Imaginaire de l’avant-garde et identité collective dans l’art d’Europe Centrale et de l’Est

Par Geneviève Cloutier
Publication en ligne le 23 juin 2012

Résumé

The subject of this paper is inspired by the (pseudo-historiographical) work of the Slovenian artist collective IRWIN in its East Art Map project, where a fictional “retro-avant-gardist” current is presented as playing a central role in the recent history of art in the former communist countries of Europe. While IRWIN’s use of the concept of “retro-avant-garde” is part of their effort to construct a collective identity for Central and Eastern European artists, this paper, which examines several artistic practices that borrow from the legacy of the historical avant-garde in this part of the world, reflects on the potential of the concept of “retro-avant-garde” beyond the frame of IRWIN’s controversial narrative.

Cet article prend pour point de départ les activités du collectif slovène IRWIN qui, dans son projet East Art Map, fait jouer un rôle clé à un courant « rétro-avant-gardiste » qu’il identifie comme parcourant l’histoire récente de l’art des anciens pays communistes d’Europe. Soulignant comment l’emploi du concept de rétro-avant-garde s’ancre dans une entreprise de construction d’une identité collective fondée sur l’héritage de l’avant-garde historique, nous nous interrogeons sur sa « récupérabilité » à l’extérieur du cadre de la vision du monde de IRWIN, et ce à travers un bref examen de diverses pratiques d’emprunt à l’héritage de l’avant-garde dans l’art contemporain d’Europe Centrale et de l’Est.

Mots-Clés

Texte intégral

1. Introduction : IRWIN et le projet East Art Map

1L’art produit depuis 1945 dans ce qu’on a appelé l’« Europe de l’Est » possède-t-il une identité propre ? Une cohérence interne qui le distinguerait de ce qui se fait à l’Ouest ? Cette question, qui tend à refaire surface à l’occasion depuis la disparition du rideau de fer, entraîne inévitablement à sa suite d’autres questions. Par exemple, est-il encore pertinent, en cette ère de mondialisation, de penser l’art selon des critères géographiques ? Et surtout, penser un art « de l’Est », n’est-ce pas entretenir une frontière honnie qui n’est plus et qui n’a plus lieu d’être ?

2Parmi les entreprises historiographiques récentes fondées sur le présupposé qu’il existerait un art propre à l’Est, la plus ambitieuse et aussi la plus polémique est sans doute le projet East Art Map, du collectif de peintres slovènes IRWIN. Avec ce projet, qui fut inauguré en 2001 et qui mena à la publication d’une monographie de plus de 500 pages en 20061, IRWIN, avec la collaboration d’une équipe d’artistes, de critiques d’art et de conservateurs, a entrepris de réécrire l’histoire récente de l’art des anciens pays communistes d’Europe en reliant entre eux, au sein de diverses « constellations » correspondant à autant de courants réels ou imaginés, ses principaux acteurs.

3Dans leurs prises de parole et dans leurs textes de présentation, les membres de IRWIN ne dissimulent aucunement la dimension politique de leur entreprise. Le projet East Art Map vise précisément à s’inscrire en faux contre le discours « normalisateur » qui soutient que l’art des anciens pays communistes d’Europe, après quelques décennies d’errance imposées par le totalitarisme, aurait maintenant réintégré, naturellement et sans douleur, le cours de l’histoire mondiale. Pour les membres de IRWIN, l’histoire particulière de l’Europe de l’Est doit être considérée comme un aspect constitutif de l’identité des artistes qui l’ont vécue, et sa nature traumatique même est cause de ce qu’il faut la confronter directement (et non pas feindre de l’ignorer) si on veut éviter de voir se répéter les erreurs du passé.

4Il va de soi qu’une telle prise de position n’est pas pour plaire à tous, d’autant plus que la balance, ces dernières années, penche très nettement du côté d’une conception mondialisée de l’art contemporain. Récemment, à l’occasion de la présentation, au Centre Pompidou, de l’exposition Les Promesses du passé, consacrée à l’art contemporain de l’ex-Europe de l’Est, l’historienne de l’art Nena Dimitrijević a pris la plume dans la revue Art Press pour dénoncer, entre autres choses, ce qu’elle a dit considérer comme du « révisionnisme historique » de la part des membres du groupe IRWIN, qualifiés par elle d’« historiens amateurs » manipulant l’histoire de l’art dans des buts d’auto-promotion2. La place démesurée occupée dans le projet East Art Map par les différentes branches du tentaculaire collectif NSK (Neue slowenische Kunst, dont IRWIN fait lui-même partie) peut en effet faire sourciller. On a aussi remis en question le fait que cette initiative de définir un art propre à l’Est soit venue d’artistes originaires de l’ex-Yougoslavie, un pays dont l’expérience historique est sensiblement distincte de celle de ses voisins. Il est vrai qu’en tant qu’entreprise historiographique, le projet East Art Map comporte de nombreuses zones d’ombre. La question est toutefois de savoir s’il est bien pertinent de l’aborder ainsi. Sans doute en effet ne faut-il pas prendre ce projet comme un portrait fidèle de l’histoire de l’art dans l’Est de l’Europe, mais bien, d’abord et avant tout, comme une initiative artistique. Ce faisant, rien ne nous empêche de reconnaître que ses auteurs apportent un éclairage intéressant, et souvent même pertinent, sur ce qui leur sert de matériau.

