Représentations de la diversité culturelle et de sa complexité puis conception de la beauté dans la nouvelle Au temps d'Anika – Anikina Vremena, d'Ivo Andric

Par Elisabeth Juin
Publication en ligne le 19 avril 2012

Résumé

La complexité structurale et narrative de la nouvelle d'Ivo Andrić écrite en 1933 Au temps d'Anika permet aux lecteurs de mettre à jour d'innombrables problématiques dans de nombreux domaines. La problématique temporelle est couplée à la complexité du narrateur. A la fois porte parole de la collectivité (« on », omniscient (focalisation zéro), et voix d'un des personnages en relation avec Anika (Mihaïlo), le narrateur semble mêler le temps oral et les diverses conceptions et visions inhérentes à ce lieu « reculé » de Bosnie. De manière inévitable, les différentes visions liées non seulement au personnage d'Anika (« peste »; « fléau »; « putain » mais aussi à l'Europe et aux diverses religions s'intègrent à cette nouvelle « à rebours », lui confèrent ainsi plusieurs voix entremêlées et orchestrées de façon à retranscrire le temps de la révolte (liée à celle d'Anika qui tente de s'approprier un temps dans une époque où la femme n'a pas de place mais aussi à celui du peuple qui se rassemble autour d'elle polarisant ainsi toute la bourgade), le temps des consuls (les armées de Napoléon) et surtout le temps de la transgression du divin par le sacré: le temps sacré (lié au conservatisme de la petite bourgade de Višegrad) est brutalement arrêté à cause de l'arrivée tragique d'une femme à la beauté diabolique qui détruit l'autorité spirituelle dans un pays où la question identitaire est, aujourd'hui encore, brûlante. Nous tenterons d'éclairer la lecture de cette nouvelle en basant cette étude sur la question des focalisations culturelles, temporelles et idéologiques.

Strukturalna i pripovedna složenost pripovetke Anikina Vremena Ive Andrića doprinosi otvaranju mnogobrojnih pitanja vezanih za različite aspekte života. Kao prvo, prstenasto-spiralna sruktura pripovetke/romana Anikina Vremena omogućava retrospektivno uranjanje u vreme i prošlost. Prvi vremenski aspekt evocira kraj devetnaestog veka. Vreme dolaska Anike u Višegrad je glavni pokretač vraćanja u prethodne epohe, u vreme Tijane. Na taj način se pokreće složena vremenska stuktura izražena putem sećanja glavnih protagonista. Time se, takodje, pojačava složenost pripovedanja posebno karakteristična za ovo delo srpskog Nobelovca. Pisac se postavlja istovremeno kao zajednički glas (« mi »), sveznajući glas (odsutnost fokalizacije) kao i glas jednog od likova vezanih za Aniku (Mihajlo). Objedinjujući različita unutarnja vremena likova, Andrić uspeva da reflektuje složenu istorijsku i kulturnu stvarnot Višegrada i Bosne.

Mots-Clés

Texte intégral

Introduction

1Le féminin dans le domaine artistique symbolise une source créative, il est le lien entre l’au-delà et l’artiste, un idéal. La femme est à ce titre la projection d’une quête, la recherche de cette idéalité; ainsi la Béatrix de Dante, la  Laure de Pétrarque, ou l'Aurélia de Nerval, figures de l'éternel féminin, personnifient une instance inaccessible, mais nécessaire à l'œuvre et à son accomplissement. Figure de plénitude, ce féminin est associé à la fécondité, personnifiée notamment par le personnage de Jelena, dans la nouvelle d’Andrić, Jelena, žena koje nema. L'inaccessibilité la rend donc paradoxalement féconde. Mais la littérature « fin de siècle », représentée par Huysmans dans À Rebours ou par Wilde dans Salomé, semble faire du féminin non pas une figure de plénitude mais une instance assimilée à la « destructivité »1 par opposition aux périodes antérieures. Un mythe de la femme fatale commence à naître et son archétype se propage: la femme en tant que figure du mystère, qui oscille entre « fascination et répulsion »2 devient mystère et séduction. C’est le cas du personnage d’Anika dans la nouvelle Au temps d’Anika.

2Dans Au temps d'Anika, Andrić a choisi Vichégrad et Dobroun comme espaces de la nouvelle, lieux « reculés » en ce qu'ils présentent un milieu rural confiné « entre deux montagnes » dans le territoire de Bosnie, sous occupation autrichienne quand le récit commence. L’histoire qui prend son origine dans les dernières décennies du XIXe siècle, à partir de laquelle « on remonte » à l'époque d'Anika est menée dans le début du XIXe siècle, dans une Bosnie sous domination ottomane depuis six siècles. Le féminin historique, dans cette œuvre à rebours, transparaît au travers d'une histoire enfouie dans la mémoire des gens, symbole d'une époque, et connue par la transmission orale: on se souvient de ce dont on a entendu parler il y a longtemps, et qui est resté en mémoire parce qu'il est lié au Mal. Aussi son nom est inséparable d'un « temps », et devient donc symbole. Même si la petite histoire semble subjuguer l'Histoire, l’auteur laisse subsister un réseau d'événements connus, tout en l'enfouissant sous le symbole: l'apparition d'une conscience romantique chez Andrić est un de ces symboles. Le féminin central, c'est-à-dire Anika est donc représentant de l'intimisme local, avec ses croyances, superstitions et avec son traditionalisme. Cette femme qui tranche sur le commun des femmes à un moment clé de l'Histoire, et qui paraît provocatrice, rebelle ou folle dans ce microcosme devient le symbole d'un temps de la destruction.

