Bref historique des études slaves en France

Par Jean Breuillard
Publication en ligne le 05 mars 2012

Résumé

Retracement de l’histoire des études slaves en France

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Texte intégral

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Introduction

1Retracer l’histoire des études slaves en France, c’est distinguer deux choses :

21. le facteur décisif des événements politiques, plus exactement géopolitiques, voire géostratégiques. Intimement liés à ces événements sont les facteurs économiques ; c’est ce qu’on peut appeler le contexte large sur lequel les intellectuels, à leur niveau, ont peu de prise ;

32. au sein de ce contexte, l’action résolue, volontaire, des intellectuels, des chercheurs ou, comme on dit dans les pays slaves, des « savants ». Ceux-ci, à leur niveau, ne doivent pas cesser de proposer pour agir. C’est bien tout le sens de notre rencontre aujourd’hui.

4Commençons à la source.

1. Le XVIIIe siècle

5L’intérêt de la France pour les pays slaves est ancien. En particulier, l’intérêt pour la Pologne. Je mentionne pour mémoire que notre roi Henri III fut roi de Pologne avant de régner en France ; et qu’en 1610, trois semaines avant d’être assassiné, Henri IV avait installé un consulat à Gdańsk. Pour ce qui concerne la Russie, rappelons que, sous la Régence et sous Louis XV, le grand grammairien Gabriel Girard, fondateur de la science moderne des synonymes, était aussi interprète du régent pour l’« esclavon », c’est-à-dire pour le russe et le slavon. En 1724, Jean Sohier, attaché à la Bibliothèque du roi, rédige sa Grammaire & Méthode russes et françaises, première description du russe connue à ce jour, rédigée par un Français.

2. Le XIXe siècle. Mickiewicz et le Collège de France

6Il faut attendre 1840 pour que la première chaire de langue slave au Collège de France (« langue slave » au singulier, dans l'intitulé officiel !) fût créée pour le génie polonais Adam Mickiewicz [1799-1855], avec l'appui actif de ses collègues et amis Jules Michelet et Edgar Quinet.

7Là encore, les considérations politiques jouent le rôle principal. La création de cette première chaire d'études slaves s'opère sur un fond de puissante polonophilie et, pour dire les choses crûment, de russophobie, russophobie qui culminera au début du Second Empire avec la guerre de Crimée. L'enseignement de Mickiewicz est suspendu quatre ans plus tard (1844). Et c'est finalement Napoléon III qui révoquera Mickiewicz en 1852, ainsi que ses amis Quinet et Michelet.

3. La fin du Second Empire

8À la fin du Second Empire, en 1868, un certain Louis Leger (1843-1923), pionnier de la slavistique française, soutient, très jeune, ses thèses de doctorat sur la Chronique de Nestor (la première chronique russe) et sur Cyrille et Méthode. Il avait enseigné, sous la forme d'un cours gratuit dispensé à la Sorbonne, l'histoire des littératures des Slaves du Sud, l'histoire de la Serbie,  la grammaire serbe, la grammaire russe et aussi l'histoire de la Bohême. Son nom n'est aujourd'hui connu que des spécialistes. Les nations slaves ont su lui rendre hommage : une rue du centre de Prague porte toujours son nom : Legerova ulice.

9Géopolitique toujours, c'est une défaite militaire (1870) qui est à l'origine du renouveau de l'intérêt pour les cultures slaves, et l'effondrement du Second Empire qui s'ensuivit.

4. Le dernier quart du XIXe siècle

10En 1874, un premier cours de russe est fondé à l'École des langues orientales. Le cours rassemble une vingtaine d'élèves et est confié à Louis Leger. Celui-ci réussit, quatre ans plus tard, à y faire ouvrir une chaire de « slave », qui consistait d’abord en une initiation au serbo-croate avant d’être consacrée essentiellement au russe. L’enseignement du russe à l’École des langues orientales se développe surtout sous l’action de Paul Boyer (1864-1949) qui y resta de 1891 à 1937. Grammairien distingué (reçu premier à l'agrégation de grammaire), Paul Boyer, ami de l'éminent linguiste Antoine Meillet, était aussi un excellent pédagogue et un administrateur avisé. C'est lui qui fonde, avec son Manuel pour l'étude de la langue russe, une pédagogie du russe adaptée aux Français. Quant à Louis Leger, il est nommé au Collège de France en 1885.

