Les églises russes du Québec et l’ambassade soviétique au Canada : autour des questions de racines culturelles

Par Fabien Bellat
Publication en ligne le 06 juin 2013

Résumé

Every architecture carries more or less recognizable, assumed, hidden or claimed cultural referents. The Russian architectural presence in Canada is no exception to this fact. This is true as much for the Orthodox churches built by the Russian emigrants across Quebec, as for the former Soviet embassy in Ottawa. While these very different monuments express two divergent visions of Russia, they refer to specific creative codes, which try to propagate the image of an imaginary Russian identity.

Chaque architecture porte en elle des référents culturels, plus ou moins identifiables, assumés, dissimulés ou revendiqués. La présence architecturale russe au Canada n’échappe pas à la règle. Ceci autant pour les églises orthodoxes bâties par les émigrés russes à travers le Québec que dans l’ambassade que l’URSS érigea à Ottawa. Si ces monuments fort différents expriment deux visions divergentes de la Russie, ils renvoient cependant chacun à des codes créatifs, qui cherchent à diffuser une image extérieure d’une russité imaginaire.

Mots-Clés

Texte intégral

Introduction

1Certaines formes architecturales sont devenues des clichés religieux, politiques ou culturels. De fait, elles portent des identifications ralliant une communauté, désignant sa singularité, ou servant une bannière, véhiculant sa force.

2Synthèse partielle des éléments évoqués au premier colloque du Réseau québécois d’études slaves, ce texte différera pourtant sensiblement de l’argumentaire qui fut le mien pendant cette manifestation. Car les recherches entreprises ultérieurement ont permis d’approfondir le dossier sur l’ambassade, alors que le volet des églises a achoppé sur un manque criant de ressources exploitables. La disparition partielle des communautés orthodoxes – schéma inverse de celui éprouvé par la Russie simultanément1 ! – ces trente dernières années a entraîné un effacement conséquent des mémoires qui y sont attachées2. Les témoins retrouvés ne furent pas en mesure d’expliquer les choix culturels ou artistiques de leurs églises. Les documents disponibles, hélas effroyablement pauvres, n’ont pas permis de combler cette lacune patrimoniale. Cela révèle surtout la dimension artisanale de ces édifices, conçus soit par les prêtres eux-mêmes, soit par des entrepreneurs sur lesquels les traces résiduelles ne permettent pas d’énoncer des analyses suffisamment fiables. À mon grand regret, je ne peux que partager avec le lecteur une relative impasse de l’enquête sur ce sujet.

3Néanmoins, cette déception méthodologique est compensée par le succès plus significatif des explorations menées sur l’ambassade que l’URSS construisit à Ottawa. La découverte inespérée des études de l’architecte, ajoutée à ma connaissance des méthodes privilégiées par les Soviétiques pour l’érection de leurs ambassades3, a permis de faire convenablement le point sur ce dossier. J’espère que le lecteur me pardonnera le déséquilibre final de cette publication, évoquant brièvement les réflexions sur les églises russes, détaillant bien plus le monument diplomatique4.

1. Des églises reconstituant une russité partielle

4Terre d’accueil, au tournant des XIXe et XXe siècles le Québec a abrité les espoirs de nombreux émigrants, dont ceux en provenance de Russie ou d’Ukraine. Toute culture est potentiellement une idée universelle : ces  arrivants ont parfois reconstitué dans leur nouveau monde une partie de leur univers familier. Le lieu de culte fut l’un des supports privilégiés de ce transfert, parsemant le Québec de sanctuaires évoquant une russité imaginaire.

5Ces églises sont situées à Val-d’Or, à Rouyn-Noranda dans l’Abitibi, ou à Rawdon dans les Laurentides – toutes zones assez isolées du Québec, dont les infrastructures soit inexistantes, soit plutôt limitées entre 1900 et 1960 ne permettaient guère l’édification de bâtiments sophistiqués. Cet isolement tant économique que sociologique explique également l’absence de l’intervention d’architectes professionnels, alors remplacés par les compétences locales des charpentiers ou maçons. Si les émigrants provenant de Russie ou d’Ukraine se partagent en deux vagues – celle vers 1900 due à la découverte d’or dans la région et celle après la Révolution de 1917 –, les églises en question furent presque toutes érigées entre 1950 et 1960 environ. Toutes témoignent de choix culturels insistant sur l’identification russe, usant parallèlement de techniques constructives alors anachroniques. Ceci est sans doute le résultat de permanences locales qui peuvent d’ailleurs avoir joué dans la volonté d’appartenance à des codes identitaires partagés, que les initiateurs de ces sanctuaires auraient pu souhaiter conserver par un attachement à l’imaginaire de leur pays natal. Attachement d’autant plus compréhensible que, les années passant et les générations se succédant, la mémoire des régions natales avait dû s’estomper, cédant peu à peu place à une vision différée de la Russie.

Image1Figure 1 : Détail du campanile de Saint-Séraphim à Rawdon. Photo de l’auteur.

Image2Figure 2 : Saint-Séraphim à Rawdon. Photo de l’auteur.

