concept de base entrant dans la catégorie des déterminants.
44Une analyse plus serrée des verbes dérivés avec le préfixe po- en nous a permis de constater que ce dernier possède le même pouvoir actualisant dans le cas où le verbe de base ne s'attache pas d'objet incrémental9, aussi bien que dans d'autres types de verbes, appartenant à la catégorie conceptuelle des entités continues. En termes de la pragmatique référentielle, la fonction sémantique du préfixe po- serait d’assurer le passage de la référence virtuelle vers la référence actuelle 10, autrement dit de rendre fini ce qui est potentiellement infini.
45En analysant les données recueillies, nous avons trouvé, au sein du sémantisme du préfixe po-, l'information suivante: 'il existe, dans une situation donnée, une quantité de x', le terme x renvoyant au procès dénoté par la base verbale. Au niveau conceptuel, ce préfixe est l'opérateur, représentée par les lettres majuscules 'PO-', dont la fonction consiste à „prélever“ une quantité du procès sur le fond spatio-temporel, en convertissant ainsi une substance continue (con) en une substance discrète (dscr), comme c’est représenté ci-dessous :
46PO- [(x)Vcon] → [(po-x)Vdscr]
Figure 1: La représentation sémantique du préfixe po- en serbe
47Le signe x représente la zone sur laquelle opère le préfixe, donc, l'action, en tant que substance d'ordre temporel. Les bornes présentées sous formes de pointillées indiquent que celles-ci peuvent être floues, la fonction première du préfixe étant de référer à ce qui est à l'intérieur de celles-ci, en tant qu'entité repérable, i.e. existante dans l'espace-temps.
48Pour ce qui est de la quantité de procès délimité, elle varie: dans certains cas, les procès sont perçus comme instantanés, pouvant être exprimés par les expressions adverbiales renvoyant à un laps de temps très court, comme, par exemple, u trenutku ‘en un instant’, alors qu'en d'autres ils sont perçus comme possédant une certaine durée, pouvant être exprimés avec les expressions x / za x vremena ‘pendant / en x temps’ ou les adverbes malo 'un peu' ou dosta 'assez'. La fonction foncièrement délimitative du préfixe po- nous suggère qu’il intègre, de par son sémantisme, la notion de borne, constituante de la catégorie grammaticale de la perfectivité.
49Avant de présenter la sous-signification de couverture des verbes dérivés avec le préfixe po-, émanant elle-même de la signification de contact, nous nous proposons de circonscrire, dans la section suivante, la notion de contact. Cela nous permettra également d’introduire la distinction ‘cible / site’, relevant de la conceptualisation des relations spatiales.
4. Concept de contact et relations spatiales
50Pour répondre à notre objectif, nous nous reportons d’emblée à Vandeloise (1986) pour qui le concept de contact représente une des caractéristiques dominantes entrant dans la description des prépositions spatiales en français. Ce concept est constitutif de deux types de relations spatiales : ‘porteur / porté’, utilisée dans la description des prépositions sur / sous, d’une part, et ‘contenant / contenu’, définissant la description des prépositions dans / hors de, de l’autre. Concernant celle-là, le concept de contact est explicitement mentionné dans la liste des règles d’usages énoncées par Vandeloise11.
51En nous aventurant ainsi, par le biais de signification de contact, sur le terrain de relations spatiales, il ne nous est pas possible de contourner le phénomène de l’asymétrie conceptuelle, manifesté sous l’opposition ‘cible / site’. Ces deux termes, empruntés à la psychologie de Gestalt, viennent désigner les fonctions cognitives fondamentales permettant la conceptualisation des relations spatiales. Dans le langage, il s’agit d’un système qui permet de distinguer un concept servant de localisateur, ou de point de référence (site), d’un autre qui est à localiser (cible). Comme Talmy12le fait remarquer, les rôles de cible (figure) et de site (ground) peuvent être assumés par des nominaux en tant qu’éléments d’une phrase simple, exprimant une relation spatiale, aussi bien que par deux événements, entretenant une relation temporelle, causale ou autre. Toutefois, l’assignation des fonctions de cible et de site n’est pas le privilège exclusif des nominaux. Par exemple, en anglais, il existe des verbes intégrant, dans leur structure, la fonction de la cible (to pit ‘dénoyauter’, skin ‘peler’, shave ‘se raser’ etc.) ou de site (to shelve ‘mettre en suspens ; ajourner’, box ‘emballer’ etc.).