2. East Art Map et le concept de rétro-avant-garde

5Une caractéristique particulièrement digne d’intérêt du portrait de l’art est-européen3 peint par IRWIN dans East Art Map est la place tout à fait singulière qu’y occupe l’héritage des avant-gardes historiques, et ce principalement à travers l’identification d’un courant « rétro-avant-gardiste » qui, de l’avis des auteurs, parcourrait l’œuvre d’un nombre significatif d’artistes dans cette partie du monde. Une œuvre de IRWIN datée 1997-2005, l’installation Retroavantgarde, qui existe en plus d’une version, résume schématiquement la composition de ce courant tel qu’imaginé par le collectif slovène. L’installation, qui prend la forme d’un grand tableau, montre une sorte de ligne du temps s’étirant de 1920 à 2000, quelques noms d’artistes disposés selon la période de l’histoire à laquelle ils sont considérés appartenir et reliés entre eux par quelques traits, ainsi que des reproductions de leurs tableaux, qui ont tous pour point commun de renvoyer à l’héritage des avant-gardes historiques – et tout particulièrement à celui de Kasimir Malevitch. C’est ainsi qu’en bas complètement de l’image, dans ce qui semble être la version la plus complète de l’œuvre4, on retrouve l’avant-garde historique, avec le mouvement zénithiste et les revues Tank et Der Sturm, placés plus ou moins au niveau de l’année 1920. On remonte ensuite vers les années 50, 60 et 70 avec les œuvres des artistes Mangelos, Mladen Stilinović et Braco Dimitrijević, ce qui surprend un peu dans la mesure où Stilinović et Dimitrijević sont encore actifs aujourd’hui. Toujours est-il que Stilinović est représenté par son projet de 1980 Exploitation des morts, qui reprend dans une perspective ironique le langage visuel de l’avant-garde russe, tandis que le nom de Dimitrijević est associé à l’un de ses nombreux Triptyques post-historiques, qui combinent l’original d’un tableau – en l’occurrence, un tableau de Malevitch –, un fruit et un objet d’usage courant. Vers le sommet de l’image, on arrive aux portes de l’époque contemporaine, avec les collectifs IRWIN (qui d’autre ?), Laibach Kunst et la troupe de théâtre des Sœurs de Scipion Nasice : tous trois des entités membres de NSK, et dont les noms sont reliés entre eux de manière à figurer les trois pointes d’un triangle. On retrouve aussi dans la même zone un mystérieux personnage s’identifiant comme « Kasimir Malevitch », qui s’est fait connaître en organisant en 1985, dans un appartement de Belgrade, une reproduction à l’identique de l’accrochage des toiles de Malevitch lors de la Dernière exposition futuriste 0,10.

6On remarquera qu’à l’exception du journal Der Sturm, tous les noms d’artistes ou de mouvements mentionnés dans cette installation appartiennent à l’histoire de l’art de l’ex-Yougoslavie, ce qui ne manque pas d’étonner dans la mesure où IRWIN cherche à donner une portée « pan-est-européenne » au concept de rétro-avant-garde5. Par ailleurs, la surreprésentation des membres du collectif NSK, déjà observable dans East Art Map, y devient particulièrement frappante. Celle-ci s’explique toutefois assez facilement par le fait le concept de rétro-avant-garde, créé au début des années 1990, a d’abord été adopté par IRWIN et NSK pour décrire leurs propres pratiques6. Dans un tel contexte, ce qu’il est surtout intéressant de noter, en fait, c’est que les membres de IRWIN aient jugé bon d’inclure d’autres artistes au sein de « leur » courant – des artistes qui, pour leur part, ne s’en sont jamais réclamés ouvertement.

7Qu’est-ce donc qui caractérise la rétro-avant-garde, au-delà de la tendance de ses représentants à se référer d’une manière ou d’une autre, dans leurs œuvres, à la production des avant-gardes historiques ? Au fil des années, plusieurs définitions en ont été données par les artistes et les théoriciens associés à NSK. Parfois, la rétro-avant-garde a été assimilée à un principe ou une « méthode de travail », le « rétro-principe », qui a été défini comme « un mouvement paradoxal vers l’avant, dans le futur, qui a lieu exclusivement en référence au passé7 ». En d’autres mots, les œuvres créées en vertu du « rétro-principe » se distinguent en ce qu’elles adoptent pour seul langage visuel celui de l’art du passé – et celui de l’avant-garde au premier chef –, et ce non pas dans le but de remettre le passé à l’avant-plan, mais bien plutôt dans celui de faire ressortir le futur que ce passé contient en germe.

8La rétro-avant-garde a aussi été définie en termes psychanalytiques, comme une tentative de guérir les traumatismes du passé en revenant à l’héritage de l’avant-garde historique8. Selon cette manière de voir, cette avant-garde, qui fut contemporaine de la révolution bolchévique et qui s’avéra souvent une complice naïve des représentants du nouveau pouvoir communiste (avant d’en devenir elle-même la victime), est intimement, quoi qu’involontairement, liée aux événements traumatisants qui ont marqué l’histoire du vingtième siècle en Europe de l’Est. Revisiter son héritage serait donc un moyen, pour les artistes des générations plus récentes, de régler leurs comptes avec cette partie de l’histoire.