6Ces églises tendent à se distinguer de leur environnement par des traits esthétiques censés signifier immédiatement la Russie. Inconsciemment ou délibérément, elles disent leur appartenance à la sphère orthodoxe5. Visuellement, le bulbe, la croix orthodoxe, sont déterminants – comme symboles les plus partagés de l’imagerie russe [fig. 1 et 2]. De plus, le plan en nef, en général considéré comme relevant de la tradition catholique ou protestante, est le plus possible évité, et ces églises russes tendent à se rapprocher du plan centré, lui aussi considéré comme un trait distinctif des sanctuaires orthodoxes depuis Byzance jusqu’aux églises néo-russes du début XXe siècle. Val-d’Or, Rouyn-Noranda, Amos, les deux églises de Rawdon, toutes ont en commun la présence de la croix orthodoxe et de bulbes – ceux-ci soit perchés en miniatures sur les toitures, soit faisant l’objet d’un traitement en coupolion plus imposant et plus proche des modèles russes médiévaux. Seule Saint-Séraphim à Rawdon fait état d’un plan allongé formant nef – mais cela est probablement dû à la modestie de son système constructif en bois, obligeant à des portées courtes et donc à allonger son espace de prière afin d’être en mesure d’accueillir les fidèles. Hormis ce cas justifié par une question d’économie constructive, tous ces sanctuaires ont cherché à affirmer visuellement leur caractère orthodoxe. Ce choix était en continuité avec les plus opulentes églises russes édifiées en Allemagne, en France ou en Italie au tournant des XIXe et XXe siècles – somptueux édifices réalisés par des architectes reconnus comme (entre autres) en 1897 la chapelle russe de Darmstadt par Léonti Benois, en 1903 la cathédrale orthodoxe de Nice par Mikhaïl Preobrajenski, en 1912 l’église russe du Souvenir à Leipzig par Vladimir Pokrovski, ou en 1913 l’église russe de San Remo par Alekseï Chtchoussev… En somme, les églises russes du Québec expriment une constante civilisationnelle plus ou moins latente, celle d’implanter des sanctuaires orthodoxes culturellement identifiés comme russes par des formes contrastant avec leur terre d’accueil. Dans le cas du Québec, cette affirmation était loin de pouvoir être aussi éloquente, faute de moyens financiers équivalents, faute de bâtisseur d’un niveau similaire – et aussi peut-être en raison d’une volonté de confrontation moins marquée, succédant à une phase d’intégration déjà bien marquée à la société québécoise.

Image3Figure 3 : Église russe de Rouyn-Noranda. Photo Julie Dallaire.

7Deux cas méritent une description plus fine : Rouyn-Noranda et Notre-Dame de Kazan à Rawdon. Rouyn [fig. 3] use d’un plan centré qui s’allonge d’un clocher en façade – c’est un dispositif formel récurrent en Russie à partir du XVIIIe siècle6. Le type du clocher-porche fut aussi un topos des églises européennes du XIX; sa survie tardive ici opère une synthèse entre la fidélité orthodoxe aux plans centrés médiévaux et à la nécessité de signaler l’édifice par une tour signal. À ces éléments s’ajoutent deux bulbes, l’un couronnant la toiture du sanctuaire, l’autre sommant la tour. C’est là une adaptation maladroite du système des flèches néo-gothiques, transposée dans un vocabulaire formel orthodoxe. D’un point de vue constructif, le bâtiment est posé sur un socle en béton, mais est une structure en bois revêtue d’enduit. Là encore les choix sont peu cohérents, les façades reprenant des modèles russes médiévaux érigés en pierre ou en moellons. Or, faire ressembler un édifice en bois à un précédent minéral tenait d’un exercice constructif hasardeux. Ce choix fut certainement justifié par des nécessités thermiques, étant donné le climat local fort rigoureux, reprenant ainsi des méthodes constructives usuelles au Québec et en Abitibi. Mais alors, pourquoi ne pas avoir imité des modèles russes construits en bois ? Les édifices de la région de Vologda7, bien connus par de multiples reproductions dans les livres d’archéologie, les brochures touristiques ou même leur écho au cinéma8, auraient pu fournir des exemples répondant tant aux souhaits de russité des paroissiens qu’aux pratiques constructives québécoises. Il est désormais impossible de répondre à cette question essentielle, faute de témoignage pertinent sur les motivations des fondateurs. Cependant, l’église de Rouyn constitue un exemple curieux d’édifice révélant des tensions entre ses modèles admis et leur difficile adaptation au contexte local.

Image4Figure 4 : Notre-Dame de Kazan à Rawdon. Photo de l’auteur.

Image5Figure 5 : Vue sur le chœur de Notre-Dame de Kazan. Photo de l’auteur.

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Figure 6 : Détail du bulbe de Notre-Dame de Kazan. Photo de l’auteur.

8Notre-Dame de Kazan à Rawdon, bâtie plus tardivement en 1974 sur les plans de Georges Glimin9, est une œuvre plus aboutie : elle aussi de plan centré, elle s’allonge d’un porche [fig. 4 et 5]. La toiture à pans est dominée par un coupolion à bulbe [fig. 6]. L’ensemble s’inspire encore de modèles novgorodiens, notamment du XIVe siècle, comme l’église de la Transfiguration du Sauveur de la rue Ilina10. L’extrême simplicité des volumes a permis un système constructif plus évolué, en plaques de béton. C’est finalement la configuration des toits et du bulbe qui affirme la spécificité orthodoxe du sanctuaire, tandis que l’humilité des parois enduites en blanc fait un pont habile entre la préfabrication moderne et sa citation historique des édifices russes en moellons enduits. Cette église fut la dernière de son genre dans cette partie du Québec, et malgré la modestie de son échelle elle affirme une réelle finesse dans sa capacité à jouer sur les citations russes.