3Comment le microcosme décrit à titre symbolique fait-il de la femme une maladie sans nom ? Comment la femme « racontée » à posteriori devient-elle un mythe, ou comment devient-elle victime de son propre mythe? En quoi ce féminin est-il reconstruit dans sa relation avec l'Histoire?

4La femme est d'abord un souvenir d'époque antérieur au « récit premier »3 selon la dénomination narratologique de Genette, que l'on transmet oralement ou dont on réinvestit la mémoire à partir d'un événement quelconque: la folie d'un homme est à l'origine de la redécouverte de ces temps passés, qui ont eu lieu dans un chronotope assez flou. Cette histoire dont on ne se souvient pas complètement se déroule dans un monde très superstitieux et dans un univers très traditionaliste, c'est ainsi qu'on reconstruit l'image de cette femme. Cependant le souvenir flou raconté a posteriori reconstruit le féminin de cette époque à partir d'une dualité essentiellement tragique: elle est certes à l'origine de la destruction, mais les images utilisées et les références textuelles de l'auteur laissent subsister le portrait d'un fatum. À la fois sorcière et martyre, Anika est dans l'impossibilité de se soustraire à son destin. La transgression fatale du personnage la mène irrémédiablement à sa perte, mais en la plaçant face à l'Histoire et face à Dieu, l'auteur brosse le portrait d'une époque tragique, fatale non seulement pour la femme, mais aussi pour tous les hommes.

1. Une femme souvenir

5Le personnage d'Anika est connu par le biais des « conversations sur les Poroubovitch »4; elle apparaît dans un récit qui fait référence à une époque passée, mais toujours en relation avec le récit premier. Même si les marques de la subjectivité du narrateur à l'intérieur du récit chez Andrić sont presque inexistantes, on peut situer le personnage d'Anika d'après le récit du pope qui sombre dans la folie. En conversant sur ce pope et sur sa différence par rapport à tous les Poroubovitch, le « on » collectif est « remonté » au temps d'Anika. C'est toute la collectivité du village bosniaque de Vichégrad qui se remémore l'histoire de cette femme. Le « temps d'Anika » semble avoir lieu bien avant le récit premier, puisqu'il nous est rapporté parallèlement à « la révolte de la raïa dans le pachalik de Belgrade »5, c'est-à-dire à la première Révolution serbe de 1804. Le féminin n'apparaît pas immédiatement, il semble même conditionné par la voix du collectif.

6Anika est présenté également comme un souvenir mené par le biais de la conversation :

« Finalement, ces souvenirs commencèrent à pâlir en ville également mais avant de sombrer dans l'oubli ils ressuscitèrent d'autres temps, déjà enterrés depuis longtemps. Ainsi dans les conversations sur les Poroubovitch, on était remontés non seulement jusqu'au grand-père de Vouïadine, mais encore jusqu'à son arrière grand-père, le pope Melentiyé, autrefois célèbre à Dobroun et, par lui, on en était venus à l'époque d'Anika. »6.

7Anika naît donc par la voix du souvenir collectif. Cependant, Andrić dote la trace écrite d'un rôle important, laissée par un moutévelia (« chez les Turcs musulmans, un administrateur de fondations pieuses »)7, la Bosnie étant alors sous domination ottomane. Cette trace écrite fait office de mémoire des temps passés :

8« On tombait sur ces lignes: cette même année, une femme, une Valaque (Que Dieu confonde les infidèles!) tourna mal dans la bourgade; elle s'affranchit avec tant d'insolence que le bruit de son inconduite se répandit loin au-delà de notre ville. Bien des hommes allèrent la voir et plus d'un se souilla chez elle. Cette femme avait foulé aux pieds l'autorité et la loi », mais Moula Ibrahim Kuka « donna lecture de ce document devant sa boutique » et « les plus anciens commencèrent à rappeler ce qu'ils avaient entendu dans leur enfance de la bouche des vieillards, c'est ainsi qu'on prit connaissance d'une époque depuis longtemps révolue »8.