9En guise d’illustration à cette seconde définition de la rétro-avant-garde, on peut penser à la performance Black Square on Red Square, de IRWIN, qui eut lieu à Moscou en 1992. L’expérience, typiquement rétro-avant-gardiste, consistait à déployer, au centre de la Place Rouge, une toile noire carrée de quelque 22 mètres de côté évoquant le Carré noir sur fond blanc de Malevitch. Sans chercher à livrer ici une interprétation approfondie de cette performance, à laquelle tant le lieu et le moment choisis pour sa réalisation que l’œuvre citée et l’origine des protagonistes confèrent une dimension symbolique incontestable, on notera à quel point celle-ci incarne bien l’ambivalence à l’égard de l’héritage de l’avant-garde contenue dans le concept de rétro-avant-garde. En effet, on se demande ce qui ressort le plus nettement de cette performance : le fait que le Carré noir, symbole par excellence de l’avant-garde russe, s’y voie associé avec un lieu qui était encore perçu, à l’époque, comme un symbole fort de l’impérialisme soviétique, ou l’acte d’appropriation d’une icône de l’art moderne accompli par IRWIN ?

10Finalement, et c’est là que le concept de rétro-avant-garde prend son sens le plus vaste, celui-ci a également été employé par les membres de IRWIN comme un quasi-synonyme de la notion d’« art moderne d’Europe de l’Est ». Dans le manifeste « The Ear Behind the Painting », IRWIN et Eda Čufer présentent en effet la rétro-avant-garde comme étant le fil conducteur d’un récit parallèle à celui du modernisme « tout court » qui, depuis Alfred Barr Jr., aurait informé l’histoire de l’art du vingtième siècle9, l’installation Retroavantgarde et le projet East Art Map faisant d’ailleurs directement référence au célèbre diagramme, sorte d’arbre généalogique de l’art moderne, qui illustre le livre Le Cubisme et l’art abstrait de Barr. Cette dernière définition de la rétro-avant-garde, qui fait de celle-ci, non plus un simple sous-courant, mais le courant dominant dans l’art de la moitié Est de l’Europe au vingtième siècle, est, pour le moins, difficile à avaler telle quelle. Ses créateurs ne sont pas pour l’ignorer, mais, tout en reconnaissant que leur récit sur la rétro-avant-garde est une fiction, ce qu’ils souhaitent mettre en relief est le caractère fictionnel de tout le récit de l’histoire de l’art moderne, avec sa prétention à l’universalité qui ne s’appuie pourtant que sur la réalité de l’art occidental10.

3. Le concept de rétro-avant-garde : le reflet d’une tendance réelle ?

11En somme, si la rétro-avant-garde, par l’entremise de IRWIN, cherche parfois à se faire passer pour une nouvelle catégorie historiographique, elle est surtout un concept employé par le collectif de peintres et par les membres de NSK pour rendre compte de leurs propres pratiques artistiques et de leur interprétation polémique de l’histoire de l’art. Cependant, elle est aussi – et c’est là l’idée que j’aimerais défendre dans la suite de ce texte – porteuse d’une certaine vérité concernant le développement de l’art est-européen d’après-guerre.

12Le retour critique et créatif à la production des avant-gardes historiques qui est caractéristique de la rétro-avant-garde telle que définie par IRWIN et NSK prend en effet différentes formes, et joue un rôle étonnamment important, dans l’art contemporain des anciens pays communistes d’Europe. L’exploration des « ruines » du modernisme, le réinvestissement des idées utopistes tombées en désuétude et le travail de citation, de récupération ou de détournement d’œuvres emblématiques des avant-gardes historiques y sont toutes des pratiques communes, et ce depuis quelques décennies déjà – qu’on les qualifie de rétro- ou de post-avant-gardistes, de rétro- ou de post-utopistes, de néo-quoi que ce soit ou de « off-modernes », pour reprendre quelques-unes des étiquettes qui leur ont été accolées ces dernières années. En Russie, par exemple, les artistes associés au courant du Sots Art pigent depuis les années 70 dans le fonds iconographique de l’avant-garde russe, dont ils se servent principalement pour le détourner et en faire la critique, en faisant ressortir les liens (réels ou supposés) entre avant-garde et totalitarisme. Toujours en Russie, on ne compte plus les œuvres qui font référence, notamment, au Carré noir sur fond blanc de Malevitch. La « récupération11 » de ce tableau est presque devenue là-bas un genre en soi, et des expositions entières y ont été consacrées. Ces œuvres de récupération du Carré noir se résument parfois à de simples clins-d’œil ou jeux formalistes, esthétiquement plaisants mais pauvres en significations, mais elles sont souvent (comme pouvait le suggérer la performance Black Square on Red Square de IRWIN) porteuses d’un jugement rétrospectif sur l’avant-garde. Cela devient particulièrement évident lorsque le Carré se voit transformé en code-barres, ou rempli de pétrole brut, pour citer deux exemples d’œuvres réelles12.

13Un examen même rapide de la vaste production d’œuvres de récupération du Carré noir depuis les années soixante permet d’ailleurs de constater à quel point, au cours de ces quelques décennies, les attitudes à l’égard de l’héritage de l’avant-garde ont varié13. La critique acerbe du Sots Art, qui avait été précédée d’une période dominée plutôt par le désir d’émulation de l’avant-garde, a été suivie par une phase d’« esthétisation » de celle-ci qui, dans une certaine mesure, se poursuit jusqu’à aujourd’hui, mais davantage à l’Ouest qu’à l’Est. Cette tendance à réduire l’avant-garde à ses seules caractéristiques esthétiques témoigne d’une certaine indifférence des artistes à l’égard des fondements du projet avant-gardiste et contribue à banaliser celui-ci aux yeux du public. Ces dernières années, toutefois, on voit aussi apparaître dans le paysage artistique est-européen une approche nouvelle de l’héritage de l’avant-garde historique, qui n’est pas ouvertement critique ou politique mais bien plutôt, disons, poétique, et qui va au-delà de la simple récupération « esthétisante ». C’est à ce phénomène, révélateur à sa manière du rapport particulier que les artistes des anciens pays communistes d’Europe entretiennent encore aujourd’hui avec l’héritage de l’avant-garde, que sera consacrée la suite de cet article.