11Mais tout cela reste finalement marginal.

5. L'Allemagne : patrie de la slavistique

12Rien de commun, en effet, avec l'Allemagne. Pendant trois siècles, la slavistique fut exclusivement allemande. La slavistique est incontestablement une tradition allemande, depuis les enseignements dispensés par certaines universités d’Allemagne dès le XVIIe siècle : celle de Halle, en particulier, d’où sortiront de bons esprits marqués par le piétisme, et qui seront à l’origine des premières descriptions du russe (Smotritski, Heinrich Ludolf). Rappelons les rencontres entre Leibniz et Pierre le Grand, le grand intérêt que Leibniz portait à l'Europe orientale. C'est Leibniz qui engagea Pierre le Grand à créer une académie des sciences (fondée en 1725). C’est en langue allemande que sont publiés les grands travaux de linguistique slave. Il s’agissait d’immenses savants slaves tels que le Tchèque Josef Dobrovský (qui publiait aussi en latin), le Slovène Jernej Kopitar (1780-1844), l’apôtre de l’identité slave que fut le Slovaque Jozef Šafárik (1795-1861), le Slovène Franc Miklošič (1813-1891), le Croate Vatroslav Jagić (1838-1923) qui fonda et dirigea pendant plus de 40 ans l’Archiv für slavische Philologie, etc. Même s’ils publient dans leur langue, les savants slaves publient toujours en Autriche ou dans le monde germanophone : le Serbe Vuk Karadžić (1787-1864) publie toutes ses œuvres à Vienne ou à Leipzig. Sa première grammaire de la langue serbe (Pismenica srpskoga jezika) est aussitôt traduite en allemand par Jacob Grimm ; son dictionnaire du serbe (Srpski rјečnik) contient des traductions en allemand et en latin.

13C’est donc par le truchement de l’allemand que les philologues européens ont accès à leurs travaux. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la dynamique philologie allemande qui crée la grammaire comparée et propose une méthode rigoureuse visant à la reconstruction de l’indo-européen, intègre largement le matériau apporté par les langues slaves et en nourrit ses travaux. Rien de tel en France. Des savants allemands comme Wilhelm von Humboldt (1767-1835), Jacob Grimm (1785-1863), August Schleicher, Franz Bopp (1791-1867), Max Müller (1823-1900), etc., entretiennent tous des relations suivies et fécondes avec les savants slaves.

14Les universités allemandes sont, d’autre part, de vivants creusets où se côtoient Slaves et Allemands : Halle, Iéna,  Berlin, Göttingen, Fribourg, Heidelberg, etc. Mentionnons les néogrammairiens (Junggramatiker) de Leipzig. Les linguistes français qui s’intéressent aux langues slaves (Ferdinand de Saussure, Antoine Meillet, Lucien Tesnière, André Mazon) sont tous passés par ces universités allemandes, et notamment celle de Leipzig, où ils ont écouté le grand slaviste August Leskien (1840-1916), ou le grand sanskritiste et comparatiste Karl Brugmann (1849-1919).

6. La marche à la guerre et l'alliance franco-russe

15C'est la géostratégie qui, une fois de plus, change profondément les choses.

16Rien, a priori, ne semblait favoriser le rapprochement entre la IIIe République radical-socialiste et laïque, voire, pour plusieurs de ses dirigeants, anticléricale (rappelons la séparation de l'Église et de l'État en 1905) et l'autocratie orthodoxe russe. Deux puissants moteurs allaient en décider autrement et pousser au rapprochement : d'une part l'or français et d'autre part la crainte de l'Allemagne. C'était un renversement considérable, quand on songe à la polonophilie teintée de russophobie qui avait marqué tout le XIXe siècle français.

17Où en sont alors les études slaves ?

18Le Collège de France est une chose ; l'École des langues orientales en est une autre. Et l'université, dans tout cela ?

