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Les survivances du paganisme slave dans les rites funéraires serbes
Par Sanja Boskovic
Publication en ligne le 31 mars 2019
Résumé
Prema ruskim i srpskim etnolozima (posebno Tokarevu et Čajkanoviću), kult posvećen mrtvima ili precima predstavlja centralni kult u slovenskoj mitologiji. Ne samo da je to najrazvijeniji, već je to i najbolje sačuvan obred unutar stare slovenske religije. Ukazivanje poštovanja mrtvima i precima prisutno je u mnogim arhaičnim i primitivnim religijama. Specifičnost staroslovenskog odnosa prema mrtvima očituje se u živoj prisutnosti i razudjenosti obreda kao i u upornosti da se on sačuva čak i u periodu hrišćanizacije : deo paganskog nasledja vezanog za verovanja o mrtvima utkiva se u hrišćanske obrede postajući nerzazdvojni deo pogrebnih ceremonija i rituala, čije tragove nalazimo i danas u srpskim i ruskim narodnim običajima. Integrisani u hrišćanske postavke, odredjeni elementi paganskih pogrebnih običaja postaju kulturne konstante koje odredjuju slovenski identitet ; istovremeno, oni su i glavni oslonac za prenošenje raznorodnih religioznih iskustava. Budući da pogrebni običaju u sebi sadrže elemente starih verovanja, moguće ih je posmatrati kao mitološke izvore koji omogućavaju rekonstituciju prehrišćanske duhovne prošlosti slovenskih naroda. U našem radu, zasnovanom na komparativnoj analizi komemorativnih slovenskih rituala, pokušaćemo da ukažemo na jedan od osnovnih kulturnih arhetipova, koji obeležen pre-hrišćanskim sadržajem, nastavlja da utiče na kolektivno ponašanje unutar savremenog srpskog društva.
Selon les ethnologues russes et serbes (notamment, Tokarev et Čajkanović), le culte des morts ou le culte des ancêtres représente le culte central de la mythologie slave. Non seulement il est le plus élaboré, mais il est également le plus conservé de toute la religion archaïque slave. Le respect exprimé à l’égard des morts et des ancêtres fait partie d’une croyance présente dans de nombreuses religions anciennes et primitives. Or, ce qui fait la particularité de la dévotion slave, c’est certainement sa vive persistance, sa continuité qui poussa l’église byzantine à faire des concessions lors de la christianisation des Slaves de l’Est et des Slaves du Sud. Évidemment, cet héritage païen inspire particulièrement les cérémonies funéraires et on reconnaît ses survivances aussi bien dans les pratiques serbes que russes. En s’intégrant dans la religion chrétienne, certaines données des rites funéraires païens deviennent ainsi une constante culturelle dans la tradition slave, l’un des principaux pivots à travers lesquels s’effectua le transfert de différentes expériences religieuses. Étant donné que les coutumes funéraires préservent des éléments de la religion païenne, on peut les considérer comme des motifs mythologiques permettant la reconstruction complexe du passé pré-chrétien des peuples slaves. Notre travail, basé sur l’analyse comparative des rites commémoratifs slaves, tente d’esquisser l’un des archétypes culturels slaves qui, par son empreinte identitaire préchrétienne, continue à marquer le comportement collectif de la société contemporaine serbe.
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Table des matières
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Texte intégral
Introduction
1La population rurale serbe est très traditionnelle. Les rites funéraires, qui représentent une symbiose du rite chrétien orthodoxe et des croyances païennes, occupent depuis toujours une place importante dans la vie courante. Ils expriment une conviction profonde, un devoir éthique non seulement à l’égard de l’âme du défunt, mais également à l’égard du monde des morts et des ancêtres.
2Dans la totalité des rites funéraires serbes, on distingue deux catégories différentes : les rites consacrés aux funérailles et les rites commémoratifs. Les premiers sont composés d’un ensemble d’actes magico-rituels qui sert à préparer le corps et l’âme du défunt pour le voyage céleste. Les seconds font partie des fêtes religieuses spécialement conçues pour commémorer tous les morts. Par la crainte des morts, l’ensemble des éléments qui constituent les deux rituels doit être appliqué dans un ordre bien précis.
1. La cérémonie des funérailles
3La description de la cérémonie des funérailles que nous allons développer plus loin permet d’esquisser la structure de la première catégorie des rites funéraires serbes. Bien sûr, il s’agit d’une structure schématisée qu’on retrouve au fond de tous les rites régionaux qui en même temps peuvent se différencier selon les coutumes locales. En ce qui concerne le rite d’enterrement, il faut souligner qu’il est formé d’une dizaine de composantes constitutives qui, elles aussi, représentent des unités rituelles particulières.
4L’un des premiers actes dans la cérémonie des funérailles est d’allumer la bougie auprès du défunt. Cet acte, au fond chrétien, exprime en effet la croyance païenne selon laquelle il est nécessaire d’allumer une bougie pour empêcher l’esprit maléfique – souvent le vampire – de pénétrer dans le corps du défunt au moment où son âme le quitte.
5Ensuite, on applique les gestes rituels pour fermer la bouche et les yeux afin que le mauvais esprit n’entre pas dans le corps et que le mort ne puisse pas voir le chemin qui mène de la maison au cimetière. Car on croit que si l’âme du défunt voit le trajet qui mène du cimetière à la maison, il peut y retourner et provoquer des ennuis aux vivants.
6Le lavage rituel du corps suivi de l’habillement des vêtements neufs (des vêtements de mort), souvent spécialement cousus pour cette occasion et gardés dans un placard pendant des années, représente le troisième élément des préparatifs funéraires ; aussi, il est obligatoire que le mort porte un bonnet (ou un foulard s’il s’agit d’une femme) et des chaussures.
7Ainsi préparé, le corps du défunt est mis sur le catafalque. La levée du corps demande également quelques précautions magico-rituelles inspirées par la crainte que l’âme du mort ne reste à la maison : pour cette raison, il est nécessaire que les pieds du mort soient placés sur le catafalque en direction de la porte ou de la fenêtre (ainsi l’âme peut plus facilement sortir de la maison). Avant d’envelopper le défunt dans un linceul blanc1, on doit symboliquement lui attacher les mains, en les croisant sur sa poitrine, et les pieds. Parfois, on lui coupe les tendons2 pour qu’il reste immobile et inoffensif pour les vivants : par ce geste préventif, on l’empêche de se transformer en vampire ou en loup-garou3. Le catafalque est posé à l’entrée de la maison ou dans une des chambres spécialement aménagées pour cette occasion. La famille du défunt, les voisins et les autres paysans viennent lui rendre visite et lui faire leurs adieux. Chacun arrive avec une bougie à la main et des dons. On met la bougie dans un récipient prévu à cet effet et placé auprès de la tête du mort. Les dons, on les pose autour du corps, s’il s’agit de nourriture, et sur la poitrine, s’il s’agit d’argent.
8À partir du moment où le corps est mis sur le catafalque, on est obligé d’assurer la garde du défunt. La garde représente un élément important dans la structure du rite d’enterrement et elle s’effectue sans interruption le jour et la nuit pendant la période où le corps est à la maison. Elle est assurée par les membres de la famille et par tous ceux qui viennent rendre un dernier hommage au défunt. En effet, derrière cette coutume se cache la crainte des mauvais esprits, des vampires et des loups-garous. Selon la croyance populaire, si un animal comme le chien, le chat, la souris ou la poule (tous ces animaux sont de caractère chthonien dans la mythologie slave) passe à travers le corps, l’âme de l’animal pourrait entrer dans le corps du mort et le rendre « vivant » ; pour se protéger d’un tel malheur, les vivants doivent veiller auprès de leur disparu.