14Ce qui caractérise cette approche nouvelle et la différencie de celle du Sots Art, par exemple, c’est une volonté d’investir réellement l’héritage des avant-gardes historiques pour tirer quelque chose de leurs idées restées non exploitées. Cette tendance a été théorisée, notamment, par Inke Arns, qui a identifié, dans la réception de l’avant-garde par les artistes est-européens depuis les années 1990, un changement de paradigme se traduisant par le passage d’une attitude généralement ambivalente à l’égard de celle-ci (incarnée selon elle dans les œuvres rétro-avant-gardistes de NSK) à une volonté de revenir à la pensée utopiste, devenue à nouveau un objet de fascination dans ce qu’elle appelle le rétro-utopisme14. Elle a également été mise de l’avant de diverses manières lors de la récente exposition Les Promesses du passé, qui mérite qu’on s’y attarde un peu ici. Dès le texte introductif du catalogue de cette exposition, en effet, on nous dit que le « retour à l’utopie inachevée du modernisme » est « un phénomène caractéristique de l’Europe de l’Est », où nombreuses seraient « les tentatives d’écrire la suite de ce projet15 ». En fait, cette idée selon laquelle les artistes est-européens d’aujourd’hui se rejoindraient dans leur manière d’aborder l’héritage moderniste comme un projet à compléter ressort comme la ligne directrice de toute l’exposition, bien que celle-ci ait été présentée essentiellement comme une exposition rétrospective cherchant à « met[tre] en exergue le travail d'artistes parmi les plus emblématiques de l'ancienne Europe de l'Est en soulignant leur influence sur la scène artistique internationale16 ». Le titre Les Promesses du passé, cependant, contenait déjà cette idée, puisque, dans les mots de la co-commissaire Christine Macel, il renvoie au texte de Walter Benjamin Sur le concept d’histoire, et à cette théorie selon laquelle l’histoire serait un « processus dans lequel certains événements peuvent se figer, puis être réactivés dans le présent afin d’accomplir leurs promesses »17.

15Parmi les artistes sélectionnés pour Les Promesses du passé dont l’œuvre illustre le mieux cette conception de l’art est-européen, on retient les noms de la Polonaise Monika Sosnowska, dont la notice biographique indique qu’elle « s’intéresse aux différentes incarnations du modernisme, à l’architecture qui sous-tend une utopie, une vision ou simplement un projet plus vaste18 », et de la Géorgienne Thea Djordjadze, dont l’œuvre explore « l’héritage du mouvement moderne dans la société contemporaine19 ». On retient aussi ceux du Croate David Maljkovic, vidéaste et photographe, dont l’œuvre a pour sujet de prédilection « les vestiges architecturaux des temps utopistes – ruines modernes qui doivent être réactivées et recontextualisées pour les générations présentes et futures20 », de l’artiste d’origine kazakh Alexander Ugay, dont les films ont été tournés avec du matériel de l’époque soviétique, et – toujours dans le domaine de la vidéo d’art – de Deimantas Narkevičius, dont les films, dans les mots de Boris Buden, « relèvent de la mémoire ou de la commémoration du modernisme21 ». IRWIN est également du nombre avec l’installation Retroavantgarde, tout comme l’artiste Edi Rama, qui, en tant que maire de Tirana, a entrepris de faire repeindre en couleurs vives les façades grises des immeubles du centre de sa ville. Sur son entreprise, Christine Macel et Joanna Mytkowska écrivent : « Se basant sur la vision moderniste, il fit preuve d’une conviction fortement enracinée en Europe de l’Est : que le rôle de l’art est de changer et d’améliorer le monde22 ».

16Évidemment, la liste des artistes contemporains qui réinvestissent de façon créative l’héritage en ruines du modernisme est loin de s’arrêter au contenu de cette exposition. Sans prétendre à l’exhaustivité et sans vouloir transformer cet article en une interminable suite de noms et de titres d’œuvres, mais pour continuer à montrer l’importance de cette tendance, j’y ajouterais le nom de la troupe de théâtre slovène Cabinet cosmocinétique Noordung, qui a succédé à la troupe des Sœurs de Scipion Nasice en tant que branche théâtrale de NSK. Les expérimentations théâtrales en apesanteur du collectif, qui prétend « poursuivre le projet suprématiste d’un art libéré de la gravité23 », lui ont valu d’être identifié par Inke Arns comme l’un des principaux représentants du rétro-utopisme, avec les artistes Vadim Fiškin et Marko Peljhan. Je mentionnerais également le projet NSK State in Time, de NSK : un état conceptuel sans territoire physique, mais avec ses propres insignes, des ambassades et des consulats temporaires habilités à émettre des visas et des passeports à ceux qui en font la demande. Tout comme les expérimentations théâtrales du Cabinet cosmocinétique Noordung, le NSK State in Time, en tant qu’œuvre qui vise à s’élever au-dessus des contingences terrestres, prétend poursuivre à sa manière le projet suprématiste de Malevitch24. Cependant, s’il y a un parallèle à faire entre le projet NSK State et l’avant-garde historique, c’est bien d’abord et avant tout vers l’œuvre du poète russe Velimir Khlebnikov qu’il faut se tourner, lui qui en 1916, dans un texte intitulé « La trompette des martiens », formulait déjà cette idée d’un état ancré dans le temps plutôt que dans l’espace. Enfin, pour aller sur un terrain un peu moins connu, il me semble pertinent d’évoquer le projet « Reconstruction » du collectif de compositeurs russes Structural Resistance (Soprotivlenie materiala), qui accomplit presque littéralement le projet de compléter l’expérience moderniste, puisqu’il se présente comme une tentative de « reconstruire » musicalement certaines des œuvres perdues ou utopiques de l’avant-garde, comme le Monument à la Troisième Internationale  de Vladimir Tatline et les « villes volantes » de l’architecte Georgij Krutikov25.