9Ainsi, issues d’une émigration pourtant largement ukrainienne, les églises russes du Québec interrogent sur leurs référents essentiellement russes. Reprenant particulièrement des modèles novgorodiens du XIIIe siècle, il reste étrange de constater que leurs bâtisseurs ont transposé des exemples bâtis en pierre et brique alors que des modèles en bois de Vologda ou Kostroma auraient été plus facilement adaptables au Québec. De même, le transfert de sources que ces émigrés n’avaient probablement jamais vues dénote une vision apparemment unitaire de ce que doit être une église russe. Ceci suggère une forme de panslavisme soit inconscient soit délibéré, effaçant les variantes architecturales slaves au profit d’un petit corpus de signes distinctifs usuels, voire dévalués, comme les chatiors et clochers à bulbes. Cette recréation d’une religiosité orthodoxe au Québec relèverait du maniement d’une fiction russe globale, archétype transposé artificiellement dans un milieu hétérogène.

2. L’ambassade soviétique : masques politiques, troubles esthétiques

10Dans un registre différent, quoique elle aussi farouchement isolée de son milieu, architecture officielle esquivant pourtant tout emblème explicite, l’ambassade d’Ottawa semble une improbable réminiscence stalinienne exportée.

11Sa fonction explique déjà partiellement cette ambivalence : parmi les genres architecturaux les plus ambigus figure en bonne place la catégorie de l’ambassade11. Censé être un monument national en dehors du territoire, ce type de bâtiment alterne généralement entre le recyclage accidentel, l’appropriation en surface ou l’affirmation politique, par l’érection d’un édifice à l’identité forte. Au Canada, les représentations diplomatiques restèrent longtemps modestes, le statut d’Ottawa comme capitale d’une province britannique ne nécessitant a priori pas d’image de marque internationale, la colline parlementaire restant le principal symbole de pouvoir. Or, le statut de Westminster reconnaissant l’indépendance des dominions de l’Empire britannique, ratifié en 1931, changea les perspectives, appelant à des installations diplomatiques plus conséquentes. Cependant, l’URSS fit preuve de circonspection envers ses représentations à l’étranger, se contentant jusqu’au début des années 1950 des ambassades et consulats hérités du passé tsariste – aux exceptions notables des légations en Turquie à Ankara, conçue dès 1924 par l’un des constructivistes soviétiques les plus fantasques, Georgi Lyudvig12, et au Japon à Tokyo en 1928, cette fois en utilisant les compétences de l’architecte d’origine tchèque Antonin Raymond13. Or, après la Seconde Guerre mondiale, le Kremlin eut conscience d’un déficit d’équipement diplomatique, lançant simultanément les chantiers de nouveaux édifices extraterritoriaux à Ottawa, à Belgrade et à New Delhi. Celle d’Ottawa se distinguerait par une apparente banalité et par la profonde ambivalence de ses choix artistiques.

12Lorsque le 285 Charlotte Street fut donné par le Canada à l’URSS en 1942 – signe de bon vouloir politique, certainement destiné à contribuer aux bonnes relations entre Alliés – le site était alors occupé par une imposante villa dans l’esprit shingle qui domina largement la production domestique nord-américaine au tournant des XIXe et XXe siècles. En un temps où les fonctions protocolaires traditionnelles commençaient à s’effacer au profit d’un fonctionnement plus administratif des affaires diplomatiques, cette villa appartenait à une ère révolue, ne correspondant plus aux nécessités d’une superpuissance comme l’Union soviétique. Sa destruction dans un incendie en janvier 1956 et sa nécessaire reconstruction furent l’amorce d’une affaire esthético-politique singulière.

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Figure 7 : Gelfreich et Minkus, détail du projet pour l’ambassade d’URSS à Belgrade, 1955. Photo de l’auteur.

13D’emblée, le MID à Moscou (le ministère soviétique des Affaires étrangères) prit une direction inédite depuis le précédent japonais : le bâtiment, fait exceptionnel, fut confié non à un Soviétique mais à un architecte local. Cette particularité de la commande reste pour le moins étrange, la bien enracinée méfiance des Soviétiques envers les étrangers n’ayant fait que croître depuis l’avènement au pouvoir de Staline. Suite au concours du Palais des Soviets en 1931, le régime soviétique, ne ressentant plus la nécessité de recourir au talent d’architectes étrangers reconnus, ne s’adressait désormais exclusivement qu’à ses propres créateurs. Cette exclusivité tacite fut rompue en 1956 avec l’ambassade d’Ottawa. Alors que la guerre froide était une réalité politique, l’URSS semble avoir préféré ne pas confier ce monument à un de ses professionnels. L’hypothèse de la crainte d’un éventuel passage à l’Ouest de l’architecte désigné paraît saugrenue14, puisqu’en vérité il aurait suffi de faire dessiner les plans à Moscou et de les faire exécuter à Ottawa par un architecte d’opération canadien. Cette délégation de l’exécution – méthode relativement courante, surtout pour des édifices hors de l’Union – aurait été logique, d’autant que les deux architectes favoris du MID, Vladimir Gelfreich (1885-1967) et Mikhaïl Minkus (1905-1963), réalisaient alors selon ce procédé les ambassades de New Delhi et de Belgrade [fig. 7], dessinées en 1956 et réalisées entre cette année et 1959. Pourquoi ne pas avoir confié dans la foulée celle d’Ottawa à ces architectes expérimentés et efficaces ? Il aurait été hautement improbable que Gelfreich et Minkus, couverts d’honneurs et de commandes, titulaires d’un Prix Staline en 194815, soient soudain pris du désagréable caprice de vouloir choisir la liberté ! Alors, ce tandem typiquement soviétique était au sommet de sa carrière, venant d’achever le siège du MID, la colossale tour Smolenskaïa, employant sous ses ordres une équipe conséquente qui aurait été en mesure de se charger en plus des plans de l’ambassade au Canada. Cependant, peut-être leur succès sous l’ère stalinienne les desservit-il en définitive, tandis qu’en 1955 Khrouchtchev venait tout juste de vilipender le néo-académisme dont Gelfreich et Minkus restaient des représentants particulièrement en vue16.