9Le sixième acte rituel dans la cérémonie funéraire est la lamentation effectuée soit par les « pleureuses » professionnelles, soit par les femmes de la famille du mort4. Le rôle de ces lamentations est de rendre hommage au défunt, de préserver sa mémoire et de l’aider à retrouver le chemin de la vie éternelle.
10Au moment où le corps quitte la maison, on pose une série d’actes rituels dont le but est, d’un côté, de montrer le respect envers le défunt et le monde des morts et, de l’autre, de se préserver de leurs mauvaises intentions. Le cercueil reste ouvert tout au long de la cérémonie pour que l’âme du défunt puisse voir la lumière (et qu’elle ne l’envie pas aux vivants) ; cependant, toutes les portes et les fenêtres doivent être ouvertes pour rassurer les vivants que l’âme du disparu n’est pas restée à la maison. Après l’office (en principe, il y a deux offices, un devant la maison ou à l’église et l’autre au cimetière au moment de l’enterrement), on emmène le défunt au cimetière. Le cercueil toujours ouvert est porté par les gens ou transporté par des traîneaux5, des voitures à cheval et, plus récemment, par des tracteurs. On ferme le cercueil avant de le placer dans la tombe. Après l’office religieux, tous les participants aux funérailles jettent une poignée de terre (le sens de ce geste est de protéger les membres de la famille du défunt ; on suppose que l’âme du mort pourrait se fâcher contre ses parents puisqu’ils l’ont mis dans la tombe). À part la terre, on jette également de l’argent6 et des objets qui appartenaient au défunt.
11L’élément qui clôture la cérémonie funéraire et qui nous parait central dans le culte des morts est le repas funéraire7 (daća ou tryzna8). Selon cette coutume, après l’enterrement, on étend une nappe blanche sur la tombe du défunt et on y sert un copieux déjeuner. Tous les participants sont invités et, d’une façon magico-rituelle, obligés d’assister au repas. Ainsi, ils rendent hommage à l’âme du défunt, qui ne doit pas se sentir abandonnée ni oubliée. Le repas fait en son honneur doit lui donner de la force pour accomplir son voyage vers le paradis ; de l’autre côté, le partage rituel de la nourriture avec le défunt rassure les vivants que son âme avait tout ce qui lui fallait et qu’elle n’aurait pas de raison de rentrer à la maison et de se retourner contre ses proches. Dès que la nappe est dressée, on désigne une place vide pour le défunt (parfois on y met une cuillère sous la nappe) qui devient ainsi l’hôte honorifique de cette célébration. Le choix des plats se fait par rapport aux jours maigres et aux jours gras. S’il s’agit des jours maigres, on apporte des plats sans viande, à base de légumes, de céréales et de poisson. Pour les jours gras, on fait le sacrifice rituel qui consiste à immoler, selon le sexe du défunt, un bélier ou une brebis. L’animal sacrifié est porté en entier au cimetière et doit être entièrement mangé : c’est-à-dire qu’il ne faut pas rentrer les restes à la maison, et pour cette raison, on distribue la viande à tous les participants ainsi qu’aux pauvres et aux mendiants de passage. Cependant, il y a quelques plats obligatoires et sans lesquels on ne peut pas imaginer le repas funéraire. Après avoir mis les récipients avec l’huile et le vin (on verse toujours un peu d’huile et de vin sur la tombe), on met sur la nappe le gâteau à base de blé et de noix (le même gâteau9 qu’on prépare pour la fête de Slava), un gâteau-pain à base de céréales et, à la fin, le miel et les noix. Ensuite, on pose les autres plats (la viande ou le poisson, selon les jours) et les boissons comme l’eau-de-vie, le vin, la bière, etc. Avant de partager ce copieux déjeuner, les convives doivent rituellement se laver les mains. Ensuite, ils mangent le gâteau au blé et aux noix, après quoi ils sont obligés de boire un verre d’eau-de-vie dédié à la paix de l’âme du défunt. Cet acte rituel est très important et consiste à verser la moitié du contenu du verre sur la tombe et ensuite à boire le reste.
12La fin du repas marque également la fin de la cérémonie de l’enterrement. Les participants aux funérailles rentrent chez eux. Il n’est pas souhaitable d’emprunter le même chemin qu’on avait pris en y allant, car il faut brouiller les traces du retour et empêcher l’âme du défunt de suivre les vivants. Sur la tombe, on laisse de l’eau, de l’huile, du vin, différentes sortes de plats et de boissons afin que l’âme du défunt puisse se servir. Les repas sur la tombe se répètent également le septième et le quarantième jour ainsi que le jour du premier anniversaire après l’enterrement10. Les rites et les collations funéraires appliqués dans la période du premier anniversaire s’adressent de manière personnelle au défunt concret. Leur but est d’accompagner l’âme du disparu, de lui porter le soutien moral nécessaire pour l’accomplissement de son voyage dans l’autre monde. Selon la croyance populaire, les premiers quarante jours, l’âme erre dans la nature, elle aime visiter les lieux où elle avait vécu et pour cette raison, il faut être particulièrement attentif et répondre à tous ses besoins. À part les collations régulières au cimetière, on garde également pendant quarante jours un verre d’eau près de la fenêtre, accompagné des plats et d’une bougie allumée. Après la période de quarante jours, l’âme se fixe sur la croix de son tombeau ; mais pour la fixer correctement et pour toujours (c’est-à-dire pour qu’elle ne revienne plus déranger les vivants), il faut mettre une pierre tombale. La mise de la pierre s’effectue quelques jours avant le premier anniversaire de l’enterrement et elle est également suivie d’un repas funéraire au cimetière. Il s’agit du même type de collation que pour la cérémonie des funérailles.
2. Les fêtes commémoratives collectives
13La fin de cette célébration marque aussi la fin du premier cycle des actes magico-rituels consacré, de manière concrète et personnelle, au défunt et à son âme. À partir du premier anniversaire depuis l’enterrement, la commémoration de sa mort se fera uniquement dans le cadre des fêtes commémoratives collectives destinées aux morts et aux ancêtres. Les rites d’enterrement entrent ainsi dans le contexte plus large du culte des morts dont la tâche principale est de maintenir des liens entre les vivants et le monde des morts. Après le délai11 d’un an, l’âme du défunt devient inoffensive (elle ne peut plus nuire aux vivants) et monte au ciel rejoindre les âmes des ancêtres. À partir de ce moment, on lui rend hommage lors des célébrations commémoratives prévues par le calendrier religieux. Une fois montés aux cieux, les défunts se comportent comme les ancêtres qui protègent la vie. Chez les Slaves orthodoxes, on distingue plusieurs fêtes de commémoration des morts (zadušnice12), mais parmi celles-ci, il faut en souligner deux, une célébrée au printemps et l’autre en automne.
14Selon les coutumes traditionnelles, on commémore les morts/les ancêtres en invitant les gens à venir partager le déjeuner rituel sur la pierre tombale. La nourriture et les boissons apportées pour cette occasion sont de la même sorte que pour les rites d’enterrement. Mais cette fois-ci, le partage du repas funéraire a pour le but de rendre hommage à tous les morts.