17Sur un plan plus théorique, on notera que la série des « Off-modern Manifestoes », de l’artiste et comparatiste américaine d’origine russe Svetlana Boym, vont dans le même sens que les œuvres et les projets qui viennent d’être mentionnés. Ce que Boym propose, dans ses manifestes (dont on peut avoir une idée du contenu dans un article des Promesses du passé26), c’est une nouvelle approche de l’histoire, une approche « off-moderne », qu’elle présente à la fois comme une alternative et comme une antithèse à tous les « post », « avant » et « néo » de notre époque, mais qui prend sa source dans les expérimentations modernistes du début du vingtième siècle. Définissant celle-ci comme « un détour du côté du potentiel inexploré du projet moderniste », Boym affirme qu’elle se donne pour but de « recouvre[r] des passés imprévus et [de] s’aventure[r] dans les allées secondaires de l’histoire moderne, dans la marge d’erreur des grands récits philosophiques, économiques et technologiques de la modernisation et du progrès », s’ouvrant « sur la modernité du “que serait-il arrivé si... ?” plutôt que sur la modernisation telle qu’elle a eu lieu27 ». Bien que Boym ne cite pas vraiment d’exemples d’œuvres off-modernes (à l’exception des siennes propres) dans ses manifestes, on ne pourrait mieux décrire que dans ses termes l’itinéraire suivi par les artistes dont il vient d’être question ici.

4. Un imaginaire de l’avant-garde

18La vitalité de l’imaginaire de l’avant-garde dans la culture est-européenne actuelle est un phénomène d’autant plus fascinant à observer que l’idée selon laquelle l’avant-garde elle-même serait devenue une voie sans issue depuis la fin de l’âge d’or des avant-gardes historiques semble depuis longtemps faire consensus dans le monde de l’art. Tout indique que si l’avant-garde est morte, son « spectre28 », lui, continue de hanter les esprits. Cependant, peut-on se demander, cette persistance de l’avant-garde dans l’imaginaire collectif peut-elle vraiment être considérée comme une spécificité est-européenne ? Le retour à l’héritage de l’avant-garde n’est-il pas plutôt une tendance observable mondialement ? Si on se fie à la profusion de propositions « néo-futuristes » ou « néo-dada » qui surgissent régulièrement sur la scène artistique des grandes et moins grandes villes du monde, il y a tout lieu de dire, en effet, que la tendance est répandue, qu’elle ne se limite pas à une seule zone géographique. En revanche, on peut affirmer sans craindre d’exagérer que l’ampleur du phénomène est sans équivalent où que ce soit ailleurs dans le monde. Nulle part ailleurs que dans les anciens pays communistes d’Europe l’héritage de l’avant-garde ne réunit des artistes d’horizons aussi divers, comme si le retour sur cette production était un passage obligé. Et c’est bien en cela que l’on peut dire que IRWIN, avec sa manière de placer l’héritage de l’avant-garde au cœur de la production artistique est-européenne par l’entremise de sa notion de « rétro-avant-garde », a mis en relief un aspect fondamental de l’art est-européen.

19Comment peut-on expliquer cette particularité est-européenne ? Sans doute, le fait que l’apogée de l’avant-garde artistique ait coïncidé avec un moment de l’histoire qui eut des répercussions dramatiques pour cette partie du monde, et qui est donc porteur d’une lourde charge émotive, peut être avancé comme une première piste d’explication. On peut aussi souligner l’importance de l’avant-garde russe au sein de l’avant-garde européenne, le fait que celle-ci mobilisa de nombreux artistes originaires des autres pays est-européens et qu’elle fut créatrice de symboles exceptionnellement forts et facilement « réinvestissables », comme le Carré noir de Malevitch. À l’extérieur de la Russie et du territoire de l’ex-URSS, cette avant-garde peut certes encore susciter des réactions mitigées dans sa manière de renvoyer au souvenir de l’impérialisme soviétique, mais, comme en témoigne éloquemment l’installation Black Square on Red Square, cela ne diminue en rien l’intérêt créatif qu’elle éveille – bien au contraire.

20La question du poids relatif qu’occupe l’héritage de l’avant-garde dans la production artistique est-européenne n’est donc pas la seule chose qui distingue celle-ci du reste du monde dans son rapport à cet héritage. L’avant-garde, en Europe de l’Est, n’est pas un matériau comme un autre, comme cela peut être le cas ailleurs. Si on ne saurait nier que certains artistes et publicitaires ont parfois voulu la réduire à quelques images-clés et techniques facilement reproductibles, leur approche demeure relativement marginale au vu du tableau d’ensemble des pratiques de « récupération » de l’avant-garde dans cette partie du monde. En général, l’avant-garde est plutôt perçue là-bas comme un matériau lourdement chargé, et cela transparaît forcément jusque dans l’approche qu’en ont les artistes. À la lumière des œuvres dont il a été brièvement question jusqu’à présent, on peut avancer que cette approche se distingue par sa dimension éthique.