9Anika se dévoile aussi comme un souvenir d’une époque et d’un lieu confinés et reculés. Les critiques placent Anikina Vremena dans le genre des « nouvelles chroniques », genre adopté aussi dans bon nombre de ses nouvelles. L'auteur qui choisit souvent la Bosnie comme cadre de ses récits (La chronique de Travnik, Le pont sur la Drina...) semble dans Au temps d'Anika ne pas accorder de place majeure à l'Histoire en dépit du caractère chronique imposé par la critique contemporaine. Dans la nouvelle, le temps de l'histoire est suggéré par la trace écrite laissé par Moula Mehmed, qui relate l'histoire d'Anika, mais c'est avant tout l'histoire de cette bourgade « reculée », cette cité « stagnante », « coincée entre deux montagnes »9 qui intéresse l'auteur. On sait que le récit de la folie du pope Vouïadine eut lieu dans « les années soixante du siècle dernier » et que le temps d'Anika semble dater du début du XIXe siècle en Bosnie alors sous domination ottomane, mais aucun élément ne peut ancrer plus avant le récit dans le temps de l'Histoire événementielle, puisqu'il s'agit avant tout d'une chronique de souvenirs collectifs sur un temps où une femme en « rébellion »10 a perturbé l'ordre de la cité.  On peut noter chez Andrić une allusion à de d'anciennes croyances, servant en partie ce même effet d'atemporalité et d'éloignement par rapport au réalisme: « À côté de cette nouvelle que le diable était né dans une ville allemande, qu'on l'avait enfermé dans une bouteille, car il ne dépassait pas un empan, et que beaucoup de monde venait le voir (...) »11. La trace écrite laissée par le moutevelia témoigne des croyances et superstitions d'époque. Finalement, l'absence de la mention de la Bosnie dans la version originale souligne cet aspect brumeux et insaisissable, on sait seulement que cette histoire eut lieu dans « ce pays ».

10A travers Anika s’exprime un souvenir d’une histoire dont on ne se souvient pas vraiment, mais qu’on recréé. Personne ne se souvenait d'Anika chez Andrić :

« Le souvenir s'est perdu au temps où Anika menait la guerre contre le monde chrétien tout entier, contre les autorités spirituelles et temporelles [...] »12.

11Même si elle est devenue « date repère » pour l'histoire de la bourgade (« on prenait toujours comme date-repère « le temps où Anika faisait loi »13), personne ne sait à quoi renvoie cette époque. Le narrateur, quoi que discret chez Andrić, tente de mettre en lumière le souvenir flou qu'on a de cette femme au moment où l'on en parle: « voici ce qui s'était passé »14. Toutefois la version originale insiste plus fortement sur la forme de cette réminiscence que sur la teneur du souvenir, « како » signifiant « comment ». La volonté de mettre en lumière cette époque qu'on déterre est claire, mais le narrateur adoptant la plupart du temps la focalisation interne se calquant ainsi sur la vision de la collectivité, l'histoire sera conditionnée par cette perception. À cet égard, Anika est un objet toujours vu à partir d'autrui, elle ne sera jamais décrite pour elle-même, en dépit du portrait qu'en fait le narrateur, puisqu'il s'agit d'un portrait narcissique qui marque la prise de conscience de sa propre beauté et de son pouvoir sur les hommes. Stojanović note par ailleurs qu’il n'y a pas de narrateur particulier qui sache exactement les détails et circonstances ni les actants.  À cet égard, peut-être doit-on considérer que le narrateur éclaire le passé, mais toujours dans une focalisation interne, le lecteur assisterait donc à la forme de la réminiscence plus qu'à son contenu.

12Anika porte un souvenir dans un milieu marqué par le conservatisme et la tradition patriarcale.

13Andrić place Vichégrad et Dobroun sous le signe de la tradition: le conservatisme de Melentiyé et l'ordre institué par les autorités ottomanes font de ce lieu un monde très fermé. La Bosnie au XIXè siècle, « très hostile à la modernité »15 représentée par le soulèvement de la raïa dans le pachalik de Belgrade aux environs de 1804 est encore sous le système de la Kasaba, comme le note Nedeljković dans Reflets de l'histoire européenne dans l'œuvre d'Ivo Andrić: « […] la féodalité turque s'y étant prolongée fort avant dans le siècle passé, elle touche au seuil même de notre présent, les événements qui s'y passent, les gens qui y agissent, nous ne les sentons pas séparés de nous par la fosse de l'histoire – bien qu'en même temps nous sentions du premier coup ce qui nous en différencie profondément. Andrić nous fait voir, en chair et en os, des êtres humains immuablement rivés au lopin de terre relativement étroit où ils prennent naissance, à la petite agglomération qui leur permet de gagner leur vie et qui leur dicte les règles de leur conduite journalière, de leur façon de vivre et de mourir, la kasaba. »16.

14A traver le personnage d’Anika se reflète l’histoire de la folie d’une femme. Melentiyé, « autrefois célèbre à Dobrun », représente l'autorité spirituelle suprême et un conservatisme orthodoxe assez net qui se manifeste lors de la veillée de malédiction organisée contre cette femme impure, Anika ne se pliant pas au traditionalisme de Vichégrad comme les autres femmes. Les autorités ottomanes présentes à travers le kaïmekam Hédo admonestent Anika d'arrêter sa « rébellion » en criant à Yelanka « qu'il ne serait plus toléré aucun désordre autour de leur maison ». Dans ce milieu patriarcal où les autorités religieuse et politique cadrent les hommes, les femmes sont sans identité, le temps du féminin est « un temps occulté »17. De même, tout ce qui est étranger est dangereux ou mauvais, ce qu'on peut voir à travers le nom de la mère d'Anika, Vidinka. Anika est connue comme « la fillette de Krénoyelats »18 lorsque le narrateur rapporte son histoire alors qu'elle passe de l'enfance à l'adolescence. La misogynie, même si elle n'apparaît pas clairement dans la nouvelle est cependant affichée lorsque le gazda Petar Filipovats dit à Mihaïlo: « Toi, tu es jeune, mais moi je te dis que les anciens avaient bien raison. Dans chaque femme, disaient-ils, il y un diable qu'il faut tuer soit par le travail, soit pas les accouchements, soit par l'un et l'autre; si la femme s'arrache à l'un et à l'autre, alors il faut la tuer»19.