15En analysant la structure des deux rites, funéraires et commémoratifs, on s’aperçoit que la collation au cimetière occupe la place centrale dans les deux cas. L’acte de partage de la nourriture est un acte magique qui instaure de façon symbolique la communication entre les deux différents mondes. Cependant, ce repas sur la pierre tombale n’est pas une coutume typique uniquement pour les peuples slaves. En effet, ce genre de cérémonies fait partie des mœurs assez répandues dans les sociétés archaïques13. Elles étaient présentes aussi bien dans la tradition juive14, qu’égyptienne15 ou grecque16. Les collations funéraires ont été pratiquées également à l’époque du christianisme primitif17 et on les connaissait sous le nom de refrigerium. Pendant un certain temps, l’Église tolérait les repas au cimetière. Saint Augustin trouvait nécessaire d’exprimer la position de l’Église sur cette coutume : il fournit des témoignages de ces rites païens funéraires18 ainsi que leur interdiction officielle, qui survient à l’époque d’Ambroise de Milan19.
16Dans ce genre de pratiques, les ethnologues contemporains considèrent que les vivants vainquent par les rites magiques leur crainte du monde cruel et omnipuissant des disparus20. D’où les banquets rituels, le partage des biens terrestres, qui prouvaient que les ancêtres n’étaient pas oubliés ; le partage du repas au cimetière devait assurer une protection contre la jalousie ou la vengeance des âmes disparues21.
17Les cérémonies funéraires que nous avons décrites et surtout le repas au cimetière sont pratiqués aujourd’hui aussi bien en Serbie qu’en Russie. La structure des rites d’enterrement et de commémoration est presque la même dans les deux cas (on peut toujours remarquer certaines divergences de caractère local ou régional, mais, au fond, elles restent liées à l’unique structure qui englobe tous les actes rituels cités). Les populations rurales serbes et russes pratiquent de manière stricte les cérémonies traditionnelles consacrées aux morts. Non seulement l’ordre d’application de ces actes magico-rituels est le même, mais on y reconnaît également le même type de croyances populaires. Cela nous fait penser que toutes ces ressemblances cachent en effet une structure d’un comportement rituel connu et partagé par les tribus slaves à l’époque païenne22 et qui a profondément marqué leur mémoire religieuse.
3. Le rite commémoratif païen slave
18Comme nous disposons de peu de sources qui permettraient la reconstitution de l’ancienne religion slave, nous sommes obligés de nous référer aux documents secondaires souvent marqués par les visions personnelles de leurs auteurs. Parmi les témoignages concernant les rites funéraires slaves, à part celui de Pseudo-Maurice (VIe siècle) et celui de saint Boniface (VIIIe siècle) qui parlent de sacrifices volontaires des épouses après la mort de leurs maris « car le veuvage n’est pas digne d’être vécu »23 et « une femme qui se donne la mort de sa propre main, et qui se fait brûler sur le bûcher, mérite la considération de tous »24, on distingue particulièrement les témoins arabes Al-Masudi et Ibn Fadlân. Le premier, en commentant les rites funéraires chez les Slaves, situe les incinérations qu’ils pratiquaient dans le contexte plus large des coutumes appartenant à l’antiquité indo-européenne25, tandis que le second décrit avec beaucoup de précisions une cérémonie funéraire à laquelle il avait assisté lors de son séjour chez les Russes de la Volga. Même s’il s’agit d’une description d’un voyageur du Xe siècle, et même si l’on a des doutes concernant l’identité de cette tribu slave qu’Ibn Fadlân appelle les « Rûs »26, son témoignage nous permet de comparer la structure du rite funéraire qu’il décrit avec celle des rites pratiqués actuellement chez les Slaves orthodoxes.
19Ibn Fadlân27 quitte Bagdad le 21 juin 921 pour entamer son voyage dans les pays lointains des « saquâliba »28. Lors de son expédition, outre la population slave, il rencontra des tribus turques, des Bulgares et des Khazars. Au bord du fleuve Atil29, il voit pour la première fois une peuplade d’origine slave que lui-même nomma les « Rûs » : « Je n’ai jamais remarqué d’hommes si bien faits. Ils ressemblent en effet à des palmiers30 », écrit-il. Pendant son séjour chez eux, et malgré son dégoût inspiré par certaines de leurs habitudes, Ibn Fadlân note tout ce qui concerne leur vie profane et religieuse. Parmi ces témoignages précieux, on distingue particulièrement la description d’une cérémonie funéraire.
20D’abord, il nous informe qu’il y a deux types d’enterrement, celui destiné aux pauvres et l’autre accordé aux riches :
« Pour l’homme pauvre, on fabrique une petite embarcation dans laquelle on place le défunt, puis on le brûle. Pour l’homme riche, on rassemble ses biens qu’on divise en trois parts : une pour sa famille, une pour lui confectionner des vêtements et avec la dernière on prépare la boisson fermentée31 qu’on boit le jour où sa servante se sacrifie elle-même et se fait incinérer avec son maître32. »
21Le chroniqueur arabe assista à l’enterrement d’un homme important et donc il décrit toute la cérémonie, y compris le sacrifice humain pratiqué lorsqu’il s’agit de la mort d’un chef :
« D’abord, ils ont mis le défunt dans sa tombe, ensuite ils l’ont couvert d’un toit, le temps qu’il leur fallut pour lui tailler des vêtements et les lui confectionner, soit dix jours. [...] Le jour où devaient être incinérés le maître et son esclave, j’étais sur la rive du fleuve où se trouvait son bateau qu’on avait retiré de l’eau... [...] On apporta un lit qu’on plaça sur le bateau et on le garnit de matelas et de coussins de brocart byzantin... [...] Lorsqu’on fut arrivé à la tombe du défunt, on enleva la terre qui recouvrait le bois qu’on nettoya. On dégagea le corps qui était dans le vêtement qu’il portait lors de son décès. [...] On retira la boisson fermentée, les fruits et la pandore qu’on avait mis dans la tombe. [...] On lui mit un pantalon, chaussons, des bottines, une tunique et un caftan de brocart avec des boutons en or. On le coiffa d’un bonnet en brocart, garni de fourrure de martre. On l’emporta pour le mettre dans le pavillon qui se trouvait sur le bateau. On l’assit sur le matelas, le soutint avec les coussins et on apporta de la boisson fermentée, des fruits et des plantes odoriférantes qu’on laissa avec lui. Ensuite on apporta du pain, de la viande et des oignons qu’on déposa devant lui. On amena un chien qu’on fendit en deux et qu’on jeta dans le bateau. Puis, on apporta toutes ses armes qu’on plaça à côté de lui. On prit deux chevaux qu’on fit courir jusqu’à ce qu’ils fussent en sueur, puis on les mit en pièces à coups de sabre et on jeta la chair dans le bateau. On amena deux vaches qui subirent le même sort. Ce fut ensuite le tour d’un coq et d’une poule qu’on jeta dans le bateau. La jeune esclave qui voulait être sacrifiée, allait et venait, entrait dans chaque pavillon et s’unissait au propriétaire qui lui disait : « Dis à ton maître que je n’ai commis cet acte que parce que je l’aimais ! » [...] On conduisit la jeune esclave vers une espèce de cadre de porte qu’ils avaient fabriqué. Elle mit ses pieds dans la paume des mains des hommes pour être soulevée au-dessus du cadre. [...] La première fois qu’on l’a soulevée, elle a dit : « je vois ma mère et mon père », la seconde : « je vois assis, tous mes proches qui sont morts » et la troisième : « je vois mon maître assis au paradis qui est beau et vert. Il est en compagnie d’hommes et de jeunes gens et il m’appelle. Emmenez-moi vers lui ! » [...] Ils donnèrent à la jeune fille une coupe de boisson fermentée. Alors elle chanta et but. [...] On lui donna une autre coupe. [...] Je constatai que la jeune fille avait l’air égaré [...] La vieille femme, appelée Ange de la Mort, passa au cou de la jeune fille une corde dont les bouts étaient croisés et la tendit à deux hommes qui la tirèrent. Elle s’approcha avec un poignard et elle se mit à l’enfoncer [...] tandis que les deux hommes l’étranglaient avec la corde. [...] Le plus proche parent du défunt, complètement nu, vint prendre un morceau de bois qu’il alluma... Il mit le feu au bois qu’on avait disposé sous le bateau après avoir placé la jeune fille sacrifiée à côté de son maître. Puis on apporta du gros et du petit bois ; chacun en avait un bout dont l’extrémité était enflammée et le jetait dans le bûcher qui prit le feu, puis ce fut le bateau, le pavillon, l’homme, l’esclave et tout ce que contenait le navire qui s’embrasèrent33. »