21Il a été soutenu ici que, ces dernières années, la tendance dominante dans l’approche de l’héritage de l’avant-garde consistait à tenter de reprendre les projets abandonnés de celle-ci. Il n’est peut-être pas superflu de rappeler que cet état d’inachèvement dans lequel ont été laissés de nombreux projets de l’avant-garde historique, s’il fut parfois la conséquence logique d’un manque de réalisme ou d’un excès d’imagination, fut souvent aussi le fait du contexte politique, l’aventure de l’avant-garde en Union Soviétique ayant été, comme on le sait trop bien, interrompue de force sous Staline. L’avant-garde, en tant que projet à compléter, est donc aussi, par le fait même, un projet aux résonnances tragiques. En revisitant ce projet, en réécrivant (pour ainsi dire) l’histoire, les artistes est-européens s’attribuent de facto une tâche dont les implications éthiques sont considérables : celle de corriger, à leur manière, certaines erreurs du passé.

22La réécriture de l’histoire à laquelle s’engagent, à divers degrés, tous les artistes qui revisitent l’avant-garde, ne se limite toutefois pas à cette dimension rétrospective ; elle est généralement porteuse, également, d’un discours sur le présent. Avec IRWIN et le projet East Art Map, nous avons vu un exemple particulièrement avancé d’une pratique relativement courante, où le retour sur l’héritage de l’avant-garde est intrinsèquement lié à une entreprise d’exploration de récits historiques « alternatifs » visant à remettre en question les principes qui gouvernent notre façon de voir le monde. Ainsi, si la « rétro-avant-garde » se veut une approche parallèle de l’histoire de l’art, tout comme, sur un autre mode toutefois, le concept de « post-histoire » défendu par Braco Dimitrijević depuis aussi tôt que les années soixante-dix29, tandis que le « off-moderne » de Boym se présente pour sa part comme une alternative à l’immobilisme post-moderne, toutes ces propositions se rejoignent dans leur façon d’appeler à revoir le portrait que nous nous faisons du monde30.

23Il est particulièrement intéressant de constater, comme le fait Jan Verwoert dans le catalogue des Promesses du passé, que les artistes mus par cette volonté, pour reprendre ses termes, de « manifester d’autres conditions de l’expérience historique » par le biais de l’art, réalisent ce faisant « les implications de certaines intuitions modernes radicales », dont l’une est « qu’une œuvre d’art peut changer notre manière de voir les choses – et, par conséquent, transformer les conditions de notre expérience – en nous offrant un point de vue conceptuel différent depuis lequel appréhender notre environnement31 ». Autrement dit, les artistes qui se tournent aujourd’hui vers l’héritage de l’avant-garde historique ne font pas que se servir de celui-ci comme matériau : ils poursuivent également un projet qui, jusque dans ses fondements philosophiques, s’inscrit dans la lignée de celui de l’avant-garde.

24En somme, la dimension éthique du retour à l’avant-garde, dans l’art d’Europe de l’Est, est double. D’une part, celui-ci répond à l’impératif moral de « rendre hommage32 » à ceux dont les rêves ont été brisés par l’Histoire, et à ces rêves eux-mêmes. D’autre part, et pour revenir à une citation des commissaires des Promesses du passé déjà évoquée ici, cette dimension éthique peut être ramenée à cette idée, « fortement enracinée en Europe de l’Est », en vertu de laquelle « le rôle de l’art est de changer et d’améliorer le monde33» – une idée qui, d’ailleurs, a sans doute atteint son point culminant avec l’avant-garde historique et ses grands projets utopistes. Et c’est peut-être là aussi que réside, en partie, la source de l’attirance particulière des artistes d’Europe de l’Est pour son héritage.

25Je conclurai toutefois en prenant la peine de préciser qu’il n’est pas pour autant question, pour les artistes qui, aujourd’hui, se tournent vers l’avant-garde, de chercher à revenir à un passé prétendument plus confortable, ni de relancer l’esprit de l’utopie tel qu’il existait dans les années vingt. Ces artistes dont je viens de parler brièvement ne feignent pas d’ignorer les leçons de l’histoire, ils sont même, en général, particulièrement lucides à l’égard du monde dans lequel ils vivent, et ce bien que leur approche de l’héritage de l’avant-garde soit parfois teintée d’une certaine nostalgie dont Svetlana Boym saisit l’essence de manière particulièrement élégante lorsqu’elle affirme qu’il est possible d’être nostalgique « d’une autre version de la modernité et, par conséquent, d’un futur différent qui n’a jamais eu lieu34 ». Ils sont inspirés par l’utopisme des avant-gardes, mais, comme ils sont conscients que celui-ci n’a mené qu’à l’échec, ce qu’ils proposent en échange est une espèce d’« utopisme à rebours », un utopisme qui consiste à retourner dans le passé pour tenter d’en extirper de nouveaux futurs potentiels.

26Arns, Inke, éd. IRWIN : Retroprincip 1983–2003, Frankfurt/Main, Revolver, 2003.

Bibliographie

Bibliographie

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Notes

1 IRWIN, éd. East Art Map : Contemporary Art and Eastern Europe, London, Afterall Books, 2006.

2  Voir : Nena Dimitrijević, « Cachés derrière un rideau de fer », Art Press no 367, mai 2010, p. 56-64.

3  À partir d’ici et jusqu’à la fin de cet article, l’expression « Europe de l’Est » sera employée, conformément à l’usage qu’en fait IRWIN, pour désigner l’ensemble des anciens pays communistes d’Europe, ou ce territoire qu’on identifie plus volontiers aujourd’hui sous l’appellation d’« Europe Centrale et de l’Est ».