15La dénomination même des femmes souligne cette absence d'identité: la femme existe à travers le nom de son mari, ainsi « la Krstinica » ou « femme de Krsta » ou « la fillette de Krénoyelats ». Le féminin n'a donc pas de voie ni de voix. La femme est un instrument de perpétuation d'un lignage. La communauté féminine s'insurge aussi contre Anika, qu'elles traitent comme une « peste », la bru Ristitch maudit d'ailleurs Anika parce qu'elle a ensorcelé son mari: « Que Dieu fasse, femme, que tu deviennes folle, qu'on te conduise enchaînée; que Dieu te laisser ronger par la lèpre; puisses-tu en avoir le dégoût de toi-même, appeler la mort sans que la mort veuille de toi »20 Les femmes sont des mégères, elles se reniflent comme deux « fourmis », tandis que les gens de la bourgade se ressemblent comme des moutons. Ces deux métaphores animales soulignent plus encore la différence d'Anika, qui n'est pas mariée et qui vit seule dans la maison de son père. Elle donc « rebelle », car orpheline tout en s'octroyant une identité. En effet, alors qu'au début on désigne la maison dans laquelle elle vit par « la maison de Krénoyelats », on la désigne par « la maison d'Anika » dans le développement de la nouvelle.

16Anika apparaît comme un être impur. Elle sème la folie par sa grande beauté: plus elle se métamorphose, plus elle rend fou. Déjà la forme courte du genre de la nouvelle met en valeur la folie des hommes qui croît au fur et à mesure qu'Anika grandit, d'où un certain aspect violent lié à la concentration formelle.  La folie touche tous les hommes, sauf « ceux du curé » qui s'insurgent contre ce fléau scandaleux. Anika, décrite comme une manipulatrice qui ravage les hommes est une femme toute-puissante que personne ne peut arrêter, ni les puissances séculaires ni les autorités ottomanes: « il fallait attendre la main de Dieu » pour punir celle qui paralyse Vichégrad. La forme de la nouvelle participe de cet effet de brutalité lié aux actes d'Anika, comme le note Daniel Gronojwski: « L'anecdote n'est pas racontée pour elle-même. Elle permet d'exposer un point de vue ou une conception qu'elle illustre de manière implicite »21. En d'autres termes, le caractère omnipotent et ravageur d'Anika ainsi que ses actes destructeurs sont les éléments qui construisent la vision qu'on a de cette femme à l'époque de la narration de son histoire. Son étrangeté physique est elle aussi largement étayée: « on eût dit qu'elle appartenait à une autre ville, à un monde étranger »22 ainsi que son apparente amoralité, qui tendent à faire d'elle non pas une femme mais un monstre. L'archétype de la femme fatale, séducteur et obsédant fait d'elle le centre des préoccupations de la bourgade: elle est devenue en peu de temps l'incarnation du maléfique qu'il faut violemment réprimer. Les malédictions, collectives et personnelles, sont « une manifestation de l'impuissance de la haine » face à cette instance vampirique à laquelle on ne peut attribuer de nom; en effet, Anika croît en beauté tout en apportant la mort et la destruction: « elle ne pensait qu'à faire le mal ». Elle est ainsi connue sous la dénomination « cela » (« tome »).

17La monstruosité et la différence de cette femme est couronnée par un fait: elle n’est pas mère, ce qui accentue, dans cet univers profondément religieux, son caractère inhumain. Elle est donc aussi traitée dans un univers manichéen, occupant Vichégrad alors que Dobroun, lieu du culte et du traditionalisme, ne semble pas être en mesure de rétablir l'ordre instauré depuis des décennies.