22Cet extrait du texte d’Ibn Fadlân nous permet de comparer l’ancien rite slave avec celui de la tradition serbe. Dès le début, on peut constater que le rite funéraire exercé au Xe siècle commençait par la préparation du corps du défunt et des habits confectionnés spécialement pour cette occasion. Rappelons-nous, la même coutume est toujours pratiquée dans la tradition serbe34. Non seulement on coud un « habit de mort », mais, nous l’avons vu, on habille le défunt en lui mettant des chaussures et un bonnet comme c’était le cas chez les Rûs d’Ibn Fadlân. Le deuxième élément qui rappelle les coutumes actuelles est le partage des biens entre les vivants et le disparu. Une part de l’héritage du riche marchand russe est utilisée pour préparer la boisson et la nourriture pour la célébration funéraire. Dans le culte serbe, nous l’avons remarqué, on jette un peu d’argent dans la tombe du mort afin qu’il ait sa part de l’héritage et pour que son âme ne revienne pas à la maison pour la réclamer. Ce geste magico-rituel pourrait se référer à la coutume originaire décrite par le voyageur arabe.
23Au moment de la levée du corps, on aperçoit également quelques ressemblances entre les deux rites : chez les saquâliba, une fois préparé et habillé, le défunt est mis sur le matelas, soutenu par les coussins et exposé dans le bateau; nous avons pu constater que chez les paysans serbes le corps du disparu est également posé sur une table spécialement construite et couverte d’une nappe blanche. Sous la tête du mort, on mettait d’habitude un coussin blanc35. Les Rûs de la Volga mettent à côté de leur mort la nourriture et les boissons. Dans le rite serbe, il est de coutume de poser la nourriture près de la tête et l’argent sur la poitrine du défunt. Ibn Fadlân nous informe également qu’on entourait le corps du mort avec ses armes. Le rite serbe montre une sorte de survivance des pratiques originaires : lors de l’enterrement, on jette dans la tombe les objets qui appartenaient au disparu. D’ailleurs, sur les anciennes pierres tombales on dessinait la figure du défunt entourée par les objets qu’il utilisait pendant sa vie (les outils de travail pour les paysans et les artisans ou les armes pour les soldats) ; très souvent, ces dessins sont accompagnés par quelques vers poétiques racontant la vie du mort.
24Dans la description d’Ibn Fadlân, on distingue également le sacrifice des chevaux, des vaches, du chien, de la poule, du coq qui, tous, sont jetés dans le bateau. Il est intéressant de remarquer que tous ces animaux dans la mythologie slave représentent les animaux chthoniens et lunaires. L’ancienne croyance qui les liait aux morts évolue en croyance populaire selon laquelle ces animaux, traités comme impurs, sont considérés comme messagers du monde souterrain. Lorsqu’un coq vient chanter sur le seuil de la maison, les paysans sont persuadés que cela annonce un décès dans la famille36. Dans certaines régions, les gens portent la poule ou le coq entier pour le repas au cimetière. En même temps, nous avons vu que dans le rite funéraire serbe, lors de la garde du défunt, on protège son corps des mauvais esprits de certains animaux, parmi lesquels se trouvent le chien, la poule, le coq, le chat, la souris. De l’autre côté, le cheval noir ou blanc en sueur joue un rôle important dans les rites païens dédiés aux anciennes divinités slaves : il suffit de se rappeler les cultes de Svantevid ou de Trojan, les dieux nocturnes des Slaves de l’Ouest et des Slaves du Sud, qui aimaient se promener la nuit et rentrer au petit matin avec les chevaux tout en sueur. (Dans la région de Kačer, en Serbie centrale, les gens racontent que chaque petit matin leurs chevaux sont en sueur et ils expliquent ce phénomène en disant que des êtres invisibles comme des fées viennent et montent leurs chevaux dans la prairie.)
25Le sacrifice humain soigneusement décrit par notre chroniqueur et qui rappelle les pratiques courantes pour les sociétés archaïques et primitives (il suffit de se rappeler les funérailles de Patrocle37 dans l’Iliade d’Homère), instaure également un lien hypothétique avec les témoignages que nous avons déjà cités et qui ont été fournis par Pseudo-Maurice au VIe siècle et par saint Boniface deux siècles plus tard, témoignages qui confirment l’existence de ce genre de pratiques dans les tribus slaves38. Le fait que l’idée de sacrifice est restée enregistrée dans la croyance populaire – mais cette fois-ci, il s’agit d’immoler la brebis ou le bélier pour l’âme du défunt39 – pourrait nous faire penser que la coutume païenne a été sublimée d’un état sauvage en un état plus humain. Ce genre de transfert et d’évolution mentale et psychique est courant dans les sociétés archaïques et primitives40. Cependant, dans le sacrifice de la jeune esclave, on remarque un élément rituel qui peut être à l’origine de certaines coutumes serbes pratiquées au moment de la sortie du corps de la maison. D’abord le rite serbe demande de s’arrêter sur le seuil de la maison et de taper avec le cercueil contre le cadre de la porte trois fois. Rappelons-nous, avant de sacrifier la jeune esclave, les Rûs d’Ibn Fadlân l’amenaient devant « une espèce de cadre de porte qu’ils avaient fabriqué » et là, devant ce cadre, ils l’avaient soulevée trois fois. Après chaque soulevé, la fille racontait ce qu’elle avait vu dans l’autre monde. On peut supposer que l’acte rituel où le cercueil est arrêté dans le chambranle et, selon différentes coutumes41, trois fois soulevé ou trois fois tapé contre le cadre ou bien trois fois baissé vers le seuil, représente la transformation évolutive du vécu païen exprimé lors de la cérémonie décrite par le chroniqueur arabe. D’autant plus que les Slaves, et notamment les Serbes42, connaissaient l’époque où ils enterraient leurs morts sur le seuil de la maison. Ce qui souligne davantage l’importance du seuil et du cadre de porte non seulement dans le rite d’enterrement, mais aussi dans la croyance populaire. À la campagne serbe, les paysans immolaient les animaux (la poule ou le coq) sur le seuil de la maison en faisant ainsi le sacrifice rituel aux ancêtres. On peut supposer que le rôle du cadre de la porte est de séparer de manière symbolique deux mondes différents. D’où son influence au niveau du comportement rituel et métaphysique dans les deux époques païenne et contemporaine. En effet, la fonction originaire que le chambranle exerçait à l’époque préchrétienne évolua, marquant un ensemble d’actes magico-rituels actuellement pratiqués dans les campagnes serbe et russe43.