4  Une reproduction de celle-ci est présentée dans le catalogue de l’exposition Les promesses du passé : une histoire discontinue de l’art dans l’ex-Europe de l’Est, Christine Macel et Nataša Petrešin, éd., Paris, Centre Pompidou, 2010, p. 183.

5  C’est peu dire que ce diagramme est loin d’être aussi limpide qu’il aurait pu l’être. La position du zénithisme par rapport à la rétro-avant-garde, notamment, reste floue, puisqu’on ne peut évidemment pas considérer le zénithisme comme un mouvement rétro-avant-gardiste. Mais si on identifie ce mouvement comme une source de la rétro-avant-garde, alors qu’est-ce qui explique que Kasimir Malevitch, par exemple – le vrai Kasimir Malevitch –, ne figure pas sur l’image ?

6  Selon Marina Grzinic (dans Une fiction reconstruite : Europe de l’Est, post-socialisme et rétro-avant-garde, D. Charonnet, trad., Paris, L’Harmattan, 2005, p. 45), c’est Peter Weibel qui, dans un article pour un catalogue d’exposition, aurait inventé l’expression « rétro-avant-garde », qui fut ensuite reprise par IRWIN et NSK. Weibel réunissait sous cette bannière les productions de Stilinović, du Malevitch des années 80 et de IRWIN.

7  Inke Arns, « Introduction », dans IRWIN : Retroprincip 1983–2003, Inke Arns, éd., Frankfurt/Main, Revolver, 2003, p. 2, 6. Référence électronique : IRWIN Retroprincip 1983–2003.

8  Voir : Eda Čufer and IRWIN, « NSK State in Time », dans Primary Documents : A Sourcebook for Eastern and Central European Art since the 1950s, Laura Hoptman and Tomáš Pospiszyl, éd., New York, The Museum of Modern Art, 2002, p. 301.

9  IRWIN et Čufer expliquent plus précisément que la rétro-avant-garde se distingue du modernisme occidental en ce que celle-ci est toujours tendue vers le futur, tandis que celui-là reste figé dans le présent. Ils écrivent ceci : « With EASTERN time preserved in the PAST and Western time stopped in the PRESENT, MODERN ART lost its driving element – the FUTURE. [...] The development of EASTERN MODERNISM from the past into the present will run through the FUTURE. The FUTURE is the time interval denoting the difference. THE NAME OF EASTERN ART IS EASTERN MODERNISM. THE NAME OF ITS METHOD IS RETROGARDISM ». IRWIN et Eda Čufer, « The Ear Behind the Painting », dans Impossible Histories : Historical Avant-gardes, Neo-avant-gardes and Post-avant-gardes in Yugoslavia, 1918-1991, Dubravka Djurić and Miško šuvaković, éd., Cambridge, Mass., MIT Press, 2003, p. 581.

10  À ce sujet, voir Inke Arns, op. cit., p. 9.

11  Bien que ce terme puisse avoir des connotations négatives, je l’emploie ici de façon neutre, pour désigner une variété de pratiques d’emprunt à des œuvres préexistantes.

12  Soit Alternative au Carré noir d’Aleksandr Sigutin (2003) et Le Carré noir de Malevitch d’Andrej Molodkin (2006).

13  Pour constater cette évolution des attitudes à l’égard du Carré noir dont témoignent les œuvres de récupération, on peut consulter le catalogue de l’une des expositions récentes consacrées à ce thème : The Adventures of the Black Square, Tatiana Goriacheva et. al., éd., Saint-Pétersbourg, Palace Editions, 2007.

14  Voir : Inke Arns, « Avant-Garde in the Rear-View Mirror : from Utopia under General Suspicion to a New Notion of the Utopian ». www.projects.v2.nl/~arns/Texts/arns-seven-sins-2004.pdf (consulté le 7 février 2011).

15  Christine Macel et Joanna Mytkowska, « Les promesses du passé », dans Les promesses du passé, op.cit., p. 19.

16  Source : Site Web du Centre Pompidou. Exposition Les Promesses du passé. http://www.cnac-gp.fr/Pompidou/Manifs.nsf/0/50902C6097E58113C12577070034A5CC?OpenDocument&sessionM=2.2.1&L=1 (consulté le 10 février 2011).

17  Cité dans « Histoires potentielles, discontinuité et politique du désir (Entretien avec Elena Filipovic, Ana Janevski, Christine Macel, Nataša Petrešin-Bachelez, Tomáš Pospiszyl et Jan Verwoert) », dans Les promesses du passé, op. cit., p. 24.

18  Les Promesses du passé, op. cit., p. 36.

19  ibid., p. 68.

20  ibid., p. 116.

21  ibid., p. 184.

22  Christine Macel et Joanna Mytkowska, « Les promesses du passé », op. cit., p. 20.

23  Voir : Inke Arns, « Avant-Garde in the Rear-View Mirror : from Utopia under General Suspicion to a New Notion of the Utopian », op. cit.

24  Voir E. Čufer and IRWIN, « NSK State in Time », op. cit., p. 301 : « One of the aims of NSK is to prove that abstraction, which in its fundamental philosophic component – Suprematism – explains and expels the political languages of global cultures from the language and culture of art, contains a social program adequate to the needs of modern man and community. The NSK State in Time is an abstract organism, a Suprematist body, installed in a real social and political space as a sculpture comprising the concrete body warmth, spirit, and work of its members ».