19C'est à Lille, en 1892, qu'est créée la première chaire professorale de russe. Elle est confiée à Émile Haumant. Pourquoi Lille ? On peut y voir l'effet des échanges commerciaux particulièrement actifs entre le grand patronat textile du Nord et la Russie. Une deuxième chaire est créée, dix ans plus tard seulement, en 1902, à la Sorbonne. Les pionniers de cette époque sont Jules Patouillet, Émile Haumant, André Lirondelle, Jules Legras, Raoul Labry, André Vaillant et un jeune homme plein d'avenir : André Mazon, frère de l'helléniste Paul Mazon, lui-même fondateur de la collection Guillaume Budé. Tous, sauf Mazon, sont agrégés de quelque chose : de grammaire, des lettres, d'allemand et même d'anglais.

20En 1911 s'ouvre à Saint-Pétersbourg un Institut français particulièrement actif.

7. Au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le projet français

21Puis arrive la Grande Guerre. Elle entraîne la rupture provisoire des relations diplomatiques avec la jeune URSS (qui sera, comme on sait, reconnue par Édouard Herriot) ; mais elle permet aussi l'éclosion de ce qu'on peut appeler le projet centre-européen de la France. Grand projet qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui. Dans une large mesure, en effet, l'action de Madame Bosković, aujourd'hui, à Poitiers, renoue avec ce projet qui est au cœur de notre colloque.

22Au lendemain de la Grande Guerre, en 1919, deux États slaves répondent à l'appel du gouvernement français en vue de créer un Institut d'études slaves. C'était une décision politique, et même géopolitique. Plus tard, la Pologne se joindra à cet effort commun. Un professeur d'histoire à la Sorbonne, Ernest Denis, artisan de l'amitié entre la France et les nations slaves, en particulier la nation tchèque, artisan aussi, avec Thomas Masaryk, de la création de la Tchécoslovaquie, cède son hôtel particulier de la rue Michelet, à deux pas du boulevard Saint-Michel. Il le cède à la Sorbonne, afin qu'elle y abrite le futur institut. Pour vous peindre la popularité d'Ernest Denis en République tchèque, il suffit de dire que l'une des gares de Prague (Denisova nádraží) porte son nom. À Paris, une place, tout en haut du boulevard Saint-Michel, au débouché de la rue du Val-de-Grâce, porte son nom.

23Il convient ici mentionner l'extrême générosité de deux grandes nations slaves et l'action résolue de leurs dirigeants. D'abord la générosité exceptionnelle du roi Pierre Ier, souverain des Serbes, Croates et Slovènes, qui abdiquera en 1921 en faveur de son fils Alexandre. Et la générosité aussi de la jeune république tchécoslovaque, inscrite dans les faits par Thomas Masaryk, premier président de la Tchécoslovaquie, lui-même universitaire. En 1923, le représentant du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et le président Masaryk en personne assisteront, en compagnie du ministre de l'Instruction publique, à l'inauguration officielle. L'Institut d'études slaves a fêté l'année dernière son quatre-vingt-dixième anniversaire. L'immeuble d'Ernest Denis, sis au 9 de la rue Michelet, appartient aujourd'hui à l'université Paris-Sorbonne et poursuit sa vocation d'étude du monde slave. Sa façade s'orne de deux grandes plaques de marbre rappelant la générosité des deux nations slaves. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, ces deux nations ont permis que l'enseignement supérieur français dispose d'un appui logistique déterminant pour faire connaître le monde slave en France. La slavistique française a, aujourd'hui encore, une dette envers elles.

24La géopolitique, là encore, joue un rôle déterminant. Au lendemain de la guerre, comme l'a vu la regrettée Antonia Bernard, un nouveau moteur du rapprochement entre l'Europe centrale et la France apparaît : l'incertitude que représente l'État soviétique, avec la disparition de l'ancien allié russe qui a conclu une paix séparée. Cette incertitude est incontestablement un facteur puissant qui pousse à resserrer les liens avec les nations slaves autres que la Russie. L'Institut d'études slaves joue son rôle dans ce rapprochement, distribue des bourses aux étudiants slaves. Il abrite les réunions de clubs patriotiques tchécoslovaques, yougoslaves, polonais ; il organise des concerts et des conférences.