14Dans le désarroi architectural qui s’ensuivit à Moscou, l’impulsivité du maître du Kremlin favorisa probablement un choix hors norme, impliquant un virage à 180avec la stratégie habituelle de l’URSS. Le facteur temps intervint-il également ? Khrouchtchev ayant été un chef notoirement pressé, vraisemblablement la solution d’un architecte local put sembler un expédient plus rapide à exécuter qu’une longue maturation créative à la soviétique. Or, cela demandait de choisir un professionnel canadien à qui provisoirement accorder la confiance du MID. Il ne faudrait pas avoir la naïveté de croire que ceci tenait d’un geste de courtoisie envers le Canada : ceci ne correspondrait guère aux tactiques du Kremlin sous Khrouchtchev, alternant entre intimidation et séduction, n’hésitant pas à heurter de front l’opinion des pays capitalistes17. Au printemps 1956, le problème restait intact : à qui confier ce monument décidément embarrassant ? La situation à Moscou nécessitait une certaine prudence, alors que les administrations soviétiques connaissaient de nouvelles épurations, la lutte entre les maîtres du Kremlin usant du moindre prétexte idéologique ou matériel pour saper la position de l’adversaire. D’ailleurs, pendant la préparation des plans d’Ottawa, Khrouchtchev planifiait la disgrâce de son ministre des Affaires étrangères, l’ancien bras droit de Staline, Viatcheslav Molotov : il fut finalement destitué le 1er juin 1956 et remplacé par Dmitri Chepilov18.

15L’URSS porta ainsi son choix sur un architecte âgé et surtout en fin de carrière : Werner Noffke (1878-1964)19. Pourquoi lui ? Deux raisons pourraient avoir fait peser la balance en sa faveur : il était établi de longue date à Ottawa, et plusieurs éléments dans son parcours pouvaient indiquer qu’a priori il serait susceptible de faire preuve de docilité.

16Né à Stolp, en Allemagne, Noffke ne connut pas vraiment l’Europe, puisque sa famille émigra au Canada dès ses premières années. Sa formation en tant qu’architecte se fit hors de tout réseau académique, puisqu’à son adolescence il joignit en tant qu’apprenti les bureaux d’architectes basés à Ottawa ou à Winnipeg, suivant en cela le parcours alors fréquent des aspirants architectes canadiens20. Cet apprentissage sur le tas donna certes à Noffke une assise locale, mais elle ne lui permit pas d’atteindre le prestige de confrères institutionnellement mieux formés, à l’instar de John Lyle par exemple. La production de Noffke fait preuve d’une remarquable adaptation aux standards de la culture nord-américaine, des résidences suburbaines jusqu’aux écoles. L’essentiel de sa carrière se situe entre 1910 et 1930, avec une large prédominance de commandes domestiques, et quelques éparses réalisations religieuses. Certes, Noffke avait tout du professionnel expérimenté, sans grande originalité artistique, mais rassurant ses commanditaires par un sens éprouvé de la routine architecturale. Au tournant de la Seconde Guerre mondiale, il appartenait à la frange des architectes canadiens restés fidèles à des conceptions esthétiques considérées comme datées. En 1956, alors que le ministère des Travaux publics et son Bureau de l’Architecte en chef étaient de plus en plus contestés pour leurs solutions archaïques21, Noffke devait apparaître comme le survivant presque isolé d’une époque révolue. Paradoxalement, cela dut lui servir aux yeux des Soviétiques.

17La question du style est elle aussi singulièrement délicate. Contrairement au cas futur des ambassades de Washington et de Brasilia en 1970, le bâtiment d’Ottawa a réduit la part du prestige à un strict minimum protocolaire. Noffke n’ayant guère eu l’occasion d’exprimer un sens de la monumentalité, son profil de professionnel routinier apparaissait encore comme pertinent en la matière. Pourtant, certains éléments esthétiques interrogent, suggérant une réalité certainement plus complexe. Si l’ambassade est difficile à relier aux autres travaux de Noffke, la paternité de l’édifice aussi est à questionner. Son style semble bien proche des travaux de Gelfreich et Minkus pour le MID. Il est plus que probable que les Soviétiques voulurent exercer un contrôle sévère sur la conception de leur ambassade. Aussi, dans quelle mesure Noffke est-il vraiment l’auteur de ce monument ? Si les premières études en avril 1956 proposèrent un bâtiment relativement moderne, ce projet fut immédiatement abandonné22. Les études suivantes privilégièrent un plan massé, faisant reposer l’expression architecturale sur le traitement des travées et de l’entrée, discrètement monumentalisées par le jeu sur la verticalité dans un bloc lui-même très massif. Noffke lui-même admit que « les Soviétiques exigèrent que l’édifice reflète les sévères qualités du classicisme dépouillé » de ce qui est « désormais péjorativement surnommé Stalinesque Brutalism23 ».