25  Le site Web du collectif, qui présentait les différents projets de celui-ci, n’était malheureusement plus actif au moment d’écrire cet article. Leur nouveau site se trouve à l’adresse suivante : http://www.stres.iscmrussia.ru/ (consulté le 11 février 2011).

26  Svetlana Boym, « Nostalgie, ruinophilie et histoire “off-moderne” », dans Les Promesses du passé, op. cit., p. 216-219.

27  Svetlana Boym, « The Off-Modern Condition. Excerpt from The Off-Modern Condition, by Svetlana Boym (forthcoming) ». Svetlana Boym. Nostalgic Technologies.

28  Je reprends ici l’expression de Wolfgang Asholt dans son article « L’avant-garde, le dernier mythe de l’histoire littéraire ? », publié dans Les Mythes des avant-gardes, Véronique Léonard-Roques et Jean-Christophe Valtat, éd., Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 20. Pour Asholt, si l’avant-garde existe encore aujourd’hui, ce n’est plus que sous la forme d’un spectre, « d’un fantôme qui se sert de costumes et des décors d’une autre époque, donc du mythe, pour pouvoir encore subsister ».

29  Le concept de post-histoire, dont découlent les Triptyques post-historiques, peut être décrit en quelques mots comme une invitation à se défaire du discours unique de l’Histoire pour reconnaître que le monde est en fait constitué d’une multitude d’histoires. Pour plus de détails à ce sujet, voir : Braco Dimitrijević, Tractatus Post Historicus (1976), Aaron Levy, éd., Philadelphia, Slought Books Contemporary Theory Series no 3, 2009.

30  En fait, il semblerait qu’encore aujourd’hui, ce soit l’avant-garde qui, dans le monde de l’art, incarne le mieux l’idée même d’une « alternative » – cette idée devenue d’autant plus désirable que le discours dominant, en notre ère que François Hartog a qualifiée de « présentiste », se résume plutôt à vouloir qu’il n’y ait plus d’alternative, que le monde demeure à jamais tel qu’il est maintenant. D’ailleurs, le fait que la montée en force de cette nouvelle approche « présentiste » de l’histoire ait coïncidé avec les événements politiques qui ont marqué l’Europe de l’Est il y a une vingtaine d’années et qui ont permis à Francis Fukuyama d’avancer sa théorie selon laquelle nous aurions atteint la « fin de l’histoire » n’est pas à négliger dans le contexte qui nous intéresse. L’utopisme avant-gardiste, tant condamné ces dernières années, est sans doute l’attitude qui s’éloigne le plus de ce discours dominant. En ce sens, il n’est nullement surprenant qu’il attire les créateurs contemporains.

31  Jan Verwoert, « Pas si ailleurs que ça (!?) », dans Les Promesses du passé, op. cit., p. 32.

32  Je reprends ici encore les termes de Jan Verwoert au cours d’un entretien publié dans le catalogue des Promesses du passé (« Histoires potentielles, discontinuité et politique du désir », op. cit., p. 25) : « En réactivant la potentialité, nous tentons de rendre hommage à ceux que l’actualité a privés de quelque chose. La promesse vide du modernisme est que la vie sera meilleure pour tout un chacun ! Elle ne le fut jamais, mais la promesse est toujours là. En la réactivant, vous pouvez réactiver le modernisme – en opposition à l’assomption que la fin du modernisme est un fait historique ».

33  Christine Macel et Joanna Mytkowska, « Les promesses du passé », op. cit., p. 20. Cette perception de l’art est-européen fait écho aux propos de Boris Groys qui, dans un célèbre article sur le conceptualisme moscovite, écrivait que les Russes se sont toujours refusés à considérer l’art comme un domaine autonome, croyant plus volontiers que celui-ci doit chercher à aller au-delà de ses propres frontières : « Русскому сознанию всегда был чужд позитивный взгляд на искусство как на автономную сферу деятельности, определяемую лишь наличной исторической традицией. Вряд ли можно примириться с тем, что искусство – лишь совокупность приемов, “цель” которых утрачена. “Романтический концептуализм” в Москве – это, следовательно, не только свидетельство сохраняющегося единства “русской души”, но и позитивная попытка выявить условия, которые делают возможным для искусства выход за свои границы [...] ». Boris Grojs, « Moskovskij romantičeskij konceptualizm », dans Moskovskij konceptualizm, E. Degot et V. Zaxarov, éd., Moskva, WAM, 2005, p. 345.

34  Svetlana Boym, « Nostalgie, ruinophilie et histoire “off-moderne” », op. cit., p. 216.

Pour citer ce document

Par Geneviève Cloutier, «Imaginaire de l’avant-garde et identité collective dans l’art d’Europe Centrale et de l’Est», Revue du Centre Européen d'Etudes Slaves [En ligne], Représentations artistiques, poétiques et littéraires slaves, La revue, Numéro 1, mis à jour le : 26/01/2022, URL : https://etudesslaves.edel.univ-poitiers.fr:443/etudesslaves/index.php?id=211.

Quelques mots à propos de :  Geneviève Cloutier

Geneviève Cloutier est stagiaire postdoctorale à Figura, Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire (Université du Québec à Montréal), où elle travaille sur les résurgences de l’avant-garde dans la culture contemporaine. Titulaire d’un doctorat en littérature comparée et en études slaves (Université de Montréal et Université Lyon 3), elle est l’auteure d’une thèse sur la « terreur de l’histoire » dans l’avant-garde russe. Travaux : « Les Tables du destin, tableau de l’histoire », Europe – ...