25Rien, cependant, n'aurait été possible sans les intellectuels et sans les chercheurs. Certes, la macro-économie et la géopolitique dictent leur loi, mais il existe aussi un domaine dans lequel les intellectuels peuvent créer. Il y eut, en 1919, un authentique projet scientifique de la part des intellectuels slaves et des slavistes français. Certes, les intellectuels ont profité du climat politique qui était favorable aux études slaves, mais dans ce contexte ils ont bâti un projet scientifique. Leur action nous montre aujourd'hui l'exemple. Par plusieurs aspects, l'époque de 1919, époque de reconstruction de l'Europe sur de nouvelles bases (avec la disparition des empires et le redécoupage de la carte politique) rappelle ce que nous vivons aujourd'hui. La création de l'Institut d'études slaves est une leçon actuelle. Il vaut la peine d'examiner son projet.

8. L'Institut d'études slaves et l'entre-deux-guerres

26À l’inauguration solennelle d’octobre 1923, le président Thomas Masaryk proclame que l’Institut est censé « diriger et développer les relations intellectuelles entre nos Républiques ». Ernest Denis souhaite que l’Institut d’études slaves contribue à « promouvoir la connaissance scientifique des choses slaves, mais aussi [à] la populariser, [à] être un foyer d’études savantes, mais également un intermédiaire entre la vie slave et toute la vie française ». Antoine Meillet, le grand linguiste, y voit une « fondation scientifique » qui a pour « mission de développer et de coordonner les divers enseignements de slavistique existant en France. »  Il dit encore : « Nous devons étudier les peuples slaves, leurs langues, leurs littératures, leurs usages, leurs institutions et d’autre part, donner aux étudiants slaves de Paris un foyer, aux slavistes français et étrangers un centre de travail ».

27L’Institut d’études slaves a ainsi, dans l’esprit de ses fondateurs, une vocation de fédérateur et de moteur des études slaves en France. Cette création coïncide avec des changements importants dans tous les domaines des sciences humaines :

28-  en linguistique, avec la publication, en 1916, du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure ; Antoine Meillet, linguiste « généraliste » et slaviste, a formé au cours de sa longue carrière toute une cohorte de savants de premier plan : Benveniste, Dumézil, Martinet, etc. Or on s’aperçoit qu’il a commencé par le « slave ». Sa thèse portait, en effet, sur le vieux slave.

29- en littérature, avec la publication, en 1886, du Roman russe de Melchior de Vogüé. C’est l’époque de la découverte des grands romanciers russes (Gogol, Tourguéniev, Dostoïévski, Tolstoï). La littérature polonaise, d’autre part, touche le grand public avec le succès mondial de Quo vadis ? de Henryk Sienkiewicz, qui reçoit le prix Nobel en 1905. Les littératures des autres peuples slaves trouvent, elles aussi, peu à peu, un écho en France. Un petit fait ne trompe pas : la présence de Gustave Lanson parmi les fondateurs de l’Institut d’études slaves en 1919.

30- en histoire, avec les travaux d’Anatole Leroi-Beaulieu, Alfred Rambaud, Louis Eisenman, Emile Haumant, Louis Réau, etc. Leurs ouvrages enrichissent la connaissance des peuples slaves. La reconnaissance institutionnelle de cet essor historiographique est la création, en 1921, à la Sorbonne, de la « Chaire d’histoire et de civilisation des Slaves ».

31À ce noyau central qu’est l’Institut s’ajoutent rapidement deux outils scientifiques :

32- la Revue des études slaves, qui commence à paraître en 1921 ;

33- la  Bibliothèque, qui fonctionne dès1924.

34En outre, l’Institut se constitue en une maison d’édition dédiée aux ouvrages savants, à l’édition de textes originaux, mais aussi aux grammaires et aux outils pédagogiques.  

35Ainsi, les divers outils de la recherche en slavistique se trouvent groupés dans une même maison.

9. En province et à l’étranger

36Ce regard nouveau sur les pays slaves touche également les universités de province qui ouvrent alors des chaires nouvelles. En 1919, une chaire de langues slaves est inaugurée à Strasbourg et confiée à André Mazon. Il aura pour successeurs de prestigieux slavistes, comme Boris Unbegaun et Lucien Tesnière. Les universités de Dijon (1920) et de Lyon (1921) suivent de près.  