52Parmi les caractéristiques principales qui définissent la distinction, dans le langage, entre les concepts de cible et de site, Talmy mentionne les suivantes:
53-la cible représente une entité en mouvement, dont le trajet, la localisation ou l’orientation sont conçues comme variables ;
54-le site, en tant qu’entité de référence, est statique par rapport au cadre de référence, servant de concept qui permet l’assignation des propriétés spatiales (trajet, localisation) de la cible.
55Les notions de cible et de site réunissent en effet deux propriétés de l’argument verbal : le rôle que celui-ci joue par rapport au prédicat, d’une part, et la fonction grammaticale qu’il assume, de l’autre. Se situant donc à l’interface de la sémantique et de la syntaxe, ces deux notions sont affinées sous forme de rôles thématiques. Un rôle thématique peut être défini comme une étiquette abstraite qui définit la relation sémantique qu’un prédicat peut avoir avec un de ses arguments. A titre d’illustration, nous mentionnons les rôles thématiques les plus fréquentes et, parallèlement, les fonctions syntaxiques prototypes qu’ils assument : i) l’agent-sujet, ii) le patient-objet, ii) l’expérienceur-sujet/objet, iii) le thème-objet, iv) le but-objet/complément prépositionnel, v) la destination (le lieu)-complément prépositionnel, vi) l’instrument (le moyen)-complément prépositionnel etc.
56La caractéristique principale des verbes dérivés avec le préfixe po- réunis autour de la notion de contact est que l’entité remplissant la fonction de cible est de type continu ou massique. En ce qui concerne l’entité-site, elle peut être de type continue / massique ou discret.
57Ici, il y a lieu d’introduire la distinction entre les termes de continu et de massique, souvent pris, dans la littérature, pour synonymiques. La distinction en question s’explique par les différences d’ordre conceptuel : en effet, la catégorie [CONTINU] renvoie à des entités qui sont, de point de vue conceptuel, non délimitées (‘eau’, ‘air’, ‘sel’, ‘farine’ etc.). La conversion de la catégorie [CONTINU] en la catégorie [DISCRET] (‘eau’ → ‘goutte d’eau’, ‘farine’ → ‘une poignée de farine’, ‘sel’ → ‘sac de sel’ etc.) est rendue possible par le biais de l’opération cognitive de segmentation. En ce qui concerne la catégorie [MASSIQUE], l’ordre des opérations cognitives est inversé : les entités massiques (des fleurs, des arbres, plusieurs hommes etc.) sont des entités originairement discrètes, conceptualisées comme massiques par le biais de l’opération cognitive de multiplication (une fleur → des fleurs, un arbre → des arbres, un homme → plusieurs hommes’). Il s’agit des procédés réversibles : chaque lexème faisant l’objet d’un certain type d’opération cognitive peut se retrouver, de manière indirecte, dans sa catégorie conceptuelle de base. Nous l’illustrons par les exemples suivants :
58- une goutte d’eau→ une quantité de goutte d’eau,
59- des fleurs → un bouquet de fleurs etc.
60Pour revenir à la distinction entre les termes de continu et de massique, entrant dans la structure des verbes dérivés avec la signification de contact, on peut constater que les deux types de substances sont réunis dans la catégorie conceptuelle [NON BORNE]: les substances continues de manière directe, les substances massiques de manière indirecte, moyennant la conversion conceptuelle. Dans la section suivante, nous examinons de plus près la sous-signification de couverture.