18Parmi les sources que les Soviétiques durent lui proposer, on compte la tour de leur ministère de tutelle, conçue en 1948, achevée en 1951 et déjà un symbole de la civilisation soviétique. Dans cette tour Smolenskaïa, Gelfreich et Minkus synthétisèrent leurs recherches des années 1930, réalisées avec Vladimir Chtchouko, testées dans les différents projets du Palais des Soviets, déterminant entre autres la variante soviétique d’un puissant ordre monumental de pilastres cannelés, au design majestueusement épuré. Cet ordre monumental à la Gelfreich et Minkus devint leur marque de fabrique dans plusieurs monuments officiels. Les pavillons bas de la tour Smolenskaïa en sont un bon exemple, mais leurs ambassades de New Delhi et Belgrade en 1956 en constituent une autre application, atténuée dans des compositions s’essayant à une relative modernisation. Avec la tour Smolenskaïa, Gelfreich et Minkus avaient donné la quintessence néo-académique de la puissance stalinienne en un ordre vraiment colossal, qu’ils utilisèrent encore pour leur dernier projet du Palais des Soviets en 1956 et pour l’ambassade de Belgrade. Or, cette même année, ces architectes durent prendre en compte le changement d’orientation artistique exigé par le Kremlin, et les plans pour New Delhi allégèrent les pilastres, les remodelant selon la logique d’une travéation plus moderniste dans une façade rideau. Ainsi les œuvres de Gelfreich et Minkus pour le MID conservaient une cohérence formelle et monumentale, qu’ils surent toutefois faire évoluer selon la température politique du moment.

19L’architecture choisie pour Ottawa ignore cette évolution, restant plus proche du néo-académisme de l’ambassade de Belgrade. Cependant, l’ordre colossal chez Gelfreich et Minkus jaillissait presque directement du sol, se prolongeant sans interruption jusqu’à l’architrave à peine soulignée par une mince corniche formant transition avec l’attique. Tandis qu’à Ottawa Noffke n’a pas repris cette spécificité, sélectionnant la solution bien plus conventionnelle du socle bas portant l’ordre colossal. Ce cliché architectural contribue à la banalisation de l’édifice, perpétuant une conception monumentale anémiée. En outre, la référence aux œuvres de Gelfreich et Minkus pourrait aussi transparaître de manière plus nette dans les fines moulurations verticales accompagnant les ouvertures dans l’entrecolonnement. Ce trait typiquement gelfreichesque affirme une parenté d’inspiration indéniable, que Noffke aurait peut-être voulu atténuer par un traitement moins creusé que chez ses collègues soviétiques, préférant une façade moins dynamique, unifiée dans une relative planéité des volumes. Enfin, le travail sur le parement, dessinant une sorte de paroi monolithique, rythmée par les pilastres et leurs ouvertures, est encore d’esprit parfaitement soviétique, continuant un style défini dès 1930. De fait, les dessins de Noffke [fig. 8 et 9] semblent avoir cherché à la fois à se rapprocher du style de Gelfreich et Minkus et à en combattre l’influence : certaines de ses études affirment une parenté plus que troublante avec les types de pilastres et de corniches affectionnés par ses confrères moscovites.

Image8Figure 8 : Werner Noffke, étude pour l’ambassade d’URSS à Ottawa. Documents Archives du Canada.

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Figure 9 : Werner Noffke, étude pour l’ambassade d’URSS à Ottawa. Documents Archives du Canada.

20La question peut alors se poser de savoir si Noffke s’est inspiré librement des œuvres de Gelfreich et Minkus ou s’il a adapté un canevas parvenu spécialement d’URSS.

21Il paraît pour le moment exclu que des architectes aussi en vue que Gelfreich et Minkus aient fait un travail aussi mercenaire, forme de sous-traitance créatrice qui était particulièrement mal vue dans les cercles architecturaux soviétiques, finalement très attachés à la signature artistique d’une construction officielle. Toutefois, rien n’empêche qu’un membre de leur équipe ait été chargé de ce genre de préparation préliminaire de plan finalisé par un autre architecte. Les méthodes de travail collectif des grandes structures d’architectes soviétiques peuvent autoriser ce type d’hypothèse, la signature de Minkus n’apparaissant par exemple pas dans le projet Iofan/Chtchouko/Gelfreich du Palais des Soviets en 1933, alors qu’il était déjà membre à part entière de l’équipe attachée à ce bâtiment.

22Si Noffke semble s’être confiné au rôle ingrat de pratique instrument local des volontés soviétiques, il n’en a pas moins réalisé un excellent exemple de transfert du style impérial néo-académique. Si notre architecte germano-canadien a adapté des plans fournis par les Soviétiques, c’est un travail professionnel solide… S’il a dessiné une interprétation libre du style Gelfreich/Minkus, alors c’est plus qu’une copie et bien un pastiche de haute volée… Quel que soit le degré personnel d’implication de Noffke dans cette affaire pour le moins opaque, il a su répondre aux desiderata d’un commanditaire hors normes. Cette capacité à s’emparer des formes de la pompe de l’ère stalinienne interroge malgré tout à plusieurs égards. En 1956, ce style était déjà ostracisé en URSS, depuis qu’en 1955 Khrouchtchev avait sommé les architectes d’abandonner les ornementations superflues… L’ambassade d’Ottawa était donc un édifice d’emblée anachronique lors de sa conception, même selon les critères en vigueur à Moscou. L’évolution des travaux de Gelfreich et Minkus lors de l’année 1956 le traduit bien, or Noffke et/ou les concepteurs de l’ambassade d’Ottawa restèrent fidèles à une certaine vision de puissance monumentale, qui avait été l’image prédominante à l’intérieur et à l’étranger de l’ère stalinienne !