26Un autre élément est également à distinguer dans l’épisode du sacrifice de la jeune esclave. Il s’agit de sa vision de l’au-delà qu’elle transmet à ses compatriotes. En regardant de l’autre côté du cadre qui sépare les deux mondes, elle voit d’abord ses parents, ensuite ses proches qui sont déjà morts et finalement son maître assis au paradis. Cette image simpliste du monde des morts est basée sur l’idée que tous les morts que la jeune fille connaissait ont été regroupés dans un même lieu ; ce lieu où ils habitaient se nomme le paradis. Dans la croyance populaire slave, nous avons également cette notion de paradis comme destination terminale pour tous les morts44. Chaque âme y aboutit directement ou après certaines épreuves (s’il s’agit des âmes ensorcelées). L’origine de cette croyance, on peut peut-être la voir dans les explications qu’un Rûs a fournies à Ibn Fadlân : « Vous, Arabes, êtes sots ! [...] Vous inhumez les gens que vous chérissez et que vous honorez le plus et la terre, les insectes et les vers le mangent. Nous, nous les brûlons immédiatement et ainsi ils vont au paradis sans tarder45 ! »
27Cependant, l’image du paradis transmise par la fille sacrifiée relève également l’idée que les morts sont nos ancêtres, nos parents qui nous attendent et que nous allons retrouver au moment de notre départ. Cette idée est bien enracinée dans la croyance populaire serbe et pour illustrer son ampleur et sa vivacité, nous allons citer le discours récent d’une paysanne de la région de Kačer (Serbie centrale). Il s’agit d’une vieille fille qui après la mort de son père est restée toute seule à s’occuper de la maison et de la terre. L’hiver dernier, son voisin le plus proche tomba gravement malade et, comme la tradition le veut, elle se rendit à son chevet pour lui dire ses adieux. Assise à côté de lui, elle lui demanda gentiment de transmettre à son père à elle qu’il ne s’inquiète de rien, qu’elle entretient la maison comme il faut, qu’elle laboure la terre, que le bétail se porte bien et qu’elle a même réussi à réparer la charrue qui était cassée depuis des années. La brave fille est partie toute contente ; elle a transmis le message à son père par la voie la plus naturelle, par son voisin, qui se prépare pour le grand voyage et qui verra certainement son parent avant elle46.
28Après la lecture du journal de voyage d’Ibn Fadlân, on s’aperçoit que le rite funéraire chez les Rûs représentait une sorte de fête collective. On a remarqué que le village entier participait à la préparation et à l’organisation des funérailles. Les scènes d’habillement du défunt, de l’évacuation et de l’aménagement du bateau, la préparation de la nourriture et des boissons illustrent l’importance du partage collectif (même les scènes d’amour avec la fille sacrifiée reflètent la même idée). Le rite de crémation est également imprégné par l’idée de partage : ce sont d’abord les plus proches et ensuite les autres participants qui jettent les bois enflammés sur le bateau.
29Le même sens de la collectivité est présent dans les rites serbes47 et russes48. La préparation du corps du défunt, sa garde, la préparation de la nourriture, les dons en argent apportés à la famille du mort montrent que le décès est un souci collectif géré par l’ensemble des parents, des amis et des voisins. On retrouve aussi des survivances du même comportement rituel au moment où les membres de la famille, les voisins et les amis jettent les uns après les autres une poignée de terre dans la tombe.
30L’esprit de festivité qu’on reconnaît dans la description d’Ibn Fadlân n’est pas étranger aux sociétés archaïques et primitives49. La cérémonie des funérailles porte le respect envers les morts, mais en même temps marque la victoire de la vie50. Les scènes obscènes entre l’esclave et les hommes du village, ou les scènes d’ivresse, notées par Ibn Fadlân, le prouvent amplement.
31Selon certains ethnologues51, les traces des festivités funéraires, des chants et des danses se trouvent aussi dans la tradition serbe. Dans le poème épique intitulé Le mariage de Militch52 (Ženidba Milića barjaktara) nous apprenons qu’à l’enterrement du jeune marié Militch, les convives chantent la chanson triste et dansent la ronde (kolo) à l’envers. Comme la poésie épique représente un vrai trésor de la mémoire collective, parfois, elle peut devenir une source de renseignements précieux pour la reconstruction des coutumes et des croyances anciennes53. C’est le cas également de l’épopée Le Dit de la bataille d’Igor (Slovo o polku Igorovu) où le chanteur épique décrit la pleure collective rappelant la célébration funéraire, la tryzna, aussi évoquée dans La Chronique de Nestor : le festin rituel de la veuve d’Igor, la princesse Olga, qui interpelle celui décrit par Ibn Fadlân. On y trouve non seulement le rite d’incinération, mais également celui de l’application du sacrifice humain qui cette fois-ci prend encore plus d’ampleur. La veuve voulant se venger pour la mort du prince Igor fait enivrer et ensuite massacrer et brûler les guerriers adversaires. Cet assassinat rituel est accompagné par un grand festin commémoratif54, la tryzna.
32La tryzna était connue dans les différentes traditions slaves. Chez les Serbes55, elle se déroulait au centre du village, au milieu du carrefour56, pas très loin de l’eau ; cette fête, dédiée au défunt, est composée d’un repas rituel et accompagnée de jeux de combat et de danses.
4. En guise de conclusion
33L’acte magico-rituel du partage de la nourriture avec les morts, l’acte qui est au fond de la cérémonie et de la croyance païenne, devient ainsi la structure rituelle et mentale à travers laquelle s’effectue le transfert de l’héritage culturel. Au marchand russe de la Volga, on apportait du pain, des oignons, de la viande et de l’eau-de-vie ; les paysans serbes (aussi bien que russes57), dix siècles plus tard, organisent en l’honneur de leurs défunts de riches banquets au cimetière.
34Pourtant, la population rurale n’est pas la seule à garder la mémoire des anciens rites. Dans les zones urbaines, il n’est pas possible d’appliquer la collation traditionnelle comme c’est le cas à la campagne ; pour cette raison, en ville, nous avons une sorte d’adaptation des actes rituels les plus importants. Par exemple, le nouveau cimetière belgradois est spécialement équipé d’un lieu où les convives peuvent se réunir après l’enterrement ; l’endroit est muni d’une fontaine pour le lavage rituel des mains et d’une table qui permet de servir le gâteau à base de blé et de noix et les boissons. Après cette collation rituelle, la famille du défunt reçoit les invités à la maison où elle prépare un déjeuner traditionnel à la mémoire du disparu58. Depuis peu, on constate même que les familles des villes organisent le repas funéraire au restaurant.
35Les exemples des coutumes pratiquées dans les zones urbaines nous montrent que les mœurs ne disparaissent jamais : elles s’adaptent aux nouvelles conditions de vie tout en continuant à exprimer le sentiment religieux d’origine. C’est ainsi que le rite de partage ancestral reste gravé dans la mémoire collective tout en reflétant les représentations culturelles originaires. Au service depuis des siècles, ces actes rituels de la collation funéraire gardent et transmettent l’essentiel de la religion et de la culture des anciens Slaves.