5. Le préfixe po- et la sous-signification de la couverture
61En fonction du type de relations sous-jacentes au sémantisme verbal (‘porteur / porté’, ‘contenant / contenu’), la signification du contact des verbes dérivés aves le préfixe po- bifurque vers deux sous-significations, qui sont les suivantes : sous-signification du mélange et sous-signification de la couverture. Cette dernière se présente sous deux variantes, couverture totale et couverture partielle, laquelle nous analysons ici.
62En ce qui concerne la relation ‘porteur / porté’, elle caractérisée par Vandeloise comme une relation fonctionnelle, c’est-à-dire dérivée de la connaissance extra-linguistique que partagent les locuteurs d’une même langue. Parmi les traits qui caractérisent cette relation spatiale, Vandeloise13 mentionne les suivants :
631. Le porteur est plus généralement plus bas que le porté.
642. Le porté est généralement en contact avec le porteur.
653. Une partie du porteur est généralement cachée par le porté.
664. Le porteur est généralement plus grand que le porté.
675. Le porteur s’oppose à l’action de la pesanteur sur le porté, etc.
68A part la relation ‘porteur / porté’, la notion de couverture implique un autre concept fonctionnel : il s’agit de l’accès à la perception, déterminant pour la description des prépositions françaises près de / loin de. Appliqué à la sous-signification de couverture, ce concept offre deux cas de figure, qui sont les suivants :
69- la surface du site se présente comme discontinue à l’observateur, qui en reconstitue l’intégrité selon les principes gestaltistes. Les parties qui forment les « ruptures » du site correspondent à l’extension de l’entité-cible, renvoyant à une substance continue ou massique. Cette disposition de la cible et du site correspond à la sous-signification de la couverture partielle ;
70- la surface du site est invisible. En d’autres mots, il y a « élimination » perceptive du site : sa présence effective est inférée à partir de la comparaison avec un état de choses antérieur au contact de la cible et du site ou des connaissances encyclopédiques. Cela dit, la cible, la seule entité perceptible, s’étend sur toute la surface du site. Cet état de choses correspond à la sous-signification de la couverture totale.
71Ces propriétés prises en considération, l’information sémantique qui se dégage des verbes appartenant à la sous-signification de la couverture est la suivante: il existe une quantité indéfinie de x qui est en contact avec y et qui fait invisible la totalité ou une des parties de y. En ce qui concerne x, assumant le rôle sémantique de cible, il est intégré dans l’action même. La structure conceptuelle des verbes dérivés avec la sous-signification de la couverture peut être représentée de manière suivante :
72[PO-V-x]
73Dans la section suivante, nous proposons une description des propriétés sémantiques des verbes résultant de la sous-signification de la couverture partielle.
6. Couverture partielle
74Dans le cas de cette sous-signification, l’extension de x se présente soit comme dispersée, soit comme concentrée sur une partie de y. La conceptualisation de couverture de y par x, surtout dans le cas des actions non intentionnelles, conduit à l’effet de sens ‘tâcher, gâcher y’.
75En ce qui concerne les verbes de base appartenant au paterne ‘V[N-ti/ći]’, ou les dénominaux, les noms entrant dans la composition des verbes de base représentent soit des espèces de substances, comme c’est le cas des verbes balegati ‘crotter’ (balega ‘crotte’), baliti ‘saliver’ (bala ‘salive’) đubriti 'engraisser' (đubar 'graisse; crotte'), kaljati ‘bouer; salir’ (kal ‘boue; argile’), mastiti ‘graisser’ (mast ‘graisse’), ‘tačkati ‘pointiller’ (tačka ‘point’), soit des concepts plus généraux, renvoyant à une catégorie en son entier plutôt qu’aux membres individuels dont la catégorie se compose. Pour l’illustrer ce dernier cas de figure, nous prenons pour l’exemple les verbes comme prašiti ‘répandre de la poussière; poudrer’ ou kapati ‘dégoutter ; laisser tomber goutte à goutte’, dérivés respectivement des noms prah ‘poussière; poudre’ et kap ‘goutte’. Pour ce qui est du verbe prašiti, il renvoie à tout type de substances réduites en fines particules (poussière faite de sucre, de froment, de charbon etc.) appartenant à la catégorie [PRAH (‘POUDRE’)]. Quant au verbe kapati, il dénote les substances liquides, pouvant être représentées sous forme de gouttes, appartenant à la catégorie [TEČNOST (‘LIQUIDE’)]. Dans ce dernier cas, nous avons affaire à l’opération cognitive de segmentation, convertissant de la matière continue en matière bornée. Comme nous le verrons ci-dessous, les espèces de substance auxquelles le verbe réfère peuvent être explicitées : dans ce cas-là, l’unité linguistique employée est introduite soit directement (Acc) soit indirectement (Instr).