23Ces particularités esthétiques reçurent un accueil glacial de la part des autorités d’Ottawa. Apparemment fort peu soucieux de diplomatie, le Comité architectural ne mâcha pas ses mots, stigmatisant le projet Noffke comme « disappointing and dull ». Taisant toute éventuelle remarque technique, l’argument apparaissait donc seulement basé sur l’esthétique, rejetant le projet de Noffke sur un bien vague et seul postulat de convenance artistique, attendant apparemment un travail plus élégant – là où les Soviétiques paraissent avoir pensé en termes de pure efficacité architecturale. Cette affaire de façade ne semble guère avoir ému les Soviétiques sur le coup, qui laissèrent l’avocat de l’entrepreneur général minorer les choses, déclarant : « ‘I understand,’ said Mr Laishley, ‘that the Russians have already agreed to the suggested alterations in the building, and will acquiesce in the architectural changes.’24 » À rebours des fréquentes rodomontades chauvines de guerre froide, en l’occurrence les Soviétiques firent preuve d’un bon vouloir indéniable – la même source les déclare only too willing de suivre les recommandations – qui pourrait s’expliquer à la fois par la volonté de faire vite, d’écarter tout obstacle gênant la réédification, et par une manœuvre de discrétion politique. Alors qu’à Moscou l’affrontement feutré et impitoyable faisait rage dans les coulisses entre les partisans de Malenkov et ceux de plus en plus assurés du tonitruant Khrouchtchev25, il est probable que l’ambassadeur n’ait pas voulu se faire remarquer du Kremlin en faisant d’inutiles vagues, même si le sujet engageait l’image de marque extérieure de l’URSS… La polémique prit d’ailleurs presque la mesure d’une affaire d’État, l’avocat rappelant l’extraterritorialité de l’édifice, insistant sur le fait que les Soviétiques n’étaient légalement nullement tenus d’obtempérer au diktat esthétique des autorités canadiennes et pouvaient très bien entreprendre leur chantier comme bon leur semblait… Le Comité campa sur ses positions, regrettant le « monotonous and unhappy effect26 » de la façade arrière traitée en briques, estimant que le projet de Noffke ne savait pas tirer avantage du site magnifique, incapable de trouver une approche qui conduirait à une « pleasing architectural solution27 », réclamant que chaque façade reçoive le même soin et soit revêtue de pierre. Cette guerre picrocholine pour l’apparence d’un mur décida le ministre des Affaires étrangères Lester Pearson à intervenir personnellement auprès du Comité – si la prudence de son intervention ressortait d’un esprit de courtoisie diplomatique28, elle n’en révélait pas moins que dans les sphères dirigeantes on sembla considérer que l’obsession esthétique des décideurs architecturaux dépassait les bornes, déclenchant d’inopportunes tensions avec les représentations étrangères en poste à Ottawa. Certes, étant donnée l’atmosphère de l’époque, il serait tentant d’attribuer ce rejet du projet préliminaire à une affaire politique, motivée par un antagonisme envers l’URSS. Toutefois, cette lecture est à écarter, puisqu’au même moment furent aussi retoqués les plans de l’ambassade d’Allemagne – et bien l’Allemagne de l’Ouest, la RFA, et non son équivalent de l’Est, la RDA sous férule soviétique !L’argument était à nouveau esthétique, le comité n’ayant pas apprécié le sévère fonctionnalisme de l’édifice29. Finalement, le projet révisé en urgence reçut un meilleur accueil le 29 mai 1956, le feu vert étant donné pour lancer les excavations nécessaires à l’édifice, estimé à un coût de 340,000 $. Si le comité avait tenté une dernière pression, en espérant qu’un « new building scheme should be utilized that would make better use of the site and would suggest to a greater extent, the character of new architectural works in the USSR30 », les Soviétiques traitèrent cette recommandation hypocrite avec un dédain affiché, n’entendant évidemment pas se faire dicter ce que devait être l’architecture russo-soviétique comprise selon Ottawa !31 Le chargé d’affaires Strounnikov déclara à l’occasion que les nécessités administratives (l’inauguration était planifiée pour le 1er novembre 1956) n’auraient pas permis une reprise générale du projet, ajoutant de manière sibylline que l’ambassade était satisfaite : « drawings expressed modern USSR design32 ». En l’occurrence, le dignitaire soviétique faisait preuve d’un sens de l’understatement parfaitement ambigu, tant le monument réalisé s’ingéniait à satisfaire tout le monde, masquant habilement sa nature de chimère croisant une trouble inspiration soviétique et une réelle propension à répondre au climat monumental local.

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Figure 10 : Vue actuelle de l’ambassade de Russie à Ottawa. Photo de l’auteur.

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Figure 11 : Vue actuelle de l’ambassade de Russie à Ottawa. Photo de l’auteur.

24Il s’agit donc d’un inattendu pastiche canadien de la monumentalité soviétique [fig. 10 et 11]. Ce monument apparemment banal doit donc être considéré comme un troublant faux historique, dissimulant avec efficacité l’identité réelle de ses auteurs, leurrant de manière durable sur la réelle origine de ses formes. L’ambassade soviétique puis russe au Canada reste donc comme un monument ambigu. Elle ressemble aux édifices soviétiques de 1955-1956, qui essayèrent un style de transition oscillant entre la persistance de la pompeuse monumentalité de l’ère stalinienne alors récemment enterrée, et une timide modernisation formelle. Cette indécision stylistique, d’autant plus étonnante reproduite chez un architecte étranger à la culture soviétique, donna au Canada l’un des très rares édifices qui appartienne autant à l’esprit stalinien qu’au virage khrouchtchévien. En somme, à Ottawa, la transition entre les deux visages du régime – que la période Brejnev s’empressa ensuite d’effacer par la réécriture idéologique de l’Histoire – resta malgré elle gravée dans la pierre.

3. Conclusion : quand les édifices interrogent les réflexes culturels

25La présence architecturale russe sur le territoire canadien33 pose nombre de questions sur les permanences culturelles, sur ce qui fait l’identité d’un édifice posé par une communauté ou un régime étrangers dans un milieu hétérogène.