37Parallèlement, le gouvernement français crée l'Institut français de Prague, fondé par Ernest Denis en 1919, conçu comme une véritable université, avec sections littéraire, juridique et scientifique, et pas seulement comme un centre culturel. Rappelons qu'y enseignèrent de grands intellectuels français comme Vladimir Jankélévitch ou Hubert Beuve-Méry. Il ne s'agit plus ici de slavistique, mais du pendant symétrique de notre Institut d'études slaves dans un pays slave.

38Une date doit être marquée d’une pierre noire : le 30 septembre 1938. Les accords de Munich, qui livrent à Hitler la Tchécoslovaquie, marquent la fin tragique du grand projet d’Ernest Denis, d’Antoine Meillet, de Tomas Masaryk et de bien d’autres intellectuels, projet qui était à la base même de la fondation de l’Institut d’études slaves. Le 5 octobre 1938, Churchill lance : « Nous avons subi une défaite totale et sans mélange [...]. Notre peuple doit savoir que nous avons subi une défaite sans guerre, dont les conséquences nous accompagneront longtemps sur notre chemin ». La postérité retiendra sa formule flamboyante, écrite peu après : « Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront le déshonneur et la guerre ». La blessure fut et reste profonde. Les relations entre la France et les pays slaves d’Europe centrale et balkanique en restent, aujourd’hui encore, marquées.

10. Après la Seconde Guerre mondiale

39Après 1945, la slavistique française connaît un essor sans précédent, mais s’oriente plus résolument vers la Russie. La Libération fut en effet un moment d’engouement pour la langue russe, langue officielle de l’URSS, cette Union soviétique qui avait supporté, à partir de juin 1941, la plus lourde part de la lutte contre Hitler. La langue russe bénéficie même du soutien affirmé du ministère français. L’agrégation de russe, qui avait été créée sur le papier avant la guerre, mais n’avait pas été ouverte, fonctionne effectivement à partir de 1947, suivie du CAPES de russe en 1955.

40Pendant 20 ans, les universités françaises se dotent de chaires de langues slaves (russe et autres langues slaves) :

411945 : Bordeaux ;

421950 : Rennes ;

431953 : Clermont-Ferrand ;

441955 : Nancy ;

451956 : Aix ;

461959 : Poitiers ;

471960 : Caen ;

481962 : Grenoble et Toulouse ;

491965 : Nanterre ;

501968 : Rouen, Vincennes ;

511969 : Besançon, Nice.

52La Sorbonne crée en 1960 un centre de recherches sur l’histoire des Slaves. Des directions de recherches à l’École Pratique des Hautes Études (ÉPHÉ) sont dédiées à l’histoire contemporaine des peuples slaves. L’Institut d’études politiques de Paris crée une chaire d’études sur la Russie. L’École des Hautes Études en Sciences Sociales (ÉHÉSS), créée sur le projet de Fernand Braudel en 1975, est très active dans le domaine de l’histoire russe et édite les Cahiers du monde russe et soviétique, rebaptisés depuis la fin de l’URSS les Cahiers du monde russe, dont le champ s’étend aussi aux États issus de l’ancienne URSS, dont les États turcophones. Ils couvrent l’histoire politique, sociale, économique et culturelle  de l’Empire de Russie, des origines à 1917, puis de l’URSS, et enfin des différents États qui en sont issus. L’ÉHÉSS, sise boulevard Raspail, abrite un centre de recherche historique particulièrement actif : le CERCEC (Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen), avec un fonds de 2000 volumes.

53Parallèlement, la politique française en Europe centrale et balkanique est incontestablement affaiblie. En 1949, après le coup de Prague, l’Institut français, qui avait été rétabli, est dénoncé comme « nid d’espions » et fermé en 1951. Il ne renaîtra qu’en 1990. En 1993, Vaclav Havel et François Mitterrand inaugurèrent ses nouveaux locaux.