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Notes
1 Voir : Š. Kulišić, P. Z. Petrović, N. Pantelić, Srpski mitiloški rečnik [Dictionnaire mythologique serbe], Belgrade, Nolit, 1970, p. 238 et V. Čajkanović, Stara srpska religija [Religion archaïque serbe], Belgrade, SKZ, 1994, p. 110.
2 La coutume de lier les membres du défunt ou de lui couper les tendons est très ancienne chez les Slaves. On retrouve ses traces à l’époque de la culture trzciniec-komarovo située à l’âge du bronze entre les XVe et XIIIe siècles avant notre ère. À cette époque, on utilisait la position repliée ou la position fœtale pour les sépultures : « Cette position était obtenue artificiellement : en enterrant le mort, ou bien on liait ses membres, ou bien on coupait ses tendons de façon à donner au corps la position voulue ». (B. Rybakov, Le paganisme des anciens Slaves, Paris, PUF, 1994, p. 278.)
3 Š. Kulišić, P. Z. Petrović, N. Pantelić, Op. cit., p. 51.
4 L. Niederle, Manuel de l’antiquité slave, Ancienne Honoré Champion, 1923, Tome 2, pp. 46 et 47 : « Durant la levée du corps, ainsi que pendant tout le trajet de la maison au cimetière, les parents du défunt accompagnaient sa dépouille de leurs éloges, tandis que les femmes faisaient entendre des lamentations, s’égratignant parfois le visage de leurs ongles, se meurtrissant le corps et se coupant la chevelure. De telles lamentations n’étaient déjà plus l’expression de la douleur, mais l’accomplissement d’un rite; la tradition a d’ailleurs été conservée intégralement jusqu’à nos jours sur de nombreux points du domaine slave, notamment dans les Balkans et en Russie, où l’on loue pour les enterrements des pleureuses de profession, appelées : pokajnice, narikače, plakalnice... [...] Ces lamentations rituelles avaient une si grande importance qu’en certains endroits l’enterrement pouvait avoir lieu sans le rituel de l’Église, mais jamais sans elles. »
5 Niederle, Ibidem, p. 50 : « On n’est pas aussi bien fixé sur l’origine de la coutume d’enterrer les morts dans des traîneaux ou de les conduire en traîneau, même en plein été, à leur dernière demeure. [...] Cette coutume s’est conservée longtemps en Russie et en Petite Russie; elle se pratique aujourd’hui encore dans les Carpates; elle est aussi attestée en Slovaquie, en Pologne et en Serbie. [...] Le traîneau est toujours attelé de bœufs. »
6 La même coutume est aussi présente chez les Grecs : avec l’argent, on paye le passage en bateau chez Charon; pour les mêmes raisons, on jette l’argent chez les Russes « pour que l’âme puisse payer son transfert dans l’autre monde, pour qu’elle puisse s’affranchir de ses péchés » (I. A. Kremleva, « Les rites funéraires commémoratifs chez les Russes : un lien entre les vivants et les morts » in Cahiers slaves, n° 1 : Aspects de la vie traditionnelle en Russie et alentour, Paris, Sorbonne, 1997). Chez les Serbes, on partage également ces convictions, mais au fond de cette coutume, il y a l’idée de donner au mort ce qui lui appartient, sa part de l’héritage domestique, afin que son âme ne revienne pas à la maison la réclamer. (V. Čajkanović, Iz Stare srpske religije [Religion archaïque serbe], Op. cit., p. 119.
7 L. Niederle, Op. cit., pp. 51 et 55 : « L’un des épisodes les plus intéressants et les plus importants du cérémonial funèbre est la solennité appelée tryzna, avec le banquet qui l’accompagnait (piru, strava). [...] En dépit de tous ses efforts, l’orthodoxie n’a pu faire perdre aux Slaves certaines habitudes païennes, comme celles de porter aux morts des aliments et de célébrer en leur honneur divers jeux dramatiques tournant souvent à l’orgie. Ces mœurs, procédant de conceptions païennes, sont encore profondément ancrées dans les régions les plus perdues des Balkans. »
8 Voir Š. Kulišić, P. Z. Petrović, N. Pantelić, Srpski Mitološki rečnik, [Dictionnaire mythologique serbe], Op. cit., pp. 103-104 et 286.
9 Il faut savoir que dans la religion païenne serbe, les noix ainsi que le blé sont considérés comme des fruits et des céréales qui appartiennent au monde des morts; c’est la raison pour laquelle on les trouve régulièrement dans tous les rites consacrés aux morts.
10 Dans certaines régions serbes, on a la coutume d’apporter de la nourriture et des boissons sur la tombe chaque jour de la première semaine après l’enterrement.
11 Selon la croyance populaire, le délai d’un an n’est pas valable pour les âmes méchantes ou ensorcelées par les mauvais esprits. Pour ces âmes, il existe un tas de rites qui doivent à la fois protéger les vivants contre leurs intentions malsaines et aider ces âmes à retrouver le chemin qui mène au paradis.
12 Š. Kulišić, P. Z. Petrović, N. Pantelić, op. cit., p. 132 et 133 et V. Čajkanović, Stara Srpska religija i mitologija, [Religion et mythologie archaïque serbe], Op. cit., p. 127.
13 J. Frazer, La crainte des morts, traduit de l’anglais par M. Drucker, Paris, Émile Nourry, 1934, pp. 29 et 30 : « Le sauvage imagine en général que la vie dans l’autre monde diffère à peine, pour l’essentiel, de la vie dans ce monde-ci, et que les hommes continuent de ressentir les mêmes émotions et d’éprouver les mêmes besoins qu’ils ont ressentis ou éprouvés dans la vie. [...] Les esprits des ancêtres aiment les mêmes choses qu’ils aimaient avant de quitter la chair ; ils sont pénétrés des mêmes désirs et ont les mêmes antipathies. Les vivants ne peuvent accroître le nombre des femmes des esprits des ancêtres ; mais ils peuvent tuer du bétail en leur honneur et entretenir leur gloire et leur mémoire sur terre. Par-dessus tout ils peuvent leur donner du bœuf et de la bière. Et si les vivants ne leur donnent pas assez de ces choses on suppose que les esprits en font voir de dures aux humains ; ils envoient la sécheresse, la maladie et la famine, jusqu’à ce que l’on tue du bétail en leur honneur. Quand les hommes sont vivants ils aiment la louange et la flatterie, la nourriture et les soins ; après la mort ils veulent tout-à-fait les mêmes choses, car la mort ne change pas la personnalité. »
14 A. Lods, Le culte des ancêtres dans l’antiquité hébraïque, Thèse de doctorat ès lettres, Paris, Librairie Fischbacher, 1906, pp.156 et 157 : « Malgré l’obscurité des textes, il est plus que probable que les anciens Israélites ont observé, comme le Juif du temps de Josèphe, l’usage universellement répandu du repas funéraire célébré au soir de l’enterrement ou peut-être à la fin de sept jours de deuil. Cet usage, pratiqué encore dans nos campagnes, est bien connu de tous les ethnologues. Et dans un grand nombre de cas, son sens originel est encore très clair. Il n’a pour but principal, ni de consoler les parents du mort, ni d’exprimer les remerciements de la famille aux amis qui lui ont apporté leur sympathie, encore moins d’attirer aux funérailles le plus grand nombre possible d’assistants, mais d’établir ou de maintenir la communion des vivants avec l’esprit du défunt par un repas pris en commun, comme on établit ou maintient la communion entre les hommes et leur Dieu par un repas où l’on mange la chair de la victime dont la divinité a d’abord reçu sa part sur l’autel : le repas funéraire est la survivance plus ou moins consciente d’un sacrifice au mort. »
15 F. M. Dhombres, Les repas funéraires dans les religions archaïques et la communion des saints, Thèse présentée à la Faculté Libre de Théologie Protestante de Montpellier, 1970, p. 22 : « Les offrandes funéraires, objets de toute sorte mais surtout nourriture et boisson sont universellement attestées dans les religions archaïques. Nous en avons plusieurs attestations tant archéologiques que découvertes par l’observation de religions archaïques encore existantes. Il est probable que ce type d’offrande commençait dès après les funérailles ; ils se répétaient à dates fixes ; [...] La partie supérieure des tombeaux égyptiens était consacrée à ces cultes d’offrandes et enrichie de reliefs et de peintures. Les descendants du défunt étaient chargés du culte d’entretien. Il se composait d’offrandes de céréales et de gâteaux, de vin et de bière et de lait mais surtout d’eau. [...] Ce culte d’entretien jouait un très grand rôle dans la vie de l’Égyptien moyen. »
16 R. Garland, The Greek way of Death, New York, Cornell University Press, 1985, p. 110 : «Whether the dead was cremated or inhumed, male or female, remains of burnt deposits in and around graves illustrate that a meal was equally acceptable to all. [...] More technical expressions in use include enagismata enagizein and choas cheisthai. Sometimes the two phrases are coupled together, in which case enagismata clealry refers to the food offering and choai to the drink ».