2. L’histoire d’une transgression fatale à l’ordre divin

18Anika devient l'innommable, son nom représente un fléau ou un maléfice, aussi elle monopolise Vichégrad, sa maison étant située sur le « maïdan », c'est-à-dire la place publique de la bourgade. « La maison de Krénoyelats » devient un repère spatial pour tous les hommes qui « rampaient vers le maïdan »23, « Autour de la maison d'Anika s'est formé un campement»24. Le texte insiste sur l'aspect dualiste des lieux: tandis que Dobroun, régie par Mélentiyé, représente le lieu de la foi et de l'ordre spirituel, Anika occupe Vichégrad qui devient à partir de ce moment le lieu même de la luxure, elle devient la femme en rébellion qui salit la ville. Sa lettre au curé de Dobroun, Melentiyé, rapportée par la voix des habitants, insiste sur cet aspect dualiste. En effet, après avoir été blâmée par le kaïmekam envoyé par Mélentiyé impuissant face à la débauche organisée par cette femme, Anika fait écrire une lettre au père de Yaksha, fils de Melentiyé « ensorcelé » par la beauté de cette femme: « toi tu es le curé de Dobroun et moi la putain de Vichégrad. Nos deux paroisses sont distinctes et il vaut mieux que tu ne touches pas à ce qui n'est pas à toi »25. L'opposition entre « la putain » et « le curé » est reliée par « la paroisse », Vichégrad devient donc un endroit de foi mais perverti. Anika, cette « femme impure, cet être terrible, sans vergogne et sans raison »26 s'approprie l'autorité politique de Vichégrad, mais aussi spirituelle, à l'instar de Mélentiyé qui lui dirige Dobroun et avait une grande puissance sur la bourgade avant que n'apparaisse Anika. La bourgade était en effet sous l'autorité de Dobroun, dont Mélentiyé, dans toute la généalogie des Poroubovitch, était le plus « célèbre ». Mais alors qu'Anika  « l'enragée » s'approprie non seulement un nom, les hommes et la ville entière mais aussi Yaksha, Melentiyé est envahi par la honte tout en restant impuissant face au pouvoir de cette femme. Elle devient « le pacha et l'évêque »27 de la ville et l'image du pèlerinage « tout ce qui s'appelait homme rampait vers le maïdan » se substitue à l'image de l'omnipotence d'Anika. « on parlait d'elle comme d'une chose honteuse et horrible mais lointaine et presque incroyable »28. Tandis que Dobroun organise des veillées de malédiction contre Anika, Vichégrad a trouvé une nouvelle idole profane, en opposition au lieu sacré de Dobroun, situé sur le Rzav, lieu pur si l'on se réfère à la bénédiction des eaux baptismales du début du texte. Le passage illustrant la nature provocatrice d'Anika est son arrivée à Dobrun la « veille de la Nativité de la Vierge »:

« Ce n'est qu'un peu avant le crépuscule qu'Anika apparut en compagnie de Yélanka. […] cependant il y avait déjà autour d'Anika toute une troupe d'hommes. Les gens du curé furent d'abord reçus avec des rires, ensuite par des jurons. Anika faisait mine de ne pas les voir et de ne pas les entendre. Les chefs de village voulurent s'approcher et les mettre dehors de force mais entre eux et les femmes s'éleva sur-le-champ un rempart de jeunes paysans et citadins, en majorité ivres [...] »29.

19Le passage de cette arrivée triomphale d'Anika dans un lieu sacré et un jour saint dénote son caractère profane: à l'instar d'une nouvelle idole, elle a ses fidèles et se fait protéger des menaces physiques des hommes du curé. La provocation liée à son arrivée lors d'un jour de célébration de la Virginité accentue son image diabolique. Son apparition semble inexpliquée et inexplicable, cependant elle fascine les hommes, qui viennent d'eux-mêmes vénérer cette grande beauté. Peut-être que l'apparition d'Anika est à mettre en relation avec la Théophanie du début du texte, à cette manifestation divine, car elle est divinisée par les hommes qui se battent pour lui appartenir. Elle semble alors, par son portrait, son diabolisme et sa toute puissance,  parée des traits du personnage de La Grande Prostituée de l'Apocalypse.

20Vichégrad est, par opposition à Dobroun, le lieu de la profanation, issue de la prostitution d'Anika, parée des plus beaux atours et chez qui les hommes se « souillent ». Elle apparaît comme la Prostituée Sacrée, qui s'anoblit au fur et à mesure qu'elle sème la folie et qu'elle ensorcelle les hommes. Cette image biblique symbolique souligne l'impuissance des hommes et le caractère apocalyptique de l'arrivée de cette femme dans le monde.

21L'héritage maternel d'Anika se situe à un niveau physique et comportemental. Elle hérite non seulement de l’étrangeté et de la crainte de sa mère mais aussi de sa coiffure: « Sa mère lui enserrait la tête d'une façon spéciale qui lui cachait totalement les cheveux. L'enfant en paraissait encore plus étrange et plus maigre »30. Victime de la perception d'autrui parce qu'elle vient d'une autre ville, la mère d'Anika est connue sous le nom de Vidinka, nom renvoyant à Vidin où le père a purgé une peine de quatre ans au bagne.

22L'analepse sur Tiyana n'a pas la même résonance tragique: son histoire est rapportée par les hommes de la bourgade, et semble donc connue de tous. Néanmoins, Anika reproduit les actes de Tiyana et sa mort semble proche:

«  Dans la boutique du gazda se réunissaient tous ceux qui détestaient véritablement Anika et la condamnaient. Là, après chaque cigarette et chaque conversation, on revenait sur la fille du Meïdan. De fil en aiguille, on ressortait souvent « l'histoire de la Tiyana », dont personne ne se souvenait mais que l'on connaissait d'après les récits des plus vieux. Soixante-dix ans plus tôt, pour le moins, une certaine Tiyana, fille de pâtre, s'était rendue célèbre par sa beauté. Elle avait foulé son honneur aux pieds et enflammé la cité. On dit qu'elle avait, au moment de la grande foire, arrêté tout le commerce, à l'instar d'une peste ou d'une inondation. Kosta (le grec), avait tourné autour d'elle ». Comme Anika, « Elle avait rassemblé autour d'elle […] des hommes de n'importe quelle religion ». Le pope se retira suite au refus de Tiyana, puis  « On apprit qu'il était allé au monastère de Bania, s'était fait moine et qu'il souffrait là-bas. Tous l'avaient oublié. Mais un an plus tard, jour pour jour, alors que Tiyana, à son zénith, avait excédé Dieu autant que les hommes, Kosta réapparut soudain. Le visage mangé par la barbe et les cheveux, tout amaigri, il avait pris un aspect sauvage, vêtu moitié comme un moine […]. Il avait deux pistolets à la ceinture. Il avait fait directement irruption dans la maison de Tiyana,(...) qui se sauva vers le Maïdan, perdant ses babouches, les ducats pendus à son cou et les ornements de ses cheveux. Le moine la rattrapa et la tua. Toute la journée elle resta étendue, pliée en deux, les cheveux défaits, une grande blessure noire sur son gilet de soie bleue. […] « Trois jours plus tard on le retrouva sur la tombe de Tiyana où il s'était tranché la gorge. Le même jeu se poursuivait sur le Maïdan, né d'un hasard malin et du caprice d'une femme, c'est vers cette époque ou à peu près qu'Anika entama sa lutte contre le curé de Dobroun à cause de son fils Yaksha, surnommé le diacre. »31.