26Comme les chants, coutumes ou écrits, les arts sont un des véhicules permettant à une culture de s’exprimer sur son territoire privilégié ou dans celui abritant une autre culture. Avec sa présence solidement matérielle, l’architecture constitue donc un instrument conséquent pour l’expression de ce transfert culturel. Malgré leurs moyens particulièrement modestes, les églises russes du Québec ont finalement continué tard dans le XXe siècle l’émigration esthétique propagée à la fin du XIXe par les diverses églises de style néo-russe implantées en Europe. Le proverbe sur l’esprit de clocher serait à prendre là au pied de la lettre, en remplaçant le terme « clocher » par « bulbe »… Au moment où ces groupes d’émigrés russo-ukrainiens commençaient probablement à transformer ou à perdre la mémoire de leurs origines, ils érigèrent des sanctuaires qui reconstituaient partiellement leur identité « slave ». Ainsi ces églises, dans leur tension entre signes russes et méthodes constructives québécoises, peuvent être virtuellement considérées comme des lieux de rencontre entre une mémoire orthodoxe partiellement reconstituée via des signes esthétiques identifiés et une relative acclimatation au substrat dans lequel elles ont pris place.

27Dans un registre approchant, quant à la signification quintessentielle des formes artistiques, l’ambassade construite par l’URSS au Canada offre elle aussi des interrogations historiques et esthétiques non négligeables. Tandis qu’à Moscou le néo-académisme stalinien était déjà ostracisé, à Ottawa l’ambassade perpétua un style abandonné depuis peu par les Soviétiques, étrangeté imposant une image de puissance monolithique, équivalent monumental des réflexes bipolaires de la guerre froide. Au-delà des considérations habituelles sur les affrontements idéologiques, le dossier même de la problématique paternité créative de l’ambassade révèle à quel point la reprise de modèles artistiques soviétiques constituait à elle seule une affirmation politique. Ce monument reste d’ailleurs particulièrement troublant par sa capacité d’imitation de référents architecturaux qui n’avaient alors plus droit de cité dans la superpuissance censée les avoir promus… Ce décalage irréductible entre la disparition du modèle et son ultime réutilisation en Amérique du Nord offre certainement une singularité culturelle, démontrant l’utilité esthétique et politique de certains anachronismes.

28Aussi, en définitive, ces cas doivent être lus tels des transferts assumés de modèles russes ou soviétiques qui, bien que déjà culturellement éteints, furent réactivés au Canada afin de propager un imaginaire russifié hors de ses terres d’origine.

Bibliographie

Bibliographie

Agniezska Moniak-Azzopardi, La Russie orthodoxe. Identité nationale dans la Russie post-communiste, Paris, L’Harmattan, 2009.

Paul Ladouceur, « Les communautés orthodoxes de l’Abitibi et de Rawdon », in Le patrimoine des minorités religieuses du Québec : richesse et vulnérabilité, Québec, Presses de l’Université Laval, 2006.

Vladimir Paperny, Architecture in the Age of Stalin, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.

Rudolf Pikhoia, URSS Histoire du pouvoir, Montréal, Keruss, 2007.

Janet Wright, Les biens de la couronne. L’architecture du ministère des Travaux publics, 1867-1967, Toronto, University of Toronto Press, 1997.

Notes

1  Agniezska Moniak-Azzopardi, La Russie orthodoxe. Identité nationale dans la Russie post-communiste, Paris, L’Harmattan, 2009.

2  Sur la question, voir plus généralement sous l’angle anthropologique : Paul Ladouceur, « Les communautés orthodoxes de l’Abitibi et de Rawdon », in Le patrimoine des minorités religieuses du Québec : richesse et vulnérabilité, Québec, Presses de l’Université Laval, 2006.

3  Terminant actuellement un essai intitulé Les Amériques des architectes soviétiques, le dossier Ottawa a pu être confronté aux réalisations contemporaines du MID à New Delhi et Belgrade, ou pour les plus tardives ambassades de Washington, Brasilia et La Havane.

4  Pour cette partie de l’article, je reprends une partie du chapitre correspondant de mon essai.

5  Il aurait également fallu évoquer les délicates relations entre le patriarcat de Moscou et celui concurrent établi à New York – or, je n’ai pas voulu entrer dans ce débat souvent acrimonieux, choisissant de m’en tenir au strict point de vue esthétique, les seuls domaines dans lesquels ma réflexion peut avoir une once de pertinence.

6  Voir par exemple Dmitri Chvidkovski et Jean-Marie Pérouse de Montclos, Moscou Patrimoine architectural, Paris, Flammarion, 1997.

7  Voir Véra Traimond, Architecture de la Russie ancienne, Paris, Hermann, 2003, notamment tome II, pp. 273-307 pour les églises en bois.

8  En 1965, c’est d’ailleurs en se servant de tels modèles que David Lean fit construire en Espagne les décors de son somptueux film Le docteur Jivago pour donner un minimum de « couleur locale ».

9  Paul Ladouceur, opus cité, p. 9.

10  Véra Traimond, opus cité, tome I, p. 168-169.

11  Je remercie Son Excellence l’Ambassadeur de la Fédération de Russie au Canada, M. Georgi Mamedov, ainsi que les services de l’ambassade  pour leur aide généreuse à ma demande d’informations historiques. Je remercie également Robert Hill et Harold Kalman, dont la curiosité a été un apport essentiel dans cette recherche. En outre, une pensée reconnaissante pour ceux à Moscou, Paris, Washington ou ailleurs qui me prêtèrent leur mémoire et me fournirent obligeamment des renseignements, sans vouloir être cités : ils se reconnaîtront.

12  Selim O Khan Magomedov, Georgi Lyudvig, Moscou, Avangard, 2007, pp. 30-39.

13  Jonathan Reynolds, Maekawa Kunio and the Emergence of Japanese Modernist Architecture, Berkeley, University of California Press, 2001.