17 G. Ernst, « Mort », in Dictionnaire de Don Juan, Paris, Robert Laffont, 1999, p. 658 : « Ainsi, du repas offert sur la sépulture, attesté depuis les origines, et repris dans le refrigerium chrétien, collation froide sur la tombe des premiers martyrs (il en reste des traces en Russie, le jour de Pâques, où l’on dépose des aliments près des tombeaux). » F. Dhombres, op. cit., p. 38 : « Il faut distinguer, parmi les repas funéraires, d’abord ceux auxquels seul le mort participe, c’est-à-dire les offrandes funéraires, ensuite l’agape, repas de la communauté célébré dans les hypogées en présence du mort et enfin l’eucharistie célébrée sur les tombes des martyrs et par la suite sur l’autel contenant toujours des reliques d’un martyr. »
18 F. Dhombres, Op. cit., p. 45 : « Les premiers chrétiens se sont donc réunis sur les restes funéraires de leurs martyrs et cela pour y célébrer des repas, parfois très copieux où l’on mangeait et l’on buvait pour le bien-être du défunt ». Pour Van der Meer (St Augustin pasteur d’âmes, Éd. Alsatia, 1959, p. 350), « tous les tombeaux, riches, qu’ils soient plus ou moins bien conservés ont été manifestement construits pour permettre d’y organiser un repas ; les plus modestes du moins pour une offrande de boisson ou une petite collation. On appelait d’ailleurs ‘mensa’ la pierre tombale ; elle avait la forme d’une table de salle à manger (triclinium). »
19 F. Dhombres, Ibidem, p. 41.
20 L. Lévy-Bruhl, La mentalité primitive, Paris, PUF, 1963, pp. 64, 68, 82 et 83 : « À l’influence que le défunt exerçait en vertu de sa force propre, de son mana personnel, s’ajoute la puissance mystérieuse et formidable que lui procure sa condition de nouveau mort. Il peut beaucoup contre les vivants ; ils ne peuvent rien ou presque rien contre lui. [...] Mais, en général, on juge plus sûr de se le rendre favorable, c’est-à-dire de satisfaire ses désirs. [...] L’esprit du mort exige la vengeance : si elle n’est pas obtenue, les siens en porteront la peine. Non seulement il ne leur procurera pas de succès à la chasse ; il enverra des sangliers qui ravageront leurs champs, et il leur causera toutes sortes de dommages. [...] M. Junod a bien expliqué le caractère des relations constantes qui existent entre la tribu et ses ancêtres. Elles reposent sur le principe ‘do ut des’, joint au sentiment d’une puissance supérieure chez les ancêtres. [...] Ces sacrifices-là sont donc essentiellement préventifs. En donnant à manger aux mânes, en les recouvrant de présents, on obtient d’eux que les choses suivent leur cours naturellement heureux, et qu’aucun malheur ne trouble la prospérité actuelle... »
21 L. Lévy-Bruhl, Ibidem, p. 82 : « Les Marimo, nous dit un autre missionnaire, sont assez fréquemment irrités contre les vivants, et ils envoient des maladies aux gens et au bétail, la sécheresse, la famine et la mort. Il faut alors les apaiser et se concilier leur faveur par des offrandes... Voici la prière qu’adressent les Ba-Nkouma à leurs suikwembo (esprits d’ancêtres) quand ils leur présentent une offrande : ‘Ô vous, nos vieux pères et mères, pourquoi dites-vous que nous vous privons de nourriture ? Voici le bœuf que vous désirez, mangez-le avec nos ancêtres qui sont morts avant et après vous, avec ceux que nous connaissons et ceux que nous ne connaissons pas’ ».
22 Voir : B. Rybakov, Le paganisme des anciens Slaves, Paris, PUF, 1994, 408 p.
23 F. Conte, Les Slaves, Paris, Albin Michel, 1986, 734 p.
24 Ibidem, p. 249.
25 Ibidem, p. 250.
26 E. Weber, « Ibn Fadlân chez les Russes » in Slavica Occitania, n° 8, 1999, p. 318.
27 Les historiens ont des doutes sur l’origine d’Ibn Faldân et selon certains « il n’est pas Arabe. Il est sans doute un client (mawla) attaché au conquérant de l’Égypte Muhammad Ibn Sulaymân qui évinça en 904 la dynastie des Tulunides » (E. Weber, Ibidem, p. 313).
28 E. Weber, Ibidem, p. 315: « Il faut savoir que les auteurs arabes désignent par ce vocable au pluriel, ‘saquâliba’, non seulement les Slaves mais aussi différents peuples disséminés au nord-est de l’Europe, auprès desquels les Arabes se ravitaillaient généralement en ‘esclaves’. ».
29 Le fleuve Atil est la Volga.
30 Ibn Fadlân, « Récit de voyage », in Voyageurs arabes, textes traduits, présentés et annotés par Paule Charles-Dominique, Paris, Gallimard, 1995, p. 58.
31 La boisson fermentée nabîdh est de l’eau-de-vie.
32 Ibn Fadlân, Op. cit.,p. 60.
33 Ibn Fadlân, op. cit.,pp. 62 et 63.
34 Le même rite d’habillement et de confection des habits de mort est pratiqué dans la tradition russe. Voir : I. A. Kremleva, Op. cit., page 1 et 2 : « Les personnes âgées se préparaient à la mort. Les femmes se cousaient un ‘habit de mort’, dans certaines régions, on faisait le cercueil bien avant la mort ou on gardait des planches pour en faire un. [...] Le vêtement funéraire se distingue par une façon particulière, par sa coupe, le tissu, la couleur. On n’habillait pas les morts comme les vivants. [...] On enterrait souvent les femmes avec le vêtement nuptial ou la chemise qu’elles conservaient à cette fin toute leur vie, mais généralement le vêtement ‘de mort’ était cousu à l’avance. ».