23Dans cette analepse, dont la fonction est d'éclairer l'histoire d'un personnage, les éléments similaires se retrouvent dans le temps du féminin: Anika, belle comme la Tiyana, est en rébellion contre toutes les autorités et se refuse à un homme religieux. L'analepse intradiégétique participe à la forme de ce récit à rebours qui confère au féminin une absence de libération: un autre personnage ayant agi bien avant le personnage féminin concerné donne le signe de la mort imminente de la femme qui subit un autre mythe, celui de Tiyana, à partir duquel on interprète son histoire. Le parallèle entre la mort de Tiyana et celle d'Anika est clair: toutes deux meurent punie par la main de Dieu dans les mêmes circonstances. Le signe du châtiment imminent est rapporté par le pluriel. D'où la pluralité du destin: les hommes sont victimes, et d'où la fatalité d’Anika.

24Mais c'est aussi grâce aux signes du narrateur que la fatalité se dessine. En faisant référence à des personnages très connus ou à des figures mythiques de manière subliminale, le narrateur couronne la femme de ce fatum.

3. L’intertextualité comme écho du tragique : Le sang impur

25Après la « première sortie » troublante d'Anika, pour les autres mais surtout pour elle même, le narrateur mène la description de son portrait dans une « pause »32 qui semble faire écho à un chapitre très connu de Nečista Krv, Le sang Impur en version française, de Borislav Stanković, grand classique datant de 1910, lu et étudié dans tous les Balkans. Sofka, héroïne du roman, est une jeune fille qui prend conscience de sa grande beauté dans le chapitre « Sofka émue par sa propre beauté », dont Andrić reprend les motifs avec quelques variations. C'est aussi dans une société patriarcale dans le sud de la Serbie dans la ville de Vranje que le personnage de Sofka est traité. Issu d'une lignée noble qui a perdu ses privilèges après la Révolution, le père de Sofka, Efendi Mita, part à la recherche de divers travaux. Il prend la décision de « vendre » sa fille à un riche propriétaire. Sofka ne renvoie donc pas seulement à un narcissisme du féminin, elle est aussi assimilée à la beauté tragique, elle sera « vendue par son père » à un homme puissant et riche afin que le père de famille déchue ne tombe pas dans la décrépitude et le malheur. Sofka est belle, mais seule, et Andrić en réanime l'aspect de la beauté sacrificielle dans le portrait d'Anika. La pause lors du portrait immédiatement suivie d'une ellipse marque volonté de mettre la lumière sur « la fillette » discrète qui devient la personnification de la beauté. Le narrateur, dans ce passage avec la marque « voici ce qui s'était passé » n'adopte pas uniquement la focalisation interne présente à travers: « les plus anciens commencèrent à se souvenir de ce qu'ils avaient entendu parler ». Anika est le « fléau » de Vichégrad, mais elle est aussi une partie de Sofka: un sacrifice. Cette œuvre classique est très connue du lectorat des Balkans, ce qui permet de souligner le lien entre les deux personnages.

4. A l’image de la collectivité

26Le personnage féminin est traité dans un monde clos sur lui-même et enfermé dans ses propres croyances traditionnelles et religieuses. Le jeu du narrateur avec les multiples références à des images mythiques ou à des personnages connus ainsi que le jeu sur les focalisations et la forme du texte, confèrent à cette femme un aspect éminemment ambigu, elle est à la fois à l'origine du Mal et victime de la perception des hommes. Bien que le personnage évolue dans cet univers brumeux et fermé, qui privilégie l'aspect chronique d'un endroit, l’auteur sème quelques références à l'Histoire qui placent cette femme face à l'histoire collective et nationale. Elle en devient le symbole soit parce qu'elle la personnifie, soit parce qu'elle en devient la victime. Comme le note L. Kovacs dans l'article Le système temporel dans Au temps d'Anika, « L'ancrage dans l'histoire joue un rôle similaire en élargissant la place de l'individu face au destin collectif et aux événements-phénomènes. Sur le même livre de Moula Mehmed sont rapportés « la nouvelle selon laquelle un général chrétien, du nom de Bonaparte, avait traversé la Mésopotamie dans l'intention insensée de faire la guerre au sultan » et la vie et la mort d'Anika. »33. L’Histoire est notée par un représentant de la religion musulmane ce qui amorce une certaine diabolisation des armées de Napoléon, fléau et maladie.