14  L’imaginaire occidental a tendance à exagérer l’importance des défections, le plus souvent banales au-delà des quelques rares cas d’envergure : je préciserai donc qu’aucun architecte soviétique n’est passé à l’Ouest… Boris Iofan, Ivan Joltovski, Viatcheslav Oltarjevski, Karo Alabian, Andreï Burov par exemple ont effectué de longs séjours en Europe, en Amérique, ou y ont même travaillé – mais aucun d’eux n’a tenté de fuir l’URSS et au contraire ils réaffirmèrent (par prudence…) leur loyauté au régime.

15  Vladimir Paperny, Architecture in the Age of Stalin, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 294.

16  Voir L.V. Varzar et I.S. Iaralov, Mikhaïl Minkus, Moscou, Stroïzdat, 1982, pp. 89-91 pour les ambassades en Inde et en Bulgarie.

17  Nikita Khrouchtchev, Souvenirs, Paris, Laffont, 1971.

18  Cette disgrâce ne fut qu’un premier pas, puisqu’en 1957 Molotov et aussi Chepilov furent parmi les principales cibles de Khrouchtchev dans l’affaire dite du groupe Anti-Parti, qui signifia leur mise à l’écart définitive de la direction du gouvernement soviétique. Cf Rudolf Pikhoia, URSS Histoire du pouvoir, Montréal, Keruss, 2007, notamment les chapitres 4 et 5, pp. 274-354.

19  Le fonds de Noffke (ou plus exactement, les documents survivants de son activité) est conservé aux Archives Nationales du Canada à Ottawa, sous la cote R12577 et sous le numéro d’accession 77803/7. L’ambassade y est représentée par quelques documents graphiques, essentiellement des études de façades. Voir également, de Harold Kalman et Joan Mackie, The architecture of W.E. Noffke, Archives du Canada, 1976 – et sa notice, établie par Robert Hill dans son conséquent dictionnaire en ligne des architectes canadiens : http://dictionaryofarchitectsincanada.org/architects/view/1453

20  Kelly Crossman, Architecture in transition. From art to practice, 1885-1906, Montréal / Kingston, McGill-Queens University Press, 1987.

21  Janet Wright, Les biens de la couronne. L’architecture du ministère des Travaux publics, 1867-1967, Toronto, University of Toronto Press, 1997, notamment le chapitre 8, pp. 240-281.

22  Par courtoisie envers les autorités russes, je choisis de ne reproduire que ces études de façade, n’indiquant en aucun cas le fonctionnement interne de l’ambassade, et bien assez suffisantes pour estimer le processus de conception architecturale. Les croquis préliminaires sont conservés dans le fonds Noffke aux Archives du Canada, cote NO108 709 à 720.

23  In Ivan Petrov, « The Russian Embassy », dans Ottawa Life, volume 9, n°3 (année non communiquée).

24  Même source ; à la différence près que cette citation reprenait un article de ce même journal.

25  Rudolf Pikhoïa, URSS Histoire du pouvoir, opus cité, quatrième chapitre, pp. 259-277.

26  Tiré de l’article « Board Refuses Building Permit to Russian Embassy », in The Ottawa Citizen, 15 mai 1956.

27 Ibidem.

28  « Pearson Urges City Help in Building Russ Embassy », in The Ottawa Citizen, 18 mai 1956, p. 1.

29  Voir « German Embassy plans rejected », in The Ottawa Citizen, 25 mai 1956, pp. 1-7. Je remercie également les services de l’ambassade d’Allemagne : selon leurs informations, la conception de leur bâtiment a dû être probablement partagée entre le Bundesbaudirektion à Bonn et l’architecte canadien O. Tarnowski.

30  « Board of Control Gives Green Light For Excavation on Russian Embassy », The Ottawa Citizen, 29 mai 1956, p. 7.

31  Notons qu’en matière de recommandations tatillonnes, les autorités d’Ottawa connurent en 1976 une cynique riposte de l’URSS, puisque lorsque le Canada voulut se doter d’une ambassade neuve à Moscou, les Soviétiques eurent beau jeu de bloquer le projet par toute une série d’exigences ubuesques… Marie-Josée Therrien, Au-delà des frontières, l’architecture des ambassades canadiennes 1930-2005, Québec, Presses de l’Université Laval, 2005, pp. 48-52.

32  The Ottawa Citizen, 29 mai 1956, p. 7.

33  À laquelle il faudrait ajouter le pavillon soviétique à l’Exposition de Montréal 1967 dessiné par Mikhaïl Posokhine, autre cas fort d’imposition d’une image culturelle russo-soviétique en Amérique du Nord…

Pour citer ce document

Par Fabien Bellat, «Les églises russes du Québec et l’ambassade soviétique au Canada : autour des questions de racines culturelles», Revue du Centre Européen d'Etudes Slaves [En ligne], Numéro 2, La revue, Imaginaire slave et espaces interculturels : déplacements, échanges, rencontres, mis à jour le : 12/06/2013, URL : https://etudesslaves.edel.univ-poitiers.fr:443/etudesslaves/index.php?id=506.

Quelques mots à propos de :  Fabien Bellat

Fabien Bellat est Docteur en Histoire de l’art de l’Université Paris X. Ses recherches (menées entre autres auprès de l’Institut d’Architecture de Moscou) et publications se centrent essentiellement sur l’étude de l’architecture soviétique. De 2005 à 2008 il a enseigné en France à l’Université de Nantes, et en 2011 au Canada à l’Université du Québec en Outaouais. Ses communications ont été données dans les universités de France (dont la Sorbonne et Rennes II), Angleterre (Liverpool Hope Universi ...