35 V. Čajkanović, Stara srpska religija i mitologija, [Religion et mythologie archaïque serbe], Op. cit., p. 109.
36 V. Čajkanović, Studije iz srpske religije i folklora, [Études de la religion et du folklore serbe], Op. cit., 547 p.
37 E. Schied-Tissinier, L’homme grec aux origines de la cité (900-700 av. J.-C.), Paris, Armand Colin, 1999, p. 54 : « En même temps que le corps de Patrocle, en effet, un certain nombre de victimes animales et même humaines sont égorgées, puis déposées sur le bûcher, tout en étant soigneusement séparées du corps du défunt, afin que les ossements ne se mélangent pas. Des moutons et des bœufs d’abord, les animaux qu’on offre d’ordinaire en sacrifice et auxquels Achille prend de la graisse pour en recouvrir le corps de Patrocle. Quatre chevaux ensuite et deux chiens qui appartenaient à Patrocle. Enfin douze jeunes prisonniers troyens qu’Achille égorge lui-même. Contre le bûcher sont également disposées des jarres de miel et d’huile. »
38 En distinguant les différentes étapes dans l’évolution du rite funéraire slave, Rybakov considère que « l’apparition d’un nouveau rite totalement différent, la crémation, coïncide dans le temps avec le développement de l’agriculture et les cultes agraires qui y sont liés, cultes dans lesquels le ciel occupe une place prépondérante [...] Les victimes sacrifiées aux divinités célestes étaient hissées sur un bûcher sacré » (B. Rybakov, op. cit., pp. 288 et 289). Cela montre que l’incinération ainsi que le sacrifice humain étaient connus et pratiqués même aux temps d’origine. Les cérémonies funéraires postérieures décrites par les chroniqueurs médiévaux (Adam de Brême, Helmold), arabes (Al Masudi, Ibn Fadlân) ou même antiques (Hérodote) montrent les survivances du vécu collectif préslave qui a continué à inspirer le comportement rituel des Slaves.
39 V. Čajkanović, Stara srpska religija i mitologija, [Religion et mythologie archaïque serbe], Op. cit., p. 115 : le terme dušni brav signifie le mouton pour l’âme.
40 Voir : J. G. Frazer, Le rameau d’or, Paris, R. Laffont, 1984, 698 p.
41 V. Čajkanović Op. cit., pp. 112 et 139.
42 V. Čajkanović, « Sahranjvanje pod pragom », [L’enterrement sous le seuil de la maison]in Mit i religija u Srba, [Mythe et religion serbe],Belgrade, SKZ, 1973, pp. 100-107.
43 I. A. Kremleva, Op. cit.
44 B. Rybakov, Op. cit., pp. 287 et 286 : « Dans ces conceptions, il n’y a ni purgatoire ni d’élection des morts en justes et en pécheurs, ni attente d’un jugement dernier : telle personne est morte et aussitôt son âme part vers l’iriï, le lointain pays du paradis, quelque part entre le ciel et la terre, un pays peut-être, éclairé par le soleil nocturne. [...] Ce lieu de séjour des âmes au paradis (iriï), lieu d’où viennent les oiseaux migrateurs, a entraîné l’identification des âmes des défunts à des oiseaux. [...] Dans la littérature orale, l’âme est souvent associée à un souffle ou à de la fumée. Il est possible que l’apparition de la crémation à l’époque préslave doive être expliquée en relation avec cette notion de l’âme en tant que substance à part et à demi matérielle. L’envol de l’âme, son transfert vers un paradis lointain d’où viennent au printemps les oiseaux, tout ceci est le résultat de l’élargissement de l’horizon dans les conceptions de l’homme primitif, et le résultat de l’élaboration de la conception géocentrique, déterminant la course du soleil autour de la terre... »
45 Ibn Fadlân, Op. cit., p. 63.
46 L’idée de pouvoir communiquer avec les morts est présente aussi dans la tradition russe : « Beaucoup, dans leurs lamentations, saluaient ‘l’autre monde’ et donnaient de leurs nouvelles à leurs parents défunts » (I. A. Kremleva, Op. cit., p. 3).
47 S. Petrović, « Smrt i pogrebni običaji », [La mort et les rites funéraires], in Mitologija, magija i običaji [Mythologie, magie et coutumes], Niš (Serbie), Prosveta, 2000, pp. 119-176.
48 I. A. Kremleva, Op. cit.
49 Voir : L. Niederle, Op. cit. et J. G. Frazer, oO. cit.
50 On retrouve également ce genre d’ambiance dans la description des funérailles de Patrocle ainsi que dans le culte de Dionysos. Voir le culte de la végétation dans le Rameau d’Or de J. G. Frazer.
51 Š. Kulišić, P. Z. Petrović, N. Pantelić, Op. cit., pp. 104-105.
52 V. Djurić, Antologija srpske naradno poezije, [Antologie de la poésie épique serbe], Belgrade, SKZ, 1969, p. 526.
53 Cette constatation vaut également pour le riche folklore slave, qui se montre comme une source indispensable pour la reconstruction de l’ancienne religion slave. Voir : L. Niederle, Op. cit., p. 128 : « Néanmoins l’appui qui donne au folklore les sources historiques est si fort que nous pouvons reporter la majeure partie de la démonologie slave moderne jusqu’à l’époque païenne en la complétant par des données anciennes. Nous voyons ainsi que la religion d’il y a dix siècles subsiste aujourd’hui encore telle qu’autrefois et, dans l’ensemble, nous sommes en droit de tenir pour anciens et d’origine païenne même des faits dont, par hasard, seulement, nous n’avons pas d’attestation ancienne. »
54 B. Rybakov, Op. cit., p. 291 : « Le récit de la chronique sur la vengeance d’Olga à l’égard de la tribu des Drévlianié est un écho épique des sacrifices humains de masse que l’on accomplissait pour la mort d’un roi (ici d’un prince kiévien). »
55 Š. Kulišić, P. Z. Petrović, N. Pantelić, Op. cit., p. 286.
56 L’importance de cette expérience vécue à l’époque païenne marque l’imaginaire serbe en faisant du carrefour des routes un lieu mythique et particulièrement dangereux. Selon la croyance populaire, les esprits maléfiques (les âmes des suicidés, des noyés ou bien les âmes non baptisées) errent dans les carrefours et il n’est pas prudent de s’y rendre la nuit. Cependant, le carrefour est le lieu où on dépose lors de la commémoration des morts (zadušnice) la nourriture et les boissons pour les défunts. À l’époque où on transportait le mort en traîneau, au retour du cimetière, le rite funéraire demandait de s’arrêter au carrefour et d’y laisser de la nourriture, des boissons et le traîneau qu’on y brûlait parfois. Voir S. Petrović, Mitologija raskršća, [Mythologie du carrefour], Op. cit.
57 En décrivant les rites commémoratifs russes, Kremleva constate que « ces copieux repas prennent leurs racines dans un lointain passé païen, rappelant le rôle du rituel des boissons enivrantes » (Op. cit., p. 4). L’importance de ces boissons enivrantes est confirmée aussi par Ibn Fadlân qui nota qu’une part des biens du riche marchand russe était utilisée pour préparer la boisson fermentée pour la cérémonie. Il rajoute d’ailleurs que « les Rûs s’adonnent à cette boisson, nuit et jour. Parfois l’un d’eux meurt, la coupe à la main » (Op. cit., pp. 60 et 61). Rappelons-nous aussi le rite serbe qui consiste à boire un verre d’eau de vie ou de vin en versant la moitié sur la tombe.
58 Cette coutume de manger à la maison (avant et après l’enterrement ou pendant la garde du mort) existe également à la campagne.