27« L'histoire d'Anika peut se lire comme une sorte de phénoménologie de la haine. », indique Stojanović, auteur de l'article La beauté et la haine. C'est ce qu'on remarque à travers la manifestation de la folie. C'est la cité entière qui est en proie à cette folie, qui se manifeste avant tout par différentes formes haineuses: malédictions, coups de feu et motif du couteau. Le plus haut degré dramatique de cette folie collective est explicité dans le récit, après la fête de la Saint Georges: « depuis lors, pendant un an et demi, elle imagina le mal et l'infortune comme d'autres pensent à leur maison aux enfants ou au pain, semant l'incendie non seulement dans la ville mais encore dans tout le kadibouk de Vichégrad et bien au-delà »34. Le haidouk-diacre Yaksha, quant à lui, succombe et refusera de retourner vers son père à Dobroun, le pope Melentiyé. En proie à cette folie, Yaksha tire un coup de feu en direction du kaïmekam, puis s'isole à son tour. Le motif de la malédiction présent à deux reprises dans le texte dénote le caractère omnipotent d'Anika mais aussi sa faculté de détruire. Les hommes ont donc recours à ce moyen « primitif » de conjurer le sort. Le motif du couteau présent depuis la folie du pope Vouïadine jusqu'à la mort d'Anika accentue ce trait violent, qui plus est lorsque le personnage du « turc éméché », « un Turc Rudo » apparut sous la fenêtre d'Anika, la menaçant de la tuer avec son couteau35, après quoi la voix du collectif « on » rapporte qu'elle aurait dit: « celui qui me tuerait ferait une bonne action » - « Осевапио би се ко би ме убио »36.

28Finalement, l'épisode de la mort d'Anika met un point d'honneur à la violence, on ne sait pas qui l'a tuée, seuls restent le couteau ensanglanté dans le foyer et le corps inanimé d'Anika sur le sol d'où le sang ne s'est pas écoulé.

29Elle a dérogé à l'ordre naturel des choses, tout comme une inondation ou une peste, ou comme un Bonaparte dont les échos de l'arrivée imminente se font de plus en plus menaçants. Le temps d'Anika, plus largement assimilé à celui de la révolte en ce qu'il est rapporté parallèlement à une insurrection dans le pachaluk de Belgrade, place les hommes face à l'Histoire. Anika tend à subjuguer son propre destin et à devenir un destin de la collectivité. Elle paraît donc identifiée au temps des revendications nationalistes et individuelles. Elle est perçue comme une femme diabolique tout comme l'était Napoléon et ses armées, insensée et menaçante pour ce pays de tradition sous le joug ottoman. Mais cette armée diabolique était cependant perçue comme une possible libération par les chrétiens d'Orient, pour les Serbes du pachaluk de Belgrade. De plus les échos de la Révolution française et la pénétration du « désir pour la connaissance »37 laissent à penser que le personnage féminin représente d'une certaine manière la promotion de l'individu, une certaine libération, à la fois séduisante et fatale.

30Le mythe de l'Éternel Retour composant Anikina Vremena participe de la construction du tragique collectif. Yelanka a semé la destruction au XVIIIè siècle, Anika au début du XIXè et Vouïadine a sombré dans la folie jusqu'à l'insurrection de Nevesinje, en 1875. Ce retour éternel de la destruction et de la folie des hommes lié à ce féminin perçu comme meurtrier est à mettre en relation avec Anika, c'est-à-dire avec la fabrication d'une idole. C'est une beauté construite et reconstruite, dont on ne souvient que grâce à la lumière d'un passé qui lui aussi a été interprété de manière erronée. L'allusion au mythe de la Grande Prostituée conférait déjà au personnage d'Anika un ton allégorique, mais les diverses occurrences liées à son omnipotence tendent à marquer les symboles de l'idéologie. Anika rassemble chez elle les hommes de tous âges, de toutes les religions, dont on se moque au début. Mais à la fin on raille ceux qui n'allaient pas chez elle:

« D'abord, on s'y rendait secrètement, la nuit, par des chemins détournés, un à un. On parlait d'elle comme d'une chose honteuse et horrible mais lointaine et presque incroyable. Pourtant, au fur et à mesure que croissaient les conversations, les médisances et les racontars, le mal devenait de plus en plus compréhensible, proche, ordinaire. Au commencement on montrait du doigt et on murmurait contre ceux qui allaient chez elle; à la fin on commença à railler ceux qui n'y allaient pas […] et ceux qui avaient été reçus une fois revenaient toujours aussi, comme s'ils ne pouvaient plus s'arrêter, ils étaient ensorcelés. »38.