11. Depuis la fin de l’URSS

54Aujourd’hui, la géopolitique, encore elle, continue de dicter sa loi d’airain. La Russie, qui reste une grande nation, n’est plus l’empire qui, dans un monde bipolaire, disputait son hégémonie aux États-Unis d’Amérique. Nous sommes dans un monde multipolaire dans lequel la puissance chinoise s’affirmera avec toujours plus de force.

55L’enseignement du russe dans le second degré est en plein recul, tant à Paris qu’en province. Les professeurs de russe, groupés au sein d’une association (l’Association française des russisants), luttent pied à pied, mais beaucoup sont gagnés par le découragement. Même chose, mais de manière plus contrastée, dans l’enseignement supérieur. L’exemple de l’université de Poitiers, qui, dans les années 80, comptait un professeur de russe, trois maîtres de conférences, trois lecteurs de russe, un lecteur de polonais et un autre de serbo-croate, reflète la perte des positions des langues slaves dans l’enseignement supérieur. Cette situation n’est pas propre à la France et se vérifie à l’étranger.

12. Repenser l’étude des cultures slaves

56Les relations entre la France et les pays slaves sont donc à repenser. Il faut les reconstruire, mais sur un schéma différent. Il faut continuer de développer, bien sûr, les relations avec la Russie, mais il faut aussi, dans le cadre européen, œuvrer au développement d’un fécond maillage avec les différentes nations slaves de l’Europe centrale et balkanique.

57Une remarque méthodologique s’impose. Le découpage de nos Facultés des langues est largement encore le reflet de l’arbre des langues d’August Schleicher, au début du XIXe siècle. Or ce découpage de base philologique doit impérativement être complété par une approche aréale des faits de civilisation. Pour prendre un exemple, il existe incontestablement une civilisation centre-européenne qui unit, au XIXe siècle, la mosaïque de l’ancien empire des Habsbourg autour d’une culture commune, qui transcendait les langues : dans le creuset autrichien se sont mêlées les cultures germaniques, mais aussi slaves, hongroises, latines (la Roumanie), sans oublier la composante yiddish. Pensons à la prodigieuse pléiade d’écrivains, de penseurs, d’artistes qui sont issus de cette culture centre-européenne ? Aucun d’eux n’est réductible à une seule langue.

58L’initiative de Mme Bosković propose un renversement de paradigme. Nous passons d’un monde vertical, pyramidal, au monde horizontal du réseau. Un réseau sans centre unique, sans abscisses ni ordonnées : un monde maillé et polycentrique. Concrètement, les initiatives ne passent plus obligatoirement par Paris et par ses universités. La structure souple, ouverte, accueillante, créée par Mme Bosković permet de capitaliser le dynamisme des universités moyennes. Elle permet aussi d’élargir le champ des chercheurs non slavistes qui sont intéressés à développer des relations avec les universités slaves. Et c’est le cas en particulier des domaines non littéraires : archéologie, architecture, géographie, histoire, histoire de l’art, médecine, sciences exactes, etc.

59Dans le destin des études slaves en France, le poids de la géopolitique a été considérable. Il n’a jamais empêché pour autant le développement des projets scientifiques, l’action de la volonté coordonnée des chercheurs. C’est tout le sens de ce colloque.

Pour citer ce document

Par Jean Breuillard, «Bref historique des études slaves en France», Revue du Centre Européen d'Etudes Slaves [En ligne], Etudes slaves en France et en Europe, Numéro 1, La revue, mis à jour le : 05/03/2012, URL : https://etudesslaves.edel.univ-poitiers.fr:443/etudesslaves/index.php?id=100.

Quelques mots à propos de :  Jean Breuillard

Jean BREUILLARD. Agrégé de russe. Docteur d’État avec une thèse sur « Nikolaj Karamzin et la formation de la langue littéraire. » (Paris-Sorbonne). Professeur de russe dans le second degré (Lyon, Niort, Poitiers), puis dans l’enseignement supérieur (Poitiers, Lyon, Sorbonne). Professeur émérite de l’université Paris-Sorbonne. Une centaine d’articles sur la linguistique du russe, l’histoire de la pensée linguistique en Russie, la littérature et la culture russes des XVIIIe et XIXe siècles. Une ce ...