76Concernant les verbes dérivés à partir des bases de type ‘V’, nous en distinguons également deux séries: i) les verbes de base qui renvoient, par leur sémantisme, à une seule espèce de substance, comme ce sont les verbes pljuvati ‘cracher’ ou bljuvati ‘vomir’, intégrant, dans leurs sémantismes respectifs, les concepts de salive ou de matière digérée ; ii) les verbes de base qui renvoient à toute une catégorie d’entités, celles-ci assumant, suivant le contexte, le rôle de la cible. Tel est le cas du verbe sijati ‘semer’, renvoyant aux entités appartenant à la catégorie [SJEME (‘GRAINE’)]. Un autre type de verbe de base de ce type est le verbe prskati ‘éclabousser ; arroser’, intégrant dans son sémantisme une cible de type [LIQUIDE]entrant en contact avec le site. Les autres verbes sémantiquement proches au verbe prskati sont liti ‘verser ; couler’, škropiti ‘asperger’, štrcati ‘gicler’.
77La représentation conceptuelle des verbes dérivés avec la sous-signification de couverture partielle est donnée ci-dessous :
78PO- [((prah) Ncont) -i-ti) Vcont]→[(poprašiti) Vdscr]: il existe une quantité de poudre, en contact avec y, qui rend invisible une partie de y
79PO- [((kal) Ncont) -ja-ti) Vcont]→[(pokaljati) Vdscr]: il existe une quantité de boue, en contact avec y, qui rend invisible une partie de y
80PO- [(((tačka) Ndscr) tačke) Nmult -a-ti) Vcont]→[(potačkati) Vdscr]: il existe une quantité de pointillées, en contact avec y, qui rend invisible une partie de y etc.
81Parmi les verbes dérivés des dénominaux, renvoyant à l’opération cognitive de l’actionnalisation, la structure conceptuelle du verbe potačkati se présente comme plus complexe. En effet, avant d’être soumise à l’actionnalisation, une entité de type ‘discret’ est convertie en une entité non bornée par le biais de l’opération cognitive de la multiplication (‘mult’).
82L’information sémantique intégrée dans les verbes dérivés montre que la sous-signification de la couverture présuppose la transition entre deux états de chose, du visible vers l’invisible, touchant le site. Cela explique pourquoi tous les verbes rassemblés autour de la sous-signification de la couverture se combinent avec l’expression adverbiale za x vremena ‘en x temps’ (‘+ télique’), en rejetant, dans tous les cas, l’expression adverbiale x vremena ‘pendant x temps’ (‘- télique’), comme le montrent les exemples suivants :
831) Poprašio je pod * pet minuta / za pet minuta.
84Po-poudré (PF) est plancher (Acc) * cinq minutes (Acc) / pour cinq minutes (Acc)
85Il a répandu du poudre sur le plancher * cinq minutes / en cinq minutes.
862) Pokaljao je jaknu * pet minuta / za pet minuta.
87Po-sali (PF) est blouson (Acc) * cinq minutes (Acc) / pour cinq minutes (Acc)
88Il a sali le blouson * cinq minutes / en cinq minutes.
893) Potačkao je papir * pet minuta / za pet minuta.
90Po-pointillé (PF) est papier (Acc) * cinq minutes / en cinq minutes.
91Il a pointillé le papier * cinq minutes / en cinq minutes.
92Il s’agit donc des verbes qui appartiennent à la classe vendlérienne des accomplissements, se caractérisant par les traits suivants : ‘+ dynamique’, ‘– momentané’, ‘+ télique’14.
93La relation spatiale de contact qu’incorporent les verbes dérivés est formalisée à travers quatre types de constructions syntaxiques, qui sont les suivantes :
941) [PO-V-x, y], et/ou
952) [PO-V-x po y]
963) [PO-V (x), y]
974) [PO-V (x) po y]
98Les structures présentées sous (3) et (4) correspondent aux verbes de base qui renvoient à des catégories de substances plus générales, l’espèce de substance (x) étant explicitée. Dans certains cas, cette dernière peut être donnée par le contexte.
99Pour établir la fonction sémantique du préfixe po- dans les verbes dérivés, nous vérifierons les hypothèses suivantes, formulées pour chaque type de constructions, direct et indirect, présentées comme suit :
1001) le préfixe po- délimite l’action et établit la relation de contact entre x et y ;
1011’) le préfixe po- délimite l’action, la relation de contact entre x et y étant établie par le verbe de base ;
1022) le préfixe po- délimite l’action et implicite la relation de contact entre x et y, qui est explicitée par la préposition spatiale po ;
1032’) le préfixe po- délimite l’action, la relation de contact entre x et y étant établie par la préposition spatiale po.
104Certains de ces verbes de base apparaissent parallèlement dans deux types de construction, comme nous le montrons ci-dessous :
105[V-x y (Acc)] / [V-x po y (Dat)] : [baliti, pljuvati, tačkati y / baliti, pljuvati15, tačkati po y] ;
106[V y (Acc) (x (Instr))] / [V (x (Acc) / (Instr)) po y-Dat] : [prašiti, prskati y / prašiti, prskati (x) po y] ;
107[V x-Acc (po y (Dat))] / [V y (x (Instr))] : [sijati, štrcati x / sijati, štrcati y] ;
108D’autres, par contre, ne possèdent qu’une seule construction, comme c’est présenté ci-dessous:
109[V y (Acc) (x (Instr))] : [ đubriti, kaljati, mastiti, škropiti y] ;
110[V x (Acc) (po y (Dat))] : [kapati, liti x (po y)]
111Comme c’est visible dans les structures syntaxiques présentées ci-dessus, pour tous les verbes, sauf pour les verbes kapati ‘dégoutter’ et liti ‘verser’, l’argument postverbal (COD), remplit la fonction de site y. Pour les verbes qui apparaissent dans deux constructions syntaxiques, ce cas est relevé au moins dans une des constructions alternatives. En ce qui concerne la cible x, elle est immergée dans l’action même. Dans tous ces cas-là, il s’agit des actions qui intègrent, dans leur scénario sémantique, une entité qui reçoit, sur sa surface, la substance déplacée et en arrête le mouvement. Cette entité, assumant le rôle thématique de destination, est donnée soit par la construction transitive direct soit par la construction transitive indirect. Dans le premier cas, la notion de contact est inférée de nos connaissances encyclopédiques, dans le second, elle est explicitée moyennant la préposition po. Combinés avec le préfixe po-, ces verbes ne changent pas de structure syntaxique, comme nous le montrons ci-dessous :
112[PO-V-x y (Acc)] / [PO-V-x po y (Dat)] : [pobaliti, popljuvati, potačkati y / pobaliti, poprašiti, popljuvati po y] ;
113[PO-V y (Acc)] / [PO-V (x (Acc)) po y (Dat)] : [poprašiti, poprskati y / poprašiti, poprskati (x) po y] ;
114[PO-V x (Acc) (po y (Dat))] / [PO-V y (x (Instr))] : [sijati x / sijati y] ;
115[PO-V y (Acc) (x (Instr)) ] : [ pođubriti, pokaljati, pomastiti, poškropiti y (x)].
116La notion de contact se logeant dans le sémantisme même du verbe de base, fonction du préfixe, dans les verbes dérivés, consiste à délimiter la quantité de l’action et, par le fait même, de la substance continue que cette dernière implique (hypothèses 1’ et 2’).
117En ce qui concerne les verbes kapati ‘dégoutter ; laisser tomber goutte à goutte’ et liti ‘verser ; couler’, quelque soit la construction dans laquelle ils apparaissent, l’objet direct remplit la fonction de cible, renvoyant à une substance liquide, et est obligatoire. Nous l’illustrons par les exemples suivants :
1184)Kapao je tintu (po košulji).
119Dégoutté (IMP) est encre-Acc (sur chemise-Dat)
120Il a laissé tomber de l’encre goutte à goutte sur la chemise.
1214’) *Kapao je košulju.
122Dégoutté (IMP) est chemise-Acc.
123*Il a laissé tomber goutte à goutte la chemise.
1245)Lio je vodu (po podu).
125Versé (IMP) est eau-Acc (sur plancher-Dat)
126Il a versé de l’eau (sur le plancher).
1275’)*Lio je pod.
128Versé (IMP) est plancher-Acc.
129*Il a versé le plancher.
130L’impossibilité de la construction [V, y], autorisée par les autres verbes, s’explique par le schéma conceptuel de ces deux actions. En effet, ce qu’on conceptualise, c’est le geste même et la cible, vue soit sous forme de goutte, soit comme flux de substance liquide : le verbe décrit la manière dont on effectue le déplacement d’une substance liquide, alors que la destination, assumant la fonction de site, n’entre pas obligatoirement dans la représentation sémantique de ces verbes. C’est en cela que réside la différence majeure entre cette série des verbes et le verbe sijati ‘semer’, apparaissant dans la structure syntaxique identique, à savoir [V, y]. En effet, dans le cas de ce dernier, la présence de site y est inférée de nos connaissances encyclopédiques, car on sait que l’action de semer se fait par rapport à un seul type de site, qui est la terre. En d’autres mots, semer présuppose l’existence de terre. Cependant, dans leur combinaison avec le préfixe po-, ces verbes apparaissent dans la construction [V, y], comme le montrent les exemples suivants :
1316) Pokapao je košulju (mastilom).
132Po-dégoutté (PF) est chemise-Acc (d’encre).
133Il a tâché la chemise d’encre.
1347) Polio je pod (vodom).
135Po-versé (PF) est plancher-Acc (d’eau)
136Il a versé de l’eau sur le plancher.
137Comme c’est visible dans les constructions proposées ci-dessus, à la différence des autres verbes appartenant à la sous-signification de la couverture partielle, le préfixe po- change la structure actancielle des verbes kapati et liti. La notion de contact ne se logeant ni dans le sémantisme de base du préfixe, où se découpe la notion de délimitation, ni dans celui du verbe de base, la question qui se pose est de savoir comment expliquer sa présence dans le verbe dérivé.
138Avant de proposer une réponse à cette question, faisons remarquer que, dans le phénomène de la dérivation verbale, la présence d’un certain préfixe s’explique souvent par l’analogie, surtout dans le cas où son sémantisme de base ne peut rendre compte de sa combinatoire avec le verbe donné. Cependant, nous sommes d’avis que l’analogie n’a de sens que lorsqu’on prend en considération le lot sémantique du préfixe po-. En effet, au vu de faits diachroniques, il nous semble tout à fait plausible que, lors la dissolution fonctionnelle et sémantique d’anciennes particules en préfixes et prépositions, ces nouvelles catégories des mots, tout en profilant leurs sémantismes de base respectifs, ne se privent pas totalement de leur héritage sémantique. En ce qui concerne la préposition po en serbe, nous nous référons à Asic (2007) qui trouve, en tant que sémantisme de base de la préposition, la relation support / porteur-porté, représentant la relation spatial de contact. Ce sémantisme de base est partagé également par la préposition na. La différence entre ces deux prépositions relève de deux type d’oppositions relatives à la cible, à savoir ‘continu (massique) / discret’ et ‘statique / dynamique’. En effet, dans le cas où la cible est continue (massique) et en mouvement, i.e. dynamique, le meilleur candidat pour l’expression de la relation spatiale de contact est la préposition po. Par contre, si la cible est conceptualisée comme discrète et statique, la même relation spatiale est exprimée par la préposition na.
139Les propriétés ontologiques de la cible apparaissant dans les constructions avec la préposition po rendent compte pourquoi, dans le dépôt lexique du serbe, le verbe de base préfère le préfixe homonyme pour exprimer la relation de contact, déjà intégrée dans son sémantisme de base : dans tous les verbes relevés, on l’a vu, la cible est de type ‘continu (massique)’. De là, la fonction sémantique du préfixe consiste à délimiter une entité non bornée lors du contact avec une autre entité spatiale. Encore une fois, le préfixe, en délimitant, ramène à un ici et maintenant, i.e. actualise, ce qui est, du point de vue linguistique, illimité, i.e. virtuel : il s’agit de la quantité de la matière, selon la terminologie de Talmy, impliquée dans l’action.
140En ce qui concerne les verbes kapati et liti, auquel cas la notion de contact fait défaut, on peut supposer qu’il y a déclenchement d’une information déposée dans l’espace sémantique du préfixe po- et laquelle se mire dans le sémantisme de la préposition homonyme. L’activation de cette information, héritée de particules, peut s’expliquer par le type de la cible auquel renvoie le verbe de base : des gouttes, dans un cas, et de la substance liquide, dans l’autre. A part la nature ontologique de la cible, il y a également « scénario » sémantique des verbes kapati et liti susceptible de motiver l’emploi dudit préfixe. En effet, ces deux verbes, tout en mettant en avant un élément de l’action verbale – le geste même et la forme de la substance, lors de son déplacement – présupposent l’existence d’un troisième actant, à côté de l’agent et du thème, assumant le rôle sémantique de destination. Donc, ces deux propriétés réunies dans le verbe de base – type ontologique de la cible et distribution des rôles thématiques analogue aux verbes intégrant la notion de contact – rendent compte pourquoi, parmi tous les préfixes verbaux disponibles dans le dépôt lexique du serbe, on choisit le préfixe po- pour l’expression de la relation spatiale de contact. (hypothèses 1 et 2).
7. Conclusion
141Dans ce qui précède, nous avons proposé une analyse sémantique des verbes dérivés avec le préfixe po-, réunis autour de la sous-signification de la couverture partielle, basée sur la notion de contact. En ce qui concerne le préfixe po- , qui est le point de mire de notre analyse, nous avons trouvé, au coeur de son sémantisme, la notion de délimitation. De par cette propriété, le préfixe po- actualise une entité temporelle, en lui attribuant une interprétation événementielle. De là, on voit que, du point de vue synchronique, la notion de contact, foncièrement spatiale, n'est pas intrinsèquement la sienne. Or, dans les descriptions sémantiques du préfixe po- en serbe, la sous-signification de la couverture est le plus souvent mise sur le compte du sémantisme préfixal, sans qu'on précise le rôle du verbe de base dans sa formation. Pour établir, d'une part, l'apport sémantique du préfixe verbal po- et, de l'autre, du verbe de base dans la formation de la sous-signification de la couverture partielle, nous avons vérifié quatre hypothèses qui sont les suivantes:
1421) le préfixe po- délimite l’action et établit la relation de contact entre x et y ;
1431’) le préfixe po- délimite l’action, la relation de contact entre x et y étant établie par le verbe de base ;
1442) le préfixe po- délimite l’action et implicite la relation de contact entre x et y, qui est explicitée par la préposition spatiale po.
1452’) le préfixe po- délimite l’action, la relation de contact entre x et y étant établie par la préposition spatiale.
146En mettant en évidence les constructions sémantiques des verbes de base, nous avons constaté que, dans la plupart des cas, la notion de contact, conduisant à la sous-signification de la couverture partielle, est intégrée dans leurs propres sémantismes. Dans ce cas-là, la fonction du préfixe po- consiste à délimiter l'action et, en même temps, la substance, de type continu ou massique, imergée dans l'action. Cependant, parmi les verbes dérivés, nous en avons relevé deux cas où la notion de contact n'est pas directement impliquée dans le verbe de base seul. Il s'agit des verbes kapati 'dégoutter; laisser tomber goutte à goutte' et liti 'verser; couler', n'autorisant pas la construction [V, y], qui formalise la notion de contact entre la cible x et le site y. Pour expliquer la présence du préfixe po-, dans le verbe dérivé, nous avons fait recours aux origines mêmes des préfixes verbaux, en retrouvant, dans leur histoire, un trait sémantique assignant les relations spatiales. Ainsi, la présence du préfixe po-, dans le cas de ces verbes, s'avère motivée.
147De ce qui précède, on peut conclure que les hypothèses 1' et 2' sont fortement validées, puisque, lors de la formation de la sous-signification de couverture partielle, l'apport majeur est donné par les verbes de base eux-mêmes. Cependant, les hypothèses 1 et 2 ne peuvent être rejetées, puisque dans certains cas, la notion de contact, absente dans le sémantisme du verbe de base, est récupérée du potentiel sémantique du préfixe po-.
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Notes
1 Rousseau, 2005.
2 Le terme de domaine employé ici renvoie à une entité cognitive, i.e. une expérience mentale, des représentations, des concepts ou un réseau de concepts (Langacker, 1987, p. 147).
3 Pour avoir une vision plus ample sur le sémantisme des préfixes verbaux en serbe, cf. Klajn, 2002.
4 La perfectivité grammaticale ou perfectivité « pure », mettant en jeu les préfixes dits « vides », représente un cas de préfixation verbale où le verbe dérivé constituerait le corrélat perfectif du verbe de base, au sémantisme identique.
5 Corre, 2009, p. 230.
6 Pour effectuer cette classification, nous nous sommes basée sur Stevanović, 1975.
7 Karolak, 1990.
8 Riegel et al., 1994, p. 277, souligné par nous-mêmes.
9 Un objet incrémental, ou un thème incrémental, représente un proto-rôle sémantique introduit dans les travaux de Dowty (1991, cité par Corre, op.cit., p. 194), correspondant à peu près à la notion de prédicat cumulable développée dans les travaux de Krifka (2001) : un argument incrémental mesure la progression de l’événement dénoté par le verbe par la consommation ou l’épuisement par incrément de l’objet auquel le procès s’applique.
10 Moeschler, 1998
11 Vandeloise, ibid., pp. 73 ; 187.
12 Talmy, op. cit., p 312
13 Vandeloise, ibid., p 194
14 Sur l’application des critères de Vendler aux verbes serbes, cf. Lukajic, 2014.
15 Le verbe pljuvati ‘cracher’ apparaît, tout comme le verbe baliti ‘saliver’, dans la construction intransitive [V], et, à part elle, dans la construction transitive [V x-Acc (po y)]. Cependant, comme c’est visible de la structure même du verbe, la cible x n’est plus intégrée dans le sémantisme du verbe. Cette différence formelle se répète au niveau sémantique : il s’agit d’une autre acception du verbe pljuvati où x ne renvoie pas à la substance pljuvačka ‘crachat ; salive’, mais à tout autre type de substance rejetée par la bouche. Au vu de cette alternance sémantique, le verbe pljuvati s’insère également dans la séries des verbes apparaissant dans les constructions alternatives données sous (iii).