31De la même manière, elle croît en beauté au fur et à mesure qu'elle séduit les hommes, en détruisant les familles. Les hommes s'isolent dans la forêt, comme c'est le cas de Mihaïlo et de Yaksha, mais aussi de Kosta à l'époque de Tiyana. Or, les expressions « pobeći u šumu » et « biti u šumi » signifient « gagner le maquis », et par extension « aller au front ». La forme de la nouvelle et le personnage d'Anika symboliseraient alors l'éternel retour du conflit meurtrier, de la guerre, fléau sans fin. À l'instar du personnage d'Anika, l'idéologie se construit seule et grandit en semant le malheur autour d'elle et en attisant la haine d'autrui. Mais c’est grâce à cette idéologie que les hommes de différentes communautés se rassemblent, avant que n’éclatent les conflits. Finalement, ce personnage est à l'image de cette idéologie: malheureuse dans sa popularité et tragique dans sa beauté. « Elle est le sacrifice de sa propre passion »39.

5. Conclusion

32À la fois idole et horreur des hommes du passé, Anika devient martyre de son propre mythe, construit par la mémoire des hommes par le biais d'une perception cloisonnée. Elle en devient le symbole d'un féminin très ambigu, mis en abyme par la structure-même de la nouvelle: on ne se souvient pas de la teneur de cette histoire, mais le narrateur nous donne à voir la manière dont on tente de reconstruire ce passé lié à la destruction. En s'arrogeant paradoxalement les caractères du sacré et en s'appropriant la noblesse dans l'horreur, Anika, femme fatale, diabolique et semeuse de mal, devient néanmoins la personnification de l'idéologie, commune à tous les peuples, à toutes les religions et aussi à toutes les époques. Idéologie qui finit par être victime d'elle-même, parce qu'elle a été construite à partir de pensées inexactes et à partir de souvenirs flous. Les hommes, en voyant en elle une promesse de bonheur, forment un « campement » afin de la contempler sans pour autant qu'elle ne les accueille, ainsi on se souvient de ce qu'elle représente, mais jamais de ce qu'elle dit. C'est un fléau qui arrête le Temps et qui  mène les hommes à leur destruction. La structure de la nouvelle qui renvoie à l'Éternel Retour renferme d'autant plus les hommes dans la fatalité: alors que le signe d'un danger apparaît, on l'assimile immédiatement à un fait passé dont on ne sait que très peu de choses. Anikina Vremena, nouvelle parue pendant l'entre-deux-guerres, paraît alors dessiner le destin des hommes: alors que la première Yougoslavie semble menacée par les diverses idéologies nationalistes d'alors, nazisme, fascisme et par l'arrivée au pouvoir de Staline en URSS, peut-être doit on voir à travers ce mythe de la femme fatale construit à l'intérieur d'une structure qui obéit à la forme de l'Éternel Retour une image très contemporaine. Mais l'expérience de ce passé tragique ne parviendra jamais à peser sur le présent, malgré l'éternel retour du même fléau: la guerre, qui naît aux confins d'une idéologie qui « se construit toute seule ».

338 Ibidem, p. 23: «те исте године, проневаљали се у касаби једна жена, влахиња (Бог нека помете све невернике!), и толико се оте и осили да се њено и неваљаство прочу далеко изван ове наше вароши. Многи су јој мушкарци, и млађи и старији, одлазили, и многа се младеж ту ииспоганила. А била је метнула и власт и закон под ноге а најстарији људи почеше да се сећају онога што су слушали некад у детињству из разговора старих људи; и тако се сазнаде за давно заборављена».

Bibliographie

Andritch, I., Au temps d’Anika, (traduction et présentation d’Anne Yelen), Paris/Lausanne, L’Age d’Homme, Classiques slaves, 1996.

Bataković, T. D., Yougoslavie, Nations, religions, idéologies, Paris/Lausanne, L'Age d'Homme, 1994.

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Radonić, M., О Андрићевој приповијеци "Аникина Времена", « Зов крви, закон љубави и право на слободу ».

Reflets de l'histoire européenne dans l'œuvre d'Ivo Andritch, Actes du Colloque International 31 mai, 1er et 2 juin 1985, sous la direction de D. Nedeljković, Presses universitaires de Nancy, 1987, articles « L'apport d'Ivo Andrić à l'art du roman » et « Le système temporel dans Au Temps d'Anika ».

Андрић, И., Сабрана дела Иве Андрића, књига седма, Београд, 1963.

Стojaнoвић, Д., "Аникина времена" Иве Андрића - « ЛЕПОТА ИМРЖЊА »Пројекат Растко . http://www.rastko.org.yu/

Pour citer ce document

Par Elisabeth Juin, «Représentations de la diversité culturelle et de sa complexité puis conception de la beauté dans la nouvelle Au temps d'Anika – Anikina Vremena, d'Ivo Andric», Revue du Centre Européen d'Etudes Slaves [En ligne], Représentations identitaires et religieuses slaves, Numéro 1, La revue, mis à jour le : 23/11/2021, URL : https://etudesslaves.edel.univ-poitiers.fr:443/etudesslaves/index.php?id=371.

Quelques mots à propos de :  Elisabeth Juin

Elisabeth Juin est étudiante en Master à l’Université de Poitiers où elle a étudié la littérature comparée et les langues slaves, le serbo-croate notamment, avec le russe et le polonais. S’intéressant de près aux cultures slaves, serbe en particulier, elle a mené des recherches sur le féminin et sa représentation dans les romans Anikina Vremena (Au temps d’Anika) d’Ivo Andrić et dans L’Ensorcelée, de Jules Barbey d’Aurevilly au cours de son Master en Littérature et Arts. Elle a participé à